Public-privé: vers la co-production de sécurité et de défense en France?

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Alors que deux colloques sont annoncés en novembre sur l'externalisation et le recours aux ESSD, voici que sort un ouvrage que ne peuvent ignorer ni les représentants des ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de l'Intérieur ni les dirigeants et cadres des ESSD ou de toute entreprise qui travaille au profit de la Défense ou de l'Intérieur.

On le sait, et c'est particulièrement vrai en France, pour un ministère dit régalien, le recours au secteur privé – et par extension au contrat – ne tombe pas sous le sens. C’est une décision lourde dont les conséquences ne sont pas nécessairement gage d’un surcroît d’efficacité économique et managériale. Dans un contexte budgétaire et sécuritaire où ce type de recours pourrait être appelé à se généraliser, l'ouvrage que vient de publier Guillaume Farde éclaire cette future ère contractuelle.

A la veille de la sortie de ce livre, dont le titre est Externaliser la sécurité et la défense en France. Le cas des partenariats public-privé, Guillaume Farde précise dans quel esprit il a décidé de se pencher sur l'externalisation et la co-production

1241961319.jpgPeut-on encore parler de domaines régaliens ?
A-t-on déjà pu en parler ? Je veux dire par là que la notion de domaine régalien est purement doctrinale. Les missions de sécurité intérieure et de défense nationale n’ont pas été au cœur de la souveraineté de l’État de façon continue. Dire que ce sont des services régaliens est une pure construction politique. A dire vrai, même si l’idée est inconfortable, il faut bien se rendre à l’évidence : le cœur de de la souveraineté de l’Etat n’est composé que d’attributions périssables. Aucun domaine n’échappe à l’externalisation par principe. Cela ne veut pas dire qu’il faut externaliser à tout va, de façon aveugle et sans méthode. Cela signifie simplement qu’il ne faut pas s’enfermer dans cet autre extrême qui consiste à s’interdire tout dialogue avec le secteur privé au motif que les domaines dits régaliens appartiendraient de toute éternité, à un hypothétique cœur de la souveraineté de l’Etat.

Externaliser dans ces deux domaines, est-ce une régression, une fatalité ou une chance ?
Depuis les années 1990, la chronologie de l’externalisation est faite d’à-coups. Je l’explique par l’absence de doctrine claire en la matière. Ceux qui étaient favorables l’externalisation à tout prix l’ont imposée d’une bien mauvaise manière quand ils ont été en situation de responsabilité. Leur principal argument était d’ailleurs la fatalité. Ils mobilisaient souvent la même métaphore médicale : "messieurs les agents de l’Etat, le traitement est rude mais il n’y pas d’autre option !". Corollairement, ceux qui étaient opposés à l’externalisation par principe ont mobilisé leur camp autour d’arguments qui évoquaient un âge d’or pré Guerre-froide un peu mythifié et ils parlaient de régression. A présent, le débat sur l’externalisation doit être dépassionné. Oui, le procédé est risqué et je détaille chacun de ces risques dans le livre mais le procédé est aussi riche d’opportunités que je détaille de la même manière. En grec ancien, risque et chance sont un même mot. Je crois donc que si on en maîtrise les risques, l’externalisation peut être une chance.

Le bilan des externalisations françaises reste maigre. Or vous parlez de « l’efficacité des externalisation ». Pourquoi ce bilan?
Le bilan est maigre parce qu’on est passé d’un extrême à l’autre, du tout au rien, en l’espace de deux législatures à peine. Le seul enseignement à tirer de ce virage à 180 degrés est que le dogmatisme ne mène nulle part. L’externalisation est un outil. On peut se féliciter de certains bons usages, on peut dénoncer certains mésusages mais condamner ou encenser l’outil en soi n’a pas de sens. En matière d’externalisation, la casuistique s’impose. Sortons des manichéismes ! Le fait que certains projets fonctionnent bien – à cet égard, on ne citera jamais assez HéliDax – permet de parler d’une efficacité relative et seulement relative. A contrario, je ne pense pas qu’on puisse parler d’inefficacité absolue en brandissant toujours les mêmes contre-exemples.

Y a-t-il un type idéal de coproduction de sécurité et de défense ?
Celui qui décloisonne. Deux siècles durant, notre pays s’est efforcé à faire de deux hémisphères d’un même monde, deux mondes contraires. Il serait temps que les deux hémisphères travaillent ensemble et si possible, de façon choisie. C’est cela l’esprit de la coproduction. Mais encore faut-il que les échanges entre les deux mondes soient suffisamment réguliers – à cet égard, permettre les allers-retours de l’un à l’autre au cours d’une carrière et la montée en puissance de la réserve opérationnelle, sont des plus – pour ne plus être conflictuels. La coproduction, ce sont deux mains tendues l’une vers l’autre. Entre elles, il y a de l’estime, de la confiance professionnelle et du respect. Cela implique une forme de pragmatisme où les sempiternelles querelles doctrinales visant à savoir qui est intrinsèquement plus efficace que qui, s’effacent une bonne fois pour toutes au profit d’une saine collaboration sur quelques projets bien choisis.

Guillaume Farde, Externaliser la sécurité et la défense en France. Le cas des partenariats public-privé, éditions Hermann, 364 pages, 35 €.

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Publication : lundi 24 octobre 2016