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Histoire et avenir des armées privées


Tancrède
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Un petit sujet transhistorique et prospectif sur ce qui n'est pas exactement le sujet "pur" des mercenaires/condottiere/contractors, voire s'en éloigne parfois sur bien des plans, pas plus qu'il ne concerne les armées de mouvements et organisations non gouvernementaux (en tout cas pas tous), quoique le distingo puisse être difficile à établir. Il s'agit en fait de voir ce sujet des armées ou para-armées permanentes "détenues" ou en tout cas plus ou moins pleinement contrôlé par un individu ou un groupement cohérent (dans le temps) d'individus, typiquement une famille ou une dynastie, ou un clan de type tribal. Exit la plupart des contractors, donc, ou en tout cas l'essentiel de leurs effectifs, en tout cas pour l'instant, qui recourent plus à l'embauche ponctuelle et ne gardent réellement que des cadres d'entraînement et des chefs d'équipe, au mieux, sur la longue durée, et éventuellement de vastes effectifs de gardiennages. Ca peut changer, ça va sans doute changer, mais pour l'instant c'est plus comme ça. Les sociétés de contractors un peu conséquentes sont par ailleurs plus des regroupements capitalistiques, donc correspondent moins dans la plupart des cas à des "entités décisionnelles" telles qu'une famille, un clan.... Et répondent à des logiques plus étroites aussi bien qu'à des divisions inhérentes à un conseil d'administration: peu des grandes sont réellement "tenues" par une direction absolument unifiée (c'est pourquoi le cas de l'ex-Blackwater, tenue par Erick Prince, est assez particulier et inquiétant). Pareillement, à travers l'histoire, rares sont les mercenaires se vendant comme tels qui ont pu réellement "disposer" de leur outil durablement et le contrôler assez pour sortir de la pure logique "commerciale": certains capitaines de compagnies mercenaires pendant la Guerre de Cent Ans l'ont pu, devenant ainsi des seigneurs, entrant dans le jeu politique de leur temps, de même que pendant les guerres d'Italie où certaines dynasties de Condottiere ont pu se tailler des fiefs: les Sforza de Milan et Forli, les Colonna, les Malateste de Rimini.... En font partie.

Difficile de totalement circonscrire la chose, alors je vais essayer de donner des exemples:

- le temps de la féodalité post carolingienne en voit beaucoup, typiquement avec l'expansion des normands en Méditerranée (ou même l'invasion de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant) qui est le fait de groupements individuels, ou celle des Angevins, et plus encore le temps des croisades. Mais évidemment, l'ère féodale s'y prête et il est plus délicat de distinguer des "armées privées" dans ce temps où la notion d'Etat est au mieux faiblarde. Le droit de guerre privée, par ailleurs, au sein d'Etats, est à la fois similaire à la pratique entre Etats (eux-mêmes féodaux, donc la chose n'est pas différente) et à la fois le signe de l'apogée d'un temps où on pourrait dire que "le privé" a le droit de violence légitime. A bien des titres, que l'unité soit à louer ou oeuvre en permanence pour un chef féodal, on peut dire que toute armée est privée, et seul "l'host" féodal d'un roi, le ban, peut apparaître comme un peu différent (et encore) en ce qu'il est un rassemblement (assez rare) pour raison nationale des armées et services militaires dus.

- la plus célèbre de toutes les armées privées de l'Histoire: l'armée romaine ;). Dans la République finissante, en tout sinon en théorie juridique, les armées et leurs vétérans retraités mais rappelables, sont devenues de fait privées. L'avènement d'Auguste ne change rien dans la pratique, sinon qu'il est le seul citoyen romain à pouvoir en avoir une, et même ceux qui en ont les moyens ne peuvent de fait en lever. Cela se perpétue pendant la dynastie julio-claudienne, et s'estompe graduellement dans les faits plus que dans le droit avec l'évolution de l'empire, où la personne physique de l'empereur et sa position, en fait l'Etat, se dissocient en tant qu'entités: trop grande, répartie sur une vaste surface, avec un contrôle "saisissable" (notamment par corruption d'unités centrales telles les Prétoriens), l'armée romaine ne peut réellement être maîtrisée par un seul homme, parfois même pas par un seul siège d'empereur (dont il est possible de tuer/virer l'occupant pour tout simplement se mettre à sa place).

- de ce modèle romain vient un autre exemple, initié du temps même de l'empire, celui des gardes du chef d'Etat quand employées comme unités personnellement recrutées et commandées: face à la dissociation de fait empereur-Etat, les empereurs romains ont aussi gardé leur personne non seulement par des unités régulières ou spéciales issues de l'armée (type les Prétoriens), mais aussi par des unités et individus personnellement engagés et entretenus, avec qui le rapport est direct et qui de fait sont des contractants personnels, comme les Bataves d'Auguste. l'Empire post crise du IIIème siècle voit les empereurs obligés d'avoir un "Etat dans l'Etat" à traves les Scholes, dont le volant militaire/armé sont les Scholes Palatinae, unités d'élite personnellement contrôlées par l'empereur, au sein desquelles sont choisis les 40 candidati gardant directement la personne physique du souverain. L'empire d'Orient/byzantin développera beaucoup la pratique, et l'une de leurs plus célèbres unités est, à partir du Xème siècle, la Garde Varègue, véritable armée privée au sein de l'armée byzantine (devenue en grande partie plus féodale) et liée personnellement à l'empereur. Mais les "gardes" s'étendent avec la féodalisation/régionalisation de fait de l'empire dès le IVème siècle, où les familles de grands propriétaires s'entourent de petits contingents permanents de plus en plus militarisés, voire de groupes de "barbares" qui font aussi par ailleurs leur entrée dans l'empire comme fédérés et, avec le délitement à l'ouest, s'établissent aussi comme de tels potentats en amenant leur mode d'existence féodal qui voit les chefs de clans des grandes fédérations de "peuples" (goths, francs....) vivre en permanence avec leurs gardes liés par divers modes (liens de sang, serments personnels....), un type de relation pas nouveau (les chefs celtes et leurs "ambacts" et "frères d'armes") et qu'on retrouve à travers le haut Moyen Age jusqu'à la période viking (les housecarls des chefs et roitelets vikings). Les grands aristocrates romains tardifs et byzantins à qui échoyaient des commandements armés avaient par ailleurs pris depuis longtemps l'habitude d'avoir leurs propres gardes et troupes d'élites recrutées personnellement, les bucellarii (pour les garder et accroître des contingents impériaux parfois jugés insuffisants pour leur succès).

- le phénomène des gardes après, quand les Etats européens se constituent plus solidement, dure évidemment et retrouve les mêmes obstacles, limites et principes que sous l'empire romain, gardant donc l'ambiguité entre féodaux/grands seigneurs qu'il faut contrôler donc garder près de soi, besoin d'unités d'élite, besoin d'unités de formation d'officiers (de confiance et de compétence), besoin de protection personnelle, besoin de protection de l'Etat; il y a donc des unités avec des membres de grandes familles, des unités issues de l'armée et des unités pleinement privées et contrôlées à titre personnel par la personne privée qu'est aussi un souverain. Les gardes suisses de la monarchie française sont aussi cela, même si les autres unités de la maison du roi, notamment en raison du patriotisme, du statut ou d'une notion culturelle/étatique différente de l'époque romaine, ne sont pas forcément moins fiables suivant les circonstances (mais la trahison de Louis XVI par les Gardes Françaises n'est-elle pas, malgré beaucoup de différences fondamentales et sans jugement moral, du même registre qu'à Rome?).

- les ordres de chevalerie, bien que bénéficiant d'un statut "souverain", peuvent correspondre à cette définition d'armées permanentes privées: Templiers, Hospitaliers et Teutoniques particulièrement, plus que les ordres espagnols qui sont plus restés dans une sphère de contrôle étatique.

- la Waffen SS fut au final une armée privée

- les armées/bandes armées de barons de la drogue (surtout à l'heure des cartels dits "de 3ème génération" comme au Mexique) ou de seigneurs de guerre/chefs de bande répondent clairement à de telles logiques et sont donc à distinguer des mercenaires d'une part, et des mouvements idéologiques/politiques d'autre part (qui répondent moins à la logique personnelle et plus à des regroupements eux-mêmes politiques de mécontents/ambitieux en coalition: on dirait que certains de ceux-là sont parfois des regroupements d'armées privées).

- la survivance du phénomène des gardes "féodales" qu'on peut voir dans les zones tribales, parfois développées: typiquement, la famille Séoud en est l'archétype moderne avec sa "garde tribale" contrôlée personnellement et dont le rôle est en fait de la protéger de son propre pays qui n'est vu que comme une masse de ressources à exploiter, avec une armée régulière qui n'a d'armée que le nom et une garde nationale qui est là et dont le niveau de qualification sert avant tout à protéger le système politique des salafistes, mais dont la loyauté et la compétence ne sont pas suffisants pour le confort des Séouds qui arment, entraînent et contrôlent leurs gardes tribaux directement (commandements uniquement aux mains des Séouds, serments personnels, et cette garde ne vient que d'une ou de quelques tribus directement liées aux Séouds) et sans limitations.

En fait, l'une des différences majeures que je pourrais pointer entre des unités de mercenaires et ce que j'appelle une armée privée consiste en les buts: une unité de mercenaires dont le capitaine devient ambitieux et commence à jouer pour lui-même au-delà du simple intérêt commercial, avec le concours de ses troupes qui comprennent que le jeu change, et à entrer dans le jeu politique, devient une armée privée, même si elle ne change pas d'effectifs, d'organisation, d'apparence.... Les buts, les calculs, changent du tout au tout, donc la façon de combattre, de se penser dans le temps, de vivre au quotidien.... Elle ne se pense plus pour le combat, mais de fait pour la guerre au sens plein, et même plutôt la stratégie/politique au sens large, donc ne fait pas la même chose et n'agit pas de la même façon.

Ce peut être une "garde" ou un clan tribal qui décide de rompre l'équilibre politique de son environnement à un moment donné et de plus oeuvrer pour lui-même, ce peut être une unité ou un groupe de soldats réguliers décidant de changer de patron (généralement oeuvrant pour eux-mêmes et se distinguant d'une junte en ce qu'ils ne visent pas forcément à prendre l'Etat pour lequel ils bossent tel qu'il est et/ou à y changer l'ordre politique, juste à s'y tailler un fief), ce peut encore être un regroupement armé aux ordres étroits d'un chef/d'une loyauté particulière qui se coupe de son ordre politique d'appartenance pour n'oeuvrer que pour son intérêt directement perçu.... Comme ce peut être une unité mercenaire qui se découvre des ambitions plus que pécuniaires et "tente sa chance", ou encore une unité oeuvrant au sein d'un cadre politique existant mais avec des intérêts particuliers plus que pécuniaires qui parfois ne sont pas les mêmes que leur entité d'appartenance (cas de la Waffen SS, qui correspond bien à la féodalité nazie). Dans tous les cas, il s'agit d'un groupe armé à la cohésion particulièrement solide (au moins par rapport à leurs concurrents) et/ou au lien étroit avec leur dirigeant, qui cesse d'être un outil pour devenir une entité, une unité pour devenir une armée. Le cas d'une garde liée directement à la personne privée d'un souverain ou d'un potentat quelconque est similaire puisqu'ils ne travaillent pas pour un Etat mais pour une personne, donc pas dans la logique de l'Etat (même si ces troupes peuvent aussi, sur ordre personnel, agir dans le même sens que les autres unités de l'armée de cet Etat): ils sont une troupe personnelle, ce qui se voit particulièrement quand la personne du souverain et l'Etat, lors d'une crise (révolution de palais, révolte ou révolution tout court, coup d'Etat, lutte contre des séditions internes discrètes, actions en dehors de la règle de l'Etat....) ou dans d'autres circonstances, ne sont pas dans la même ligne, voire s'affrontent (souverain-tyran, coup d'Etat, révolution, action personnelle du souverain....). Je connais mal ce cas, mais la conquête et l'occupation du Congo Belge avant son don à l'Etat Belge, me semble procéder de cette logique, étant une initiative privée du roi des Belges, en dehors du cadre de l'Etat.

Un exemple en opposition: l'épopée des Almogavres dans l'empire Byzantin et la Garde Varègue, deux cas d'armées privées qu'on pourrait aisément confondre comme 2 unités mercenaires. Seulement l'une, de mercenaire, tentera le coup de se tailler un fief sous la conduite de ses capitaines ambitieux et dans un système qu'ils créent (en s'établissant comme élite dirigeante), l'autre restera fidèle à l'empereur, mais personnellement, pas comme une unité de l'armée.

Au final, le cas des groupements de fédérés barbares bouffant l'empire d'occident peut y être comparé, parce que si ces groupes sont bien à la base quelque chose, ce sont de vastes contingents de mercenaires obéissant à une logique commerciale (à grande échelle) et décidant d'entrer dans le jeu politique, pas des peuples comme l'historiographie du XIXème siècle nous l'a faussement fait croire. Ce sont en fait à la base des regroupements temporaires qui, une fois entrés dans l'empire, se structurent de plus en plus et deviennent de plus en plus des armées privées liées à des chefs plus permanents et "reproductibles" (affirmation de lignées), essentiellement à la base parce qu'ils sont victorieux et peuvent enrichir leurs troupes via l'acquisition en propre de territoire: la transition arrive pour moi chez les Goths après Andrinople (grosso modo à partir de 376), les Francs (en tout cas les saliens) à partir du foedus conclu avec Julien (359), les Vandales quand ils se taillent des fiefs en Espagne, puis en Afrique (début IVème siècle).

Quand elle réussit, une armée privée peut devenir un Etat ou une entité d'un Etat féodal, mais ce n'est pas sa seule logique possible, comme le montre l'exemple particulier des gardes personnelles (qui préservent une famille/un chef et favorisent ses intérêts, ce qui peut juste se traduire par le maintien de ce potentat à la tête d'un Etat ou d'une faction de cet Etat), ou de groupes cherchant quelque chose de plus particulier, d'ordre idéologique au sein d'un Etat (Waffen SS comme un "ordre nouveau") ou d'ordre plus "sectoriel" que territorial (mais plus que pécuniaire: essentiellement acquérir du pouvoir: type des groupements armés oeuvrant pour des multinationales actuelles ou des anciennes comme la Hanse ou des "Princes marchands" vénitiens ou gênois). A noter que l'emploi de tout petits contingents oeuvrant plus dans l'assassinat ou l'action "spéciale" par des entités de type commercial (légales ou non) entre dans cette définition.

Verra t-on par exemple certains contractors actuels agir plus ainsi , bien qu'il soit déjà débattable qu'une telle évolution (encore embryonnaire) se soit vue récemment dans le comportement de certaines boîtes sur des théâtres extérieurs (trafics divers, actions de rétorsion ne répondant pas à la hiérarchie militaire, comportements dégueulasses, poursuite d'intérêts particuliers parfois contre l'intérêt de l'Etat....)? Le lobbying, donc le levier d'action dont ils disposent auprès de l'Etat américain de fait en partie "contrôlé"/influencé dans ses choix ou certaines modalités de ses choix par des entités commerciales aux intérêts importants, parfois globaux, révèle t-il une évolution "féodale" qui pourrait se structurer graduellement en même temps qu'elle gagne en importance?

Que pensez-vous de la chose?

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J'ai lu en diagonale. Le sujet m'intéresse. J'essayerai de répondre plus tard (WE). Il n'y a pas un lien à faire avec le reportage de ton ami en Colombie (ma parole tu connais tout le monde !  =|) en prime des narcos mexicains. Je ne l'ai pas encore terminé le débit est naze. Eux ne sont-ils pas plus encore des barons de fait ? Leur territoire semble réellement inexpugnable.

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On pourrait dire, mais j'avoue que les FARC sont une mouvance politique, et j'essaie de mettre un distingo dans cette notion "d'armée privée" avec les mercos d'un côté, et les mouvements/mouvances (politiques, idéologiques, identitaires) de l'autre, et l'un des indicateurs pour la nuance avec ces derniers, est la relation à une personne/famille/groupe étroit (clanique) en particulier, et moins à une idée générale (en tout cas celle-là vient après). En fait, l'armée privée, je la placerais dans une relation de type féodal, donc pas commercial (ou plutôt pas seulement commercial/pécuniaire) et pas idéologique (en fait pas seulement): la relation à la personne ou au petit groupe est la première (d'où entre autres les distinctions que j'attente pour certaines boîtes actuelles de contractors, qui peuvent présenter des "symptômes" de ce type).

En fait, si j'établis ici une distinction entre les unités/groupements d'unités de mercenaires (qui sont des outils), les mouvements armés non étatiques (qui répondent à une situation d'abus réel ou perçu, suivent une idéologie, constituent le bras armé d'un intérêt commercial/criminel dans le seul but de maintenir cette activité commerciale sans plus) et ces "armées privées", c'est pour y souligner la notion essentielle d'individu, qu'il s'agisse d'un seul individu ou d'un petit groupe. Ce sont eux/lui qui sont à l'initiative et qui la gardent pour des buts essentiellement de nature individuelle (ou de l'idéologie personnelle du ou des individus) et sortant d'une logique annexe/étroite comme celle d'une activité économique pour embrasser tout ou partie du spectre des "affaires" (territoire, emprise et contrôle -donc aussi obligations- sur une population, capacité à peser politiquement y compris par la guerre....). Le cas des gardes est le même, à ceci près que l'individu en question est aussi le chef de l'ordre établi et que donc le but de cette armée privée est avant tout de garder cette personne ou ce petit groupe contre son propre pays. Mais il s'agit bien d'une armée, et non d'une troupe mercenaire, en ce qu'elle a un but politique et une autonomie par rapport à la structure de référence, autonomie qui peut devenir antagoniste en cas de crise.

Un mouvement armé non étatique peut venir d'une armée privée ou en devenir une, tout dépend de sa direction et du degré de contrôle et d'appropriation, tout comme une armée de mercenaires peut en devenir une ou venir d'une: l'idée est qui commande et pourquoi elle fait la guerre (ou menace de la faire), ce qui détermine comment elle la fait. La distinction de principe réside dans le fait que l'unité mercenaire est un outil asservi à une logique propre et limitée, spécialisée, et le mouvement armé, parfois un véritable proto-Etat, est plus déterminé par ses structures, son objectif/son idéologie, que par les individus qui le dirigent (qui sont du coup remplaçables). L'armée privée dépend d'individus, un ou un petit nombre, et d'une organisation ainsi plus personnalisée et "féodale".

Pour RL, je l'ai juste connu pendant 4 ans (dont 2 à Sciences Po), et si je l'avais imaginé à l'époque allant en Colombie, c'aurait été pour consommer la production agricole principale des FARCs :lol:.

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Une précision sur le principe féodal, sans doute particulièrement visé de ma part dans ce sujet (mais il est pas le seul): de fait, les défaites françaises de la Guerre de Cent Ans peuvent lui être imputées à 100%. La question n'est pas pour les batailles en question du "système d'armes" en vigueur ou des éléments à disposition, mais bien celle de la direction des troupes de campagne et plus exactement de leurs subdivisions, et avec elle la mentalité qui va avec. De fait, l'armée française de ces défaites n'est pas une armée; c'est un Host féodal, soit le rassemblement d'armées privées de grands seigneurs, elles-mêmes composées de sous-groupes des vassaux des dits seigneurs, et ainsi de suite jusqu'au plus bas niveau. Ca a l'air d'une pyramide hiérarchique mais ça n'en est plus une au sens militaire depuis longtemps, et le mouvement naturel s'est accentué avec l'affaiblissement du pouvoir central relativement aux grands domaines pendant la guerre et en fait depuis la mort de Philippe Le Bel.

L'une des particularités de la féodalité est l'importance fondamentale du rapport hiérarchique direct d'homme à homme: malgré des désobéissances correspondant à de multiples raisons (incompatibilité d'intérêts, trahisons, ambitions des vassaux faible et considération du seigneur -ces deux dernières réelles ou supposées-....), la règle générale est à un respect global de ce fonctionnement, sauf exception de la relation entre les Grands et le Roi, sommet de la pyramide féodale et en fait niveau de quasi politique internationale dans les faits. On obéit à celui qui est au-dessus, on se fait obéir de celui qui est en-dessous; mais le mécanisme ne marche pas du tout sans ces échelons, et personne ne peut se faire obéir du vassal de son vassal, par exemple, sauf évidemment par contrainte de force. Plus grave, les troubles économiques et la peste noire (avec affaiblissement démographique), la montée des "bonnes villes" (villes libres, à chartes, échappant à la règle féodale) et des "couches nouvelles", la concurrence économique et la quasi disparition du servage, le refus des obligations féodales à tous les échelons, l'enfermement de la noblesse féodale dans une mentalité de caste de plus en plus fermée et rétive au pouvoir central, la montée du coût des armures et équipements de guerre (qui ont pour effet de créer des "tranches sociales" de noblesse, et du ressentiment).... Ont concouru à accroître de beaucoup "l'égoïsme" local et féodal, le refus des obligations, et avec eux une mentalité générale qui ne va pas dans le sens de la construction ou même du maintien d'un semblant d'Etat: et l'exemple vient d'en haut, avec des grands féodaux qui, avec le temps, n'ont fait que chercher à s'enraciner dans le paysage, à rendre leurs fiefs héréditaires et à les renforcer pour s'y comporter de plus en plus comme des chefs d'Etats (ce qu'ils étaient depuis longtemps, mais seulement dans certains cas), Bourgogne en tête.

Et en temps de guerre, tous ces mécanismes fonctionnent en 10 fois plus fort face au besoin urgent (dont la faiblesse politique) du roi. Et de fait, les contingents privés formant armée sont des bandes inégales et indisciplinées refusant toute idée de tactique ou de stratégie par mentalité/culture, et plus encore celle de hiérarchie de fonctionnement par jalousie de leur statut et intérêt personnel (voire à Azincourt un Boucicault incapable de se faire obéir de grands féodaux qui lui sont socialement supérieurs et contrôlent réellement leurs contingents). La caste guerrière, faite des meilleurs combattants individuels de son époque, a cessé de savoir faire la guerre. Et le mauvais exemple vient parfois du plus haut comme le montre le rôle néfaste du roi lui-même dans ce registre, Philippe VI à Crécy comme Jean le Bon à Poitiers.

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Tu sembles vouloir dégager une réflexion de groupes privés se “publicisants” et donc devenant des proto-Etats féodaux. Le parcours inverse ne peut-il pas être observé à travers l’histoire ? Deux exemples qui peuvent sembler parlants, avec peut-être un troisième :

Les ordres militaires religieux. Je pense ici aux Teutoniques mais bien plus aux Templiers. La dotation des seconds se révéla rapidement insuffisante et les conquêtes de croisades ne suffisaient pas, si mes souvenirs sont bons, à entretenir l’effectif. L’ordre se mit alors à la banque et à percevoir des intérêts sur les sommes confiées, l’interdit étant contourné par un processus de carrousel monétaire (le prêt étant remboursé dans une autre devise) ou encore la proposition de services de change (par lettres). De facto cette force n’était plus fidèle à l’Eglise que par un foi commune, et sa puissance politique pouvait s’avérer gigantesque du fait d’une autonomie financière tirée de l’activité bancaire et d’une force militaire organisée et supérieurement équipée ‘(son core business). La chose cependant ne se concrétisera pas, l’ordre finissant comme on le sait.

Les tchétchènes. Il s’agit ici d’une force régulière de l’armée rouge qui pour des raisons idéologiques (économiques aussi ?) proclame un Etat, ses officiers en deviennent de facto les chefs.

3) l’ISI ?

Verra t-on par exemple certains contractors actuels agir plus ainsi , bien qu'il soit déjà débattable qu'une telle évolution (encore embryonnaire) se soit vue récemment dans le comportement de certaines boîtes sur des théâtres extérieurs (trafics divers, actions de rétorsion ne répondant pas à la hiérarchie militaire, comportements dégueulasses, poursuite d'intérêts particuliers parfois contre l'intérêt de l'Etat....)? Le lobbying, donc le levier d'action dont ils disposent auprès de l'Etat américain de fait en partie "contrôlé"/influencé dans ses choix ou certaines modalités de ses choix par des entités commerciales aux intérêts importants, parfois globaux, révèle t-il une évolution "féodale" qui pourrait se structurer graduellement en même temps qu'elle gagne en importance?

Que pensez-vous de la chose?

J’ai l’impression que pour l’heure nous n’avons qu’un proto exemple historique qui n’a pas duré : Executive Outcoms lors de sa LBO sur des mines en Sierra Leone. L’argent fut perçu et l’entreprise, apparemment, fut dissoute peu de temps après. Quid si elle avait enchaîné sur un nouveau contrat ou réinvesti certains gains dans un développement agricole et financier du pays pour se doter d’une assise économique “rentière” en plus des contrats ?

Je connais mal la dynamique Blackwater mais la firme reste quand même vachement aux ordres de Washington non ?

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La dotation des seconds se révéla rapidement insuffisante et les conquêtes de croisades ne suffisaient pas, si mes souvenirs sont bons, à entretenir l’effectif. L’ordre se mit alors à la banque et à percevoir des intérêts sur les sommes confiées, l’interdit étant contourné par un processus de carrousel monétaire (le prêt étant remboursé dans une autre devise) ou encore la proposition de services de change (par lettres). De facto cette force n’était plus fidèle à l’Eglise que par un foi commune, et sa puissance politique pouvait s’avérer gigantesque du fait d’une autonomie financière tirée de l’activité bancaire et d’une force militaire organisée et supérieurement équipée ‘(son core business). La chose cependant ne se concrétisera pas, l’ordre finissant comme on le sait.

Les ordres militaires religieux furent même les seules armées permanentes en Europe au Moyen Age. Mais les Templiers sont entrés dans l'activité bancaire de par leurs activités, pas de par un manque de fonds: dès le début, ils ont été bien dotés (à leur échelle) via le soutien actif du comte de Champagne, l'un des plus riches seigneurs d'occident (grande époque des foires de Champagne). Et très vite, ils ont cumulé les donations privées (souvent sous forme d'héritage) de toute la chrétienté, et le soutien très actif de nombreux seigneurs féodaux et souverains, en plus de celui de l'Eglise. Les dons étaient monétaires et en nature, l'essentiel sous forme de terres qu'ils ont beaucoup mis en valeur. Et par leur implantation internationale et même multicontinentale, ils ont développé leur propre flotte et donc leur propre commerce (faisant jouer la concurrence avec les thalassocraties italiennes, surtout Venise, Gênes, Pise et Amalfi), ce que les privilèges, statuts et facilités (autre forme de donations et aides, notamment de l'Eglise) qu'ils recevaient leur facilitaient (exclusivités commerciales, détention de ports d'attaches contrôlés, statut fiscal souverain....).

Toute activité bancaire à cette époque n'était que le reflet d'une grande puissance commerciale, agricole et "industrielle" (essentiellement le textile, la grande industrie du Moyen Age), pas l'inverse: seuls ceux dont l'activité dégageait du cash flow en masse pouvaient se lancer dans la banque, et encore fallait-il qu'il s'agisse d'entités bénéficiant d'un "réseau" largement implanté géographiquement, avec un niveau de confiance/sécurité solide, et des moyens de transport assurant des lignes régulières: cela seul permettait d'apporter confiance, sécurité et surface financière pour jouer à l'assureur/garant et au prêteur/usurier. La Hanse (confédération commerciale de nombreuses "sociétés") et surtout les grandes compagnies lombardes (réseaux familiaux étendus) et grandes familles vénitiennes et gênoises étaient les seules autres entités internationales pouvant jouer à cela, en plus de quelques individus particuliers. Et tous reposaient avant tout sur une capacité industrielle, commerciale et agricole importante. Il a fallu attendre le quatrocento pour que des entités avant tout financières, dépendant moins d'autres activités, existent, mais même elles reposaient encore sur une activité industrielle, commerciale et agricole certaine, avec toujours le textile comme base ou des corporations des grands "métiers" ou "arts": les familles comme les Médicis, aux XIVème-XVème siècles, faisaient reposer leur assise financière autant sur un capital, un réseau et un nom acquis que sur la possession et le contrôle des regroupements des grands "arte", à commencer par les "arte della lana", les lanistes ou industriels textiles, dont la plus connue est alors "l'arte di Calimala".

Pour les templiers, ils ont été banquiers en fait quasiment dès le début (en fait autour du milieu du XIIème siècle), face à l'afflux rapide de donations qui les mit à la tête d'un énorme capital foncier, industriel et monétaire qu'ils mirent vite en valeur: le désintéressement individuel, la durabilité de l'entité (pas liée à une dynastie ou un individu), son étendue (sur plein de pays, donc économiquement moins soumis aux aléas conjoncturels en plus d'offrir une "marque" de confiance sur toutes les grandes routes, donc une garantie pour sa monnaie fiduciaire), son statut juridique, "l'appeal" de la marque (garanti 100% anti-infidèle, vous irez au Paradis si vous donnez" :lol:), la sécurisation de ses lignes de com et leur régularité.... En faisaient un acteur incontournable dès le début, aidé en cela par la position centrale de la Champagne, son caractère de noeud du commerce européen, et le soutien plus qu'actif des Comtes de Champagne.

Mais je vois pas en quoi les Templiers seraient le "parcours inverse" d'un groupe privé devenant un proto Etat? De fait, ils l'ont toujours été, avec un caractère ambivalent étant donné qu'ils étaient une entité "privée" multi-implantée en Europe, avec un statut juridique souverain (mais pas réuni comme une "puissance" complète parce que totalement dispersés), et un Etat féodal au Levant, y compris après la chute de St Jean d'Acre (il reste des îles contrôlées). Ils sont un peu bâtards, étant une sorte d'Etat à un endroit, une multinationale à un autre.

3) l’ISI ?

Plus dur, l'ISI me semble un Etat féodal extrêmement divisé à l'intérieur d'un Etat.

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Non, du tout; j'ai mis moi-même les templiers dans le sujet dès le premier post. Et j'essaie de circonscrire quelque chose, ou plus exactement de "classifier" un phénomène particulier, de dégager une forme donnée d'armée non étatique au milieu d'un ensemble plus vaste d'organisations non étatiques ayant des forces armées/des moyens de violence. Pas évident. Mais ça me semble important à notre époque où ils deviennent une composante si énorme de la violence prévisible: il peut être intéressant de cerner les différentes logiqus à l'oeuvre, qui impliquent différentes façons de faire la guerre, différents types et niveaux de volonté de la lancer et de la poursuivre, donc différentes manières d'y faire face efficacement.

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Je saisis mal la masse critique que tu cherches à désigner. Au regard des masses de population actuelles, le coût d'entretien d'une force en mesure de se tailler une forme moderne ou non de fief doit tout simplement être considérable et nécessiter des effectifs notables. On parlerait là de plusieurs milliers d'hommes au moins voir dizaines de milliers entretenus en permanence et d'un niveau supérieur au vaste effectif de gardiennage.

Je vois mal comment la chose pourrait arriver à part en envisageant une forme de hold up d'une SMP sur le CA de la boite ou du gouvernement qu'elle avait à charge de protéger. Elle devra en outre en assumer nombre de missions, ce qui suggère que les cadres de cette Compagnie disposent de la compétence nécessaire ou soient en mesure d'en recruter de nouveaux. Mais ne risqueraient-ils pas de perdre le contrôle de leur acquisition ?

Une autre piste serait qu'un fief de fait serait constitué par un grand Etat sur un pays dont le régime aurait récemment pu changer. Le nouveau gouvernement sous traitant un "contrat d'assistance".

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Je saisis mal la masse critique que tu cherches à désigner. Au regard des masses de population actuelles, le coût d'entretien d'une force en mesure de se tailler une forme moderne ou non de fief doit tout simplement être considérable et nécessiter des effectifs notables.

Pour le tenir oui, pas tellement pour le prendre, si on parle d'Etat ou de régions, surtout fragilisés: regarde les Talebs, regarde les narcos au Mexique, regarde les FARCs, regarde le degré de contrôle dans nombre d'Etats africains.... La population elle-même est un enjeu ET un moyen.

Je vois mal comment la chose pourrait arriver à part en envisageant une forme de hold up d'une SMP sur le CA de la boite ou du gouvernement qu'elle avait à charge de protéger. Elle devra en outre en assumer nombre de missions, ce qui suggère que les cadres de cette Compagnie disposent de la compétence nécessaire ou soient en mesure d'en recruter de nouveaux. Mais ne risqueraient-ils pas de perdre le contrôle de leur acquisition ?

Oui et non, il ne faut pas raisonner à monde parfait et constant: le monde est un bordel, et tant de choses s'y jouent à rien, surtout à très haut niveau où tout peut se jouer à une question de personnes (exemple type, la révolution de Palais). Sans compter que foutre à bas un Etat fragile ou une de ses composantes régionales peut être très facile, et ça n'implique pas nécessairement, pour garder le contrôle au moins pendant une période, d'être un BON remplaçant (les Djandjawids contrôlent leurs régions, ils n'ont pas pour autant besoin d'être de bons patrons n'y de ne pas dépendre/être soutenus par un voisin plus costaud).

Ca se vérifie surtout quand tu vois le délitement de beaucoup d'Etats; on pourrait faire quelques scénaris types pour une évolution sur 100 ans des USA. Certains verraient une renaissance de l'Etat US, d'autres un maintien des choses, d'autres enfin une affirmation graduelle d'une autre forme de féodalité, corollaire de l'affaiblissement de l'Etat fédéral, avec des séparatismes géographiques, l'intervention de pays étrangers et/ou la montée de groupes privés (multinationales, mais aussi mouvements sociaux, religieux, idéologiques.... Tous pouvant être joints par divers types de liens; regarde les Mormons par exemple) qui acquèreraient des pans d'autorité/souveraineté (droit de lever l'impôt? D'avoir une force armée? De battre monnaie? De gérer les routes?) qui pourraient se structurer autour de territoires "détenus" (propriété foncière, emprise politique, monopole local sur la finance ou l'immobilier, maîtrise des services essentiels....). Les formes sont multiples, et l'histoire de la guerre civile romaine montre que même une entité politique solideet immense peut se féodaliser en interne (les grands acteurs deviennent plus puissants que l'Etat) et se recomposer (et l'unité n'est pas garantie à la fin: avec Auguste, ça a réussi, au IIIème siècle, ça a été plus dur, au Vème, ça s'est planté).

Elle devra en outre en assumer nombre de missions, ce qui suggère que les cadres de cette Compagnie disposent de la compétence nécessaire ou soient en mesure d'en recruter de nouveaux. Mais ne risqueraient-ils pas de perdre le contrôle de leur acquisition ?

Sur ce point spécifiquement (j'ai digressé avant), il ne faut pas voir l'acteur féodal comme seul à tous les points du processus; détruire tout ou partie d'un Etat, prendre cet Etat ou une de ses parties, et garder le dit fief, aucune de ces choses ne se fait seul. Le dit acteur "féodal", dans le cas de ce fil avec une armée privée, est juste le meneur d'une tendance, ou le poids additionnel (plus ou moins conséquent) qui change l'équilibre existant, aggrave les déséquilibres existants, change l'équation. Il rallie d'autres forces (de gré ou non), surfe sur des tendances (perte de crédibilité d'un Etat ou d'un gouvernement, délitement de l'esprit public, égoïsmes divers, temps de crise, changements de mentalités....), compte sur une part d'apathie/inaction et/ou la désorganisation ou la trop grande faiblesse des oppositions potentielles.... Pour oeuvrer. Tout cela lui procure des forces, des moyens, une assise et des opportunités qu'il n'a pas par lui-même tout seul. Il accélère une tendance, voire la renverse, ou fait osciller les plateaux d'une balance à l'équilibre fragile (mais qui a encore plusieurs possibilités d'en retrouver un, plusieurs futurs possibles), mais il ne le fait pas seul: il donne l'impulsion qu'il faut au moment qu'il faut.

Ce qu'il ne faut pas imaginer, c'est une SMP, même avec 20 000h, prenant du jour au lendemain les USA sans avoir prévenu personne ;). Ca, effectivement, c'est délirant.

Et après, rien ne garantit le succès d'un acteur en particulier, et rien ne garantit un succès durable, mais ça n'empêche pas de tenter, et ce faisant de foutre un sacré bordel rendant une tentative ultérieure plus probable encore. Mais pour rester sur les USA, quand je vois des grandes villes ou des Etats ne plus pouvoir financer leurs infrastructures et recourir au mécénat privé non pour des musées ou des stades, mais pour des appros en eau potable, des écoles.... Je pense que le mot "féodal" peut commencer à s'appliquer. Dans un pays où le processus législatif et le système électoral sont à ce point dans les mains de grandes "factions" (dont beaucoup juste capitalistiques), c'est une évolution très possible, surtout quand on superpose le fait à l'évolution territoriale du pays (qui contrôle quoi, comment "marchent" certains Etats et certaines grandes villes....) et à la "structuration" de sa société et de sa scène publique (plus conflictuelle, des pans d'opinions de plus en plus fermés dans quelques logiques fondamentales, des mouvements sociaux/religieux puissants, dont certains peuvent être près d'une taille critique dangereuse....).

Juste un exemple d'un potentiel "acteur féodal" émergeant: une mouvance religieuse à forte empreinte au sol (et médiatique/politique), représentant des intérêts économiques importants, se met à avoir des liens de plus en plus structurels avec de grandes structures économiques et financière (parts de capital détenus, intérêts communs, personnes aux postes clés....), ces structures donnent entre autres dans le domaine de la sécurité, donc aussi de SMP importantes, secteur qui se concentre de plus en plus (grandes sociétés de gardiennage et/ou entraînement, services divers aux armées, flottes aériennes....), dont certaines sont purement militaires (y compris des services dangereux) et donnent aussi dans le renseignement dans tous ses aspects (écoute, technologie, base de données, tri de données, renseignement humain, capacité d'opérations "sales", capacité pro de désinformation -cellules de com de crise....) joint à une puissance médiatique certaine (médias contrôlés, sociétés de com....). Toutes ces choses existent aujourd'hui à divers degrés d'évolution. Ajoutons que les services fédéraux, à commencer par l'armée, répondent aussi à de telles logiques puisqu'ils sont aussi faits d'individus, de loyautés, d'ambitions et de tendances/groupes (sociaux, religieux....). Ajoutons enfin que certains groupes peuvent aussi compter sur divers types de "forces irrégulières" potentiels: groupes survivalistes, mouvances extrémistes diverses (voire gangs), "groupes citoyens" et milices locales en tous genres (anti-immigration, anti-Etat fédéral....), sectes armées....

Ces regroupements, de plus en plus structurés avec le temps, ont un poids politique croissant, donc une "part de marché politique" dans un ou plusieurs Etats, une ou plusieurs grandes villes, et au niveau fédéral, via des élus, des hauts fonctionnaires, des concessions de marchés publics, et des lobbies et think tanks en tous genres. Dans un contexte d'affaiblissement de l'Etat fédéral (moins de moyens, moins d'autorité, moins de crédibilité....), de l'esprit public, de la cohésion de l'espace nord américain, le cap du contrôle direct peut être franchi, avec une capacité armée privée pas négligeable à laquelle s'ajoute, dans un Etat contrôlé, la Garde Nationale et les réservistes du coin éventuellement, plus peut être même les implantations militaires qui s'y trouvent. Ajoutons que l'armée elle-même peut y répondre diversement suivant la situation ou le degré de dégradation de l'Etat, y compris ses propres divisions en interne. Ca peut prendre la forme d'un fief indépendant taillé dans les USA, ou d'un fief dans les USA, et qui en prend le contrôle, vraisemblablement partagé avec d'autres acteurs similaires et/ou d'autres types d'acteurs, mais dans tous les cas, ce n'est plus de fait le TOUT que forme les USA via l'Etat qui contrôle, mais bien des acteurs internes de type féodal qui, dans la logique des organisations, répondent au final à une personne ou à un petit groupe de personnes. Et non, ce n'est pas de la science fiction; l'histoire humaine, en tout cas des organisations humaines, est faite de ça, et quasi uniquement de ça.

Regarde l'évolution de la république romaine et de son armée: au départ, il s'agit bien de l'armée contrôlée par le Sénat, à la fin de la République, il s'agit d'armées privées qui ont juste besoin de la sanction du Sénat pour être levées (et encore s'en passe t-on de plus en plus souvent, d'abord en recrutant autant d'auxilliaires qu'on veut, puis en levant des légions), et cette sanction est-elle même l'objet d'un jeu politique entièrement aux mains des clans les plus puissants, qui "tiennent" le vote d'un nombre réduit de grandes portions du Sénat. C'est une "féodalisation en interne" des institutions, pas en fragmentation territoriale totale, quoique ça finisse par ça. Et encore, avant même la guerre civile, les grands acteurs "contrôlent" des territoires même s'ils restent nominalement tous dans la république (Pompée a l'Espagne et le sud de l'Italie ainsi que l'accès aux ressources d'Egypte, César a les Gaules, Scipion l'Afrique....). Ils contrôlent de même des routes commerciales, des parts de certains marchés ou des pans entiers de l'économie en même temps que les nominations aux cultes publics et des pans d'opinion (César en particulier tient véritablement la Plèbe), des quartiers de Rome, des masses de vétérans.... Bref, des acteurs internes détenant les leviers qu'il faut dans toutes les formes de pouvoir, et disposant d'armées privées, renversent l'Etat sans pour autant que, vu de l'extérieur (autres pays), la République change beaucoup. Pourtant, la guerre civile change véritablement le monde antique.

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Je suis tout à fait d'accord avec le point de vue de Tancrède. L'Histoire est un chaos et beaucoup de choses qui nous paraissent impensables aujourd'hui se produiront dans le futur, pas forcément lointain. Nous sommes en république, mais qui peut dire que ça durera toujours? Pourquoi une forme de royauté ne renaîtrait-elle pas un jour, ou un empire, ou un gouvernement sous influence des devins ou des chamanes, si les conditions changent... La science elle-même perdura-t-elle sous sa forme actuelle rationnelle et séparée et de la philosophie et de la religion? Je constate que certains secteurs de la science sont déjà sous l'influence de la politique qui dicte à l'avance leurs conclusions... Pour les armées privées idem. La vision marxiste d'une Histoire qui aurait un sens comme la trajectoire d'une flèche, via des crises aux effets dialectiques, bref d'une Histoire tendant vers le progrès continu -ou ce qui nous semble l'être à l'instant T d'une civilisation- est fausse, on le sait maintenant, mais elle imprègne encore les esprits par sa puissance car elle reposait sur notre besoin de compréhension et de rationalisation. Mais non, l'Histoire est un gros bordel, avec quelques constantes certes, comme par exemple le fait qu'à une période d'insécurité très grande ou de révolution succède un régime fort qui rassure. Pour le reste...  :P

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Oui, et comme toute forme de pouvoir cherchant à aller toujours un cran plus loin et couvrir toujours un spectre plus large, une organisation aux intérêts et moyens sans cesse croissants prendra toujours le domaine de la violence, à un stade ou un autre. Ca peut partir de ce domaine, ou ça peut y accéder plus tard.

Je renvoie à certaines époques qui sont parties de l'action armée pour constituer des Etats là où il y en avait (une faction se taillant un fief et/ou le rendant de plus en plus indépendant, un envahisseur sans Etat, une révolution de Palais....) ou là où il n'y en avait pas/plus (s'imposer face à d'autres concurrents, acquérir la surface nécessaire pour imposer une autorité....):

- les Grecs mycéniens décrits dans l'Iliade sont clairement dans un tel processus (dans leur réalité historique)

- les vikings, peut-être le meilleur exemple: de fait, la période viking (VIIIème-XIème siècle), voit des raids qui sont pour l'essentiel des expéditions privées, permettre à des entités réduites, rarement le fait d'un petit roi ou d'un autre, acquérir du capital politique, des loyautés guerrières et du fric. Au fil de la période, les raids sont de plus en plus grands, de plus en plus structurés (la petite entreprise reste aussi, mais domine moins), autant parce que les acteurs grandissent (donc veulent plus, ont besoin de plus) que parce que les pays agressés réagissent comme ils peuvent (dans le bordel post Louis Le Pieux). Mais "au pays", en Scandinavie, cette évolution veut dire que le "marché" se structure autour d'acteurs de moins en moins nombreux et de plus en plus grands, et ce processus va jusqu'au point où ces acteurs deviennent un nombre d'acteurs limité à quelques grandes factions qui peuvent lever des armées et s'affronter entre eux jusqu'à ce qu'un puisse s'imposer durablement. Norvège (par Harald Hardradi, revenu plein aux as de son temps de service à Constantinople, puis Knut le Grand) et Danemark sont nés ainsi. La Suède, qui a connu plus d'émigration (vers la Russie surtout), plus de commerce et moins de raids seulement guerriers, a eu un processus plus lent et "pluriel" qui lui ont occasionné une période de conflits internes plus durable (jusqu'à la fin du XIIème siècle).

- les ligues de peuples des grandes migrations/invasions correspondent aussi à ce processus: Francs, Lombards, Goths (Wisigoths en Gaule puis en Espagne), Vandales, Burgondes, Saxons.... Se sont constitués en grandes factions puis Etats avec plus ou moins de durabilité (l'Etat vandale en Afrique n'a pas duré longtemps) mais étaient à la base des bandes armées sans territoire fixe (ou en tout cas mis en valeur) ni activité économique. Et à la base, il s'agissait de multiples micro-peuples très divers, certains nomades, certains sédentaires (chasseurs cueilleurs). Les Francs, les Alamans étaient les peuples celtes et germains qui avaient toujours été entre Rhin et Elbe, par exemple. Les Saxons étaient pour l'essentiel des peuples des bouches de l'Elbe et du sud du Danemark qui étaient en contact avec Rome depuis Auguste (et souvent alliés avec Rome contre leurs voisins); au IVème siècle, ils ont commencé à se structurer en plus grand et à faire, en plus grand, ce qu'ils faisaient depuis toujours: des raids de pillage. Mais il leur fallait aller toujours plus loin et prendre toujours plus vu qu'ils étaient plus grands et qu'il fallait plus pour tout le monde et plus pour que leurs élites puissent acquérir plus de contrôle, fédérer plus de monde et s'affronter entre eux pour qu'il n'en reste que quelques uns. L'Angleterre fut leur cible.

- les Hongrois aux IXème-Xème siècles font la même chose avec leurs raids toujours plus grands et toujours plus importants qui vont toujours plus loin (jusqu'à Lyon)*

Tous ces exemples sont dans les faits des armées privées (liées à des individus, des familles, des chefs de factions), fonctionnant selon un système non étatique et purement individuel/féodal, dont le but ultime est un fief qui devient un Etat pour ceux qui réussissent.

Et ce processus arrivant chez des "pré-nations"/proto Etats qui commencent au niveau individuel et y reste par une forme ou une autre de féodalité d'essence individuelle et/ou familiale, arrive aussi, sous des formes un peu différentes mais avec les mêmes principes, au sein de grands Etats organisés (ou d'Etats féodaux se composant et se recomposant en interne sans cesse); l'empire parthe perse, l'empire macédonien (et ses successeurs), l'empire romain le montrent bien, de même que l'histoire russe, celle de l'Allemagne, ou celle des Etats occidentaux d'Europe, entre autres. Le Japon est pas mal non plus dans le genre, avec le premier Bakufu qui est clairement une montée et une structuration croissante de contractors militaires prenant l'ascendant sur la structure étatique incarnée entre autre par la noblesse. L'Italie des XIVème-XVème siècles, très partiellement féodale, juste avant le volet international des guerres d'Italie (le XVème est véritablement une 1ère guerre d'Italie, mais sans trop d'emmerdeurs étrangers), offre le même spectacle d'Etats structurés changés par l'apparition et la croissance d'acteurs militaires privés.

C'est pourquoi la privatisation de la violence actuellement offre un champ d'analyse et de prospective très vaste, quand on ne le regarde pas isolément.

Je suis juste étonné quant à la vitesse d'accumulation du capital de tels groupes décrite par Tancrède

D'abord, et surtout dans l'exemple américain, ils ne datent pas d'hier. Ensuite, il ne faut pas les regarder tous seuls; les petites SMP d'il y a 10 ans ont grandi, et avec la taille (et les perspectives) vient une autre logique, notamment celle du lobbying donc de l'action politique et d'une "communication"/légitimation dans beaucoup d'aspects de la société, ainsi que toujours plus de champ de l'activité militaire qui sont couverts (y compris le monde du renseignement). Les sociétés qui grandissent englobent toujours plus de domaines, les sociétés spécialisées se joignent à d'autres spécialités (ou les rachètent ou sont rachetées par elles), ces activités se joignent à tout le spectre "sécurité" (gardiennage, surveillance, investigation privée, production de matériel....) en touchant donc aussi des aspects grand public (donc des marchés énormes et durables, moins soumis à un contrat particulier); la tendance à l'outsourcing les voit grapiller toujours un peu plus côté militaire. Et avec ça, la taille de certains devient considérable, à des niveaux où l'argent n'est plus seulement de l'argent, mais du pouvoir. Et comme toutes sociétés, elles se joignent à des domaines et acteurs plus ou moins proches, via différentes logiques; mais l'adossement de grandes boîtes de sécurité/contractors à des structures financières énormes comme les compagnies d'assurance ou de transport maritime semble une tendance durable. Sans compter parfois le fait que nombre de patrons de ces milieux ont des intérêts, des ambitions, des convictions qui croissent et veulent parfois plus que juste un peu d'influence pour renouveler et étendre leurs marchés (voir le fondateur de Blackwater, Eric Prince, et ses "convictions" politiques et religieuses). Passé une certaine échelle, ce ne sont plus juste des chefs d'entreprises. Et quand tu vois d'autres pans d'un pays avoir des factions de taille croissante qui exercent un certain contrôle sur des pans d'opinions, des territoires.... Tu te rappelles que le pouvoir recherche le pouvoir et que les grands se fédèrent toujours un peu plus. 30 ans d'exemption fiscale des mouvements religieux, par exemple, en ont fait des entités sociales, médiatiques, politiques et capitalistiques d'importance: les Mormons ne se sont pas emparés de Las Vegas en arrivant les mains dans les poches, de même qu'ils ne bâtissent pas des "Eglises" hors de l'Utah qui sont des centres communautaires gigantesques aux aspects de palais, avec de la seule bonne volonté, ou qu'ils n'envoient pas des missionnaires (avec plein de moyens) dans le monde entier juste par le miracle de la foi. Les Evangélistes avec leurs "universités" énormes, leurs églises-supermarchés géantes, leurs missions, leurs chaînes de télés, leurs lobbies, leurs think tanks, leurs maisons d'édition, leurs actions sociales de grande échelle, leurs parcs d'attraction.... Sont pires encore (et la scientologie, c'est gravissime mais TRES riche et très présent). Et ces organisations, entre autres, sont du pouvoir, ont des affinités avec d'autres organisations de tous types et tailles, ont une emprise sociale et territoriale, des personnes placées un peu partout, des gens qui les écoutent, des chefs d'entreprises de toutes tailles qui font partie de leur "famille".... Et pas mal de participations dans beaucoup de business, y compris des SMP. Ce sont plus que des sommes d'individus: ce sont des organisations vastes, puissantes, avec des leviers de pouvoir importants et croissants, qui dans le cas des religions approuvent toujours un peu moins l'évolution des temps (nettement plus radicaux qu'il y a 40 ans, et plus nombreux), sont de plus en plus "frontaux" dans le débat public, refusent de plus en plus tout compromis (propre des prosélytes et radicaux: tout le monde doit faire comme eux). Ils concourent de l'affaiblissement graduel de l'Etat dans la société américaine. Et ce dans un contexte de fragilité de la société et de l'économie américaine, et surtout une tendance de long terme à la polarisation graduelle des richesses et à la concentration capitalistique de l'activité économique.

Mais là on a de l'idéologie; à côté de ça, tu as les "groupes" traditionnels du business américain, entre autres, les identités régionales....

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Petit remontage pour un gros oubli, des plus essentiels :-X....

Dans l'histoire des organisations militaires privées, on peut dire que certaines se démarquent plus encore que des aventuriers hauts en couleurs (sauf ceux qui se sont taillés des Etats): les grandes compagnies commerciales européennes des XVIème-XVIIIème siècles, au premier rang desquelles, évidemment, les 2 grandes "Compagnies des Indes" (orientales) anglaise et hollandaise. Ce furent réellement des puissances géopolitiques, des Etats dans l'Etat; la Hollande elle-même, celle dite des "Gueux de mer" qui s'émancipe de l'Espagne des Habsbourgs alors au fait de sa puissance, se constitue d'ailleurs en République autour des cercles d'armateurs-assureurs maritimes (entre autres) qui se réuniront aussi pour former ce qui deviendra la VOC.

Les 2 ont disposé d'armées, de flottes, de territoires, et plus encore, en étant non des Etats, mais des entités au sein d'Etats stables, de leviers déterminants sur la politique des dits Etats. Et parmi les dits leviers, on constate que la politique du fait accompli forçant les Etats à suivre fut l'un des plus utilisés.

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J'y avais songé mais écarté la chose pour l'East India, je sais plus pourquoi...

La VOC ne peut-elle pas tout simplement être considérée comme l'Etat néerlandais ? je veux dire vu le niveau d'imbrication c'est bonnet blanc et blanc bonnet non ?

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Quand même pas:

- il y avait d'autres "lobbies" internes, d'autres "féodalités" commerciales: les grandes pêcheries, celles qui maniaient des flottes immenses de harenguiers ou morutiers, notamment, la compagnie des Indes occidentales.... Mais aussi des intérêts fonciers quand même importants dans un pays ayant aussi une agriculture rendue d'autant plus importante par la petite taille du pays.... Et des banques et organismes financiers suffisamment importants pour exister avant tout via cette activité. Sans compter quelques grandes familles (comme les Orange Nassau au premier chef) et des titulaires de charges et d'administrations qui avec le temps sont devenues ou deviennent des entités importantes (notamment via les familles et individus qui apprennent à y peser): flotte de guerre et armée, mais surtout la gestion des digues et canaux, si cruciale en Hollande (encore aujourd'hui), véritable entité interne à l'Etat et absolument vitale pour le préserver autant que pour gagner de l'espace sur la mer (le lobby agricole y est étroitement lié). Enfin, et non des moindres, les "industriels", autant que les commerçants, pèsent lourd: regroupements capitalistiques des métiers importants qui ont connu des concentrations parfois énormes, ils ont leur mot à dire, et avant tout les drapiers et industriels du textile, éminents générateurs de cash et d'activité avec une forte empreinte au sol et locale. Après, évidemment, beaucoup de ces intérêts commerciaux sont croisés, souvent présents au sein des mêmes familles, souvent divisés entre eux et unis avec des activités "concurrentes".... Mais au global, cela empêche un monopole politique par une seule activité. Globalement, pour comprendre le succès économique de la Hollande entre la fin du XVème siècle et la fin du XVIIème siècle, il faut voir la conjonction de plusieurs facteurs économiques, techniques, géographiques, événementiels (notamment la chute d'Anvers comme rivale) et culturels/politiques dont aucun isolément ne peut constituer une explication dominante. Un des points de départ, par exemple, est le privilège médiéval du droit d'entrepôt, qui peut être une barrière autant qu'un booster économique, mais qui, par les hasards de la géographie, de l'histoire et par la mise en valeur du territoire, fut le fondement de la prospérité commerciale ultérieure des Provinces Unies en en faisant un hub commercial, financier, informationnel.... pour le commerce du grain et du hareng, qui donna naissance à une première génération de grands acteurs économiques capables de développer leurs actifs à une échelle rarement vue jusqu'alors, sinon en Italie. En traduction politique pour le gouvernement local, cela plaçait les commerçants fluviaux ("redistributeurs" du hareng et du grain vers l'Europe du nord et affrêteurs-assureurs) au top, en même temps que les "industriels" du conditonnement du hareng (fumé ou en saumure), les armateurs des grandes pêcheries, ainsi qu'un ensemble d'organismes se spécialisant graduellement dans l'intermédiation commerciale et financière de ces flux. Avec le temps, ces derniers acquirent suffisamment de capital pour constituer des organismes de plus en plus complets d'expertise financière et d'investissements, véritables marchés financiers modernes (même s'ils gardaient des intérêts dans des activités "réelles", des participations multiples plus qu'un contrôle direct). C'est là que s'est développée une première forme moderne d'actionnariat anonyme. Là-dessus, ces acteurs, et d'autres (notamment des armateurs de "grand commerce") se lancèrent dans le commerce des épices et autres produits issus des nouveaux espaces commerciaux, qu'ils purent développer aussi via le traitement/conditionnement de ces produits permis par l'existence et la croissance d'industries "pointues" (filages de soie....) dont ils ont drainé la main d'oeuvre depuis les Flandres. La taille des acteurs a aussi permis, via intervention gouvernementale, de stabiliser les prix du marché (régulation, monopoles légaux....), ce que l'accroissement des flux, la constitution de larges stocks et le développement de l'assurance permettait par ailleurs. La petite taille du pays et l'interconnexion favorisée par le consensus politique, la réunion des acteurs, l'organisation d'un gouvernement économique, ont permis de concentrer flux et activités vers Amsterdam et son système d'entrepôts toujours croissant: de fait, la réunion physique des biens, des acteurs, des structures, de la législation.... Permettaient à un véritable marché moderne multi-produits et services d'exister et de fonctionner en boucle de plus en plus courte. Au global, cela signifie quand même politiquement qu'il y avait beaucoup plus d'acteurs que la seule compagnie des Indes orientales qui pesaient dans cette boucle d'activité (les redistributeurs en Europe pesaient donc collectivement au moins autant, par exemple). Elle n'était que le plus grand de ces acteurs. A côté de ça, la modernité de l'agriculture a permis, plus tôt qu'ailleurs, une division très poussée du travail (via entre autre un exode rural partiel, de type révolution industrielle en plus petit, analogue à celui des cités-Etats italiennes); des marchés relativement libres, mais aussi très protégés, une circulation des facteurs de production (avant tout favorisée par la proximité physique due au phénomène urbain et à la taille du pays), un développement, via le phénomène urbain, d'une classe moyenne consumériste, le niveau culturel/technique.... Sont les autres facteurs majeurs, avec pour conséquence et cause à la fois une direction politique nationale et locale culturellement attachée aux libertés économiques, à la visibilité/stabilité quand au droit des contrats, au droit de la propriété....  La vraie particularité du développement économique de la Hollande et dans l'émergence de son "gouvernement" réside dans le fait qu'il s'agit d'un espace qui a pris, à un certain moment, conscience de lui-même aussi bien politiquement qu'économiquement, peut-être à partir des ducs de Bourgogne, et qu'il s'est graduellement organisé en conséquence, connectant absolument tout l'espace en un système complexe d'interdépendance: début XVIIème siècle, 40% seulement de la population bossait dans l'agriculture (sol et pêche), avec 30 % dans le commerce au sens large (cela inclue les marins marchands) et les services financiers et commerciaux, et 30% dans un secteur artisanal, manufacturier et industriel extrêmement compétitif. Dans l'espace, la spécialisation de chaque zone était extrême, autant dans l'agriculture (monoculture d'exportation pour l'essentiel dans chaque localité) que dans l'industrie/artisanat ou le commerce (un petit port est spécialisé dans un commerce ou une pêche), avec des "hubs" portuaires, fluviaux ou routiers dont la taille détermine la diversité de ses activités, et quelques grands centres ayant fonction de centralisation (via les entrepôts) et donc de "décideur"/intermédiateur commercial et financier (Amsterdam au centre).

- plus largement, et si particulier dans l'émancipation de la Hollande, les communes, corporations de métiers plus petits, groupements sociaux/religieux.... Sont directement des relais de la population, ou au moins de certaines tranches, importantes, de la population. Le tout au sein d'un petit pays très mis en valeur (communications rapides, interaction plus fréquentes et directes entre pouvoir et base), très homogène religieusement et culturellement, avec une cause de consensus absolu et ressenti à raison comme un danger immédiat: la lutte contre l'Espagne. 80 ans de cette urgence comme acte de naissance, avec un passé préalable de lutte contre un Etat lointain et féodal, ressenti comme étranger (la France pendant longtemps, mais aussi l'Empire), ça forge des modes de fonctionnement qui doivent impérativement prendre en compte d'autres intérêts que ceux des seuls grands armateurs de la VOC.

Mais évidemment, la VOC a pesé, et lourd, aussi et surtout parce que la Hollande, enserrée territorialement alors même qu'elle était menacée, encerclée par le plus grand empire de son temps, n'avait d'issue commerciale que par la mer pour développer ses moyens, acquérir du capital, afin de maintenir la lutte pour son indépendance. La VOC en a profité, comme d'autres acteurs du "grand commerce" maritime et colonial, prenant des initiatives et forçant la main à l'Etat hollandais à l'occasion, surtout parce qu'il n'y avait pas d'autres alternative pour croître, ce qui facilitait le consensus par défaut d'opposition.

La question est différente en Angleterre, parce qu'elle avait des marges de manoeuvre, et l'expansion de la East India Company procède là d'affrontements politiques plus équilibrés, donc de choix fondamentaux de politique plus discutables. L'expansion en Inde, surtout au XVIIIème siècle, relève là d'un tout autre débat dont l'évident profit qu'a retiré l'Angleterre de cette exploitation ne doit pas obérer le fait que d'autres choix auraient pu être faits, peut-être meilleurs y compris commercialement/économiquement, qui auraient changé radicalement l'attitude géopolitique britannique du XVIIème au XIXème siècles. Et là, il s'agit bien de la pression exercée dans les milieux décisionnels britanniques (et sur le terrain par la politique du fait accompli) par une entité privée.... Très halliburtonesque, très United Fruit Company-esque (sauf que cette dernière outsourçait la conquête militaire au Marine Corps après avoir foutu la merde).

Quelques chiffres, pour situer la chose:

- en 1669, la VOC hollandaise, c'est 150 navires marchands de grand tonnage détenus en propre (non comptant les contractants et les associés qui paient leur écot pour participer aux convois), 40 navires de guerre (uniquement les unités "de ligne"), 50 000 employés (administrateurs, commerçants, marins -qui sont aussi des combattants potentiels- et autres) et une armée de 10 000h, majoritairement placée dans les territoires d'outre mer (comptoirs et territoires) qui APPARTIENNENT à la compagnie (entre autre la colonie du Cap -future Afrique du Sud-, Ceylan, l'île d'Amboine, une partie de la côte ouest de l'Inde, beaucoup de zones en Indonésie, de très rentables établissements en Chine, à Taïwan et au Japon, une forte empreinte en Perse....)

- un chiffre qui dit tout: à son apogée en 1857, à la veille de la révolte des Cipayes, l'armée de la East India Company anglaise en Inde, représente plus de 350 000h (dont 40 000h dans les unités "anglaises" et autour de 30 000 dans des unités de "semi-réguliers"). Ces troupes sont organisées en 3 armées, correspondant aux 3 "présidences" qui articulent l'organisation territoriale de l'Inde de la Compagnie. Il faudra la sanglante révolte des Cipayes (pas la première révolte) pour que la Couronne britannique prenne la colonie et en fasse un territoire anglais, prenant aussi les troupes qui seront réorganisées (les unités anglaise allant à l'Army, les unités indiennes devenant plus tard l'armée des Indes, à l'origine de l'actuelle armée indienne).

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Autre exemple, la féodalité et le chevalier. Au final sur ce point, on peut voir une évolution similaire entre l'Europe, la Chine des Hans sur sa fin, et le Japon. Mais le cas européen nous est le plus familier et illustre bien ce qu'est la privatisation graduelle des forces militaires.

Socialement, la France mérovingienne, par exemple, ou l'occident mérovingien pour être plus exact, poursuit l'évolution socio-économique du Bas Empire Romain: une régionalisation croissante, la baisse des échanges sur grandes et moyennes distances (disparition des structures, désolidarisation de l'empire/espace romain, dislocation politique et instabilité des frontières, démonétarisation), la polarisation des richesses au travers de l'ascension permanente des grands propriétaires terriens aux dépends des petits, la fixation des populations paysannes sur les terres qu'ils travaillent via la sédimentation de plusieurs formes de servitude (servage, colonat, tenue par la dette), chute des grandes villes au profit de villes moyennes au mieux.... Mais les campagnes, démographiquement écrasantes, poursuivent et accroissent les évolutions de l'empire tardif: le système des pagus ("pays") poursuit celui des villas romaines et représente l'échelon administratif de référence (un pagus a un "comes", un comte, à sa tête; il deviendra vite un "comtat"/"comté"), avec en dessous le manoir (dirigé par un seigneur qui a son "demesne"/domaine propre, une zone de tenure manoriale et une détenue par des paysans libres -zone dont émergera la "classe moyenne" du Moyen Age) et au-dessus la province (les provinces romaines tardives étaient 2 à 4 fois plus petites que les anciennes, ayant été subdivisées par Constantin: la seule France -pas les Gaules- était organisée en 2 diocèces subdivisés en 11 provinces), confiée à un duc (initialement un titre militaire romain).

Côté militaire, la montée des armées privées au sein de l'empire était aussi déjà un acquis: les bucellarius, troupes privées levées par des grands particuliers pour protéger leurs domaines ou accompagner un grand seigneur à qui échoyait un commandement (et qui jugeait, pour diverses raisons, qu'il avait besoin de plus que ce que l'empereur lui attribuait), étaient une institution très entérinée dans l'empire romain tardif, surtout en Orient (l'occident l'ayant eu sous une forme "dérégulée" avec la massification graduelle puis totale des armées de "fédérés" après 406-410, et la désolidarisation des milices et armées locales qui restaient de toute mentalité "impériale").

L'affirmation des peuples des migrations comme élites dirigeantes (un phénomène là aussi de l'arrivée d'armées privées ex-contractors impériaux) infue peu sur cette évolution, et s'y joint même plutôt: les élites se fondent les unes dans les autres, avec cependant le remplacement des unités professionnelles romaines par une nouvelle frange (réduite) de populations libres dédiées en permanence à la guerre. L'émergence des carolingiens apporte un renouveau à cet égard, et c'est d'elle que date la naissance d'une première féodalité telle que nous la comprenons.

Cette féodalité carolingienne était déjà en développement bien avant Charlemagne, comme le montre bien l'armée de Charles Martel et celle des Arnulfiens/Pippinides (appellations initiales de la dynastie) en général. L'armée est alors pour l'essentiel la mobilisation des hommes libres dont l'affectation dépend de l'équipement qu'ils peuvent se payer, avec devoir de s'entraîner un certain nombre de jours par an en unités constituées (l'efficacité de ce système dépend en fait de la capacité à contrôler cette activité). Ces unités "miliciennes" à la valeur variable se rassemblent autour de troupes permanentes de guerriers professionnels, le "comitatus" (survivance romaine dans l'appellation, peut-être aussi dans la perpétuation de regroupements militaires à certains endroits), qui sont elles des troupes privées. Peut-on même dire à cet égard que l'armée de celui qui s'appelle "roi" est une armée d'Etat ou celle du premier des seigneurs, étant donné qu'elle fonctionne selon le même principe? Discutable, mais le fait est qu'il s'agit de forces dépendant d'une personne, d'un potentat qui est avant tout un grand propriétaire terrien ou d'un chef "tribal" (certains ne sont pas fixés territorialement et se louent) d'importance variable. A côté de ça, il doit sans doute y avoir un flux certain de guerriers non fixés: virés par leur chef, mécontent de lui, sur les chemins parce que ce chef a perdu une guerre, ou simplement des gens qui se forment à la guerre et cherchent un emploi.

La particularité des armées franques mérovingiennes et carolingiennes est la faiblesse de la cavalerie proprement dite, mais l'omniprésence du cheval pour les guerriers professionnels, comme moyen de transport "stratégique" pour déplacer ces troupes d'infanterie et économiser leurs forces, le complément étant fourni localement par les milices de l'endroit le plus proche du théâtre d'opérations. Ce système sera porté à son pinacle et systématisé par Charlemagne dont l'histoire des campagnes illustre la grande mobilité de ses forces armées qui, au final, sont assez peu nombreuses (les pros j'entends) à l'échelle de l'empire carolingien.

Le système du comitatus carolingien est de fait un clientélisme militaire, évolution du compagnonnage traditionnel celto-germanique (et présent chez tous les peuples "indo-européens") mâtiné d'institutions romaines (le "comes/comites" romain, grade militaire et politique, le "graf" germanique, titre, rôle et statut, deviennent la même chose: le comte médiéval): c'est la base du rapport féodo-vassalique et en fait des accords contractuels tels qu'ils se sont développés en occident. C'est un engagement d'homme libre à homme libre, mais de statuts et puissances différents, impliquant obligations mutuelles. Le Comites (le vassal en somme) est celui qui accompagne celui qui l'engage. La tradition qui se crée avec le temps tendra toujours à rendre ces positions héréditaires, qu'il s'agisse de postes, de fonctions, de privilèges ou de terres. L'autre tendance est de perpétuer les postes qui étaient initialement des attributions temporaires: le comites, à la base, n'a pas d'affectation permanente. Mais par exemple, un pouvait être chargé des écuries (stabuli) de son seigneur, et avait tendance à le rester, voire à refiler le job à son fils: le comes stabuli se perpétua ainsi comme charge et l'évolution linguistique en fit la charge de "connétable".

La démonétarisation de l'espace européen induit d'autres formes de rémunérations amenées par ce mode de rapports: outre l'obligation pour l'employeur d'assurer gîte et couvert à son employé (ainsi qu'une part d'équipement), salaires et récompenses s'imposent à un moment donné comme quelque chose de nécessaire en plus de la simple survie, de l'entretien, pour distinguer les méritants, créer une hiérarchie et répondre aux besoins différents (ceux qui amènent une troupe de guerriers et non simplement eux-mêmes). Décorations et cadeaux (bijoux....), part donnée de pillage, arrangements de mariage, mais surtout positions (commandements, attributions/fonctions réelles ou honorifiques), privilèges (exemptions de diverses sortes entre autres, revenus/bénéfices liés à certains commerces, activités....) et le plus possible, des terres, d'importance variable selon les cas (degré de confiance, niveau hiérarchique, nombre de guerriers amenés....).

En théorie, un seigneur n'attribue des terres qu'à un homme, pas à sa descendance, mais l'importance culturelle de l'hérédité, la faible capacité de contrôle territorial effectif, les habitudes prises, les relations d'homme à homme, le nombre d'obligations contradictoires d'un seigneur (on a toujours plus de dettes à régler que de capital à répartir, et surtout jamais assez de temps pour tout régler, trop de sollicitations permanentes), la commodité/stabilité que cela peut induire, mais aussi les complications que cela crée (un seigneur dans son coin veut s'y enraciner, et tant qu'à faire aussi prendre les terres d'à côté, créant des disputes sans fin).... Tout se combine pour enraciner la permanence de ces répartitions, donc du capital économique et de l'enjeu qu'il devient. Qui plus est, de par des faits culturels et la contrainte des distances et communications, le système est direct, d'homme à homme: la rémunération procède de même. Un seigneur a un certain nombre de chefs qui à leur tour ont des "sous-chefs" qui à leur tour ont des soldats: chaque niveau hiérarchique rémunère le niveau en-dessous.

De fait, ces évolutions montrent que des armées privées de contractants, non centralisées, par opposition à une armée permanente nationale, ont au global graduellement affaibli et coûté à l'espace franc (aussi en raison de facteurs culturels et socio-économiques). Mais l'évolution militaire et les guerres induites ont aussi amené un changement militaire lié à la cavalerie, sur laquelle les fantassins montés permanents se sont "sédimentés", devenant, avec le développement de l'arme, une cavalerie professionnelle encouragée à le rester par le prestige de l'arme mais aussi ses exigences: former un cavalier, surtout un lourd, est plus long et cher que former un fantassin, et ce d'autant plus que l'équipement se sophistique et s'alourdit (induisant notamment des chevaux de plus en plus spécifiques). Les pros ont donc tendance à se tourner vers la cavalerie qui, plus rare, est plus recherchée; et comme elle implique un coût élevé en temps et en argent, elle crée sa propre logique: on veut en être parce que ça rapporte plus, parce que ça distingue, donc on se forme à ça de son côté, sans se préoccuper de savoir si une armée au global en a besoin ou non (en France, il faudra attendre la fin de la Guerre de Cent Ans pour que revienne une pensée militaire fondée sur les besoins opérationnels) parce qu'il s'agit d'une recherche de profit individuel impliquant des coûts élevés, donc pour lesquels on calibre toute sa vie (plus chère, l'arme exige donc la recherche de plus de "retours"), et l'appartenance à l'arme devient donc un marqueur social. La polarisation des richesses et le besoin de contrôle tendent à inciter la classe nobiliaire émergeante à désarmer les milices de paysans et citadins qui, de leur côté, vivent mal les obligations militaires dangereuses, souvent trop fréquentes en temps d'instabilités (accrues par les rivalités de seigneurs locaux), de moins en moins rémunérées.... Et l'affaiblissement des entités nationales via la féodalisation réduit les guerres internationales au profit des guerres privées entre acteurs de petites et moyennes envergures, guerres qui de ce fait peuvent souvent être de petite échelle, entre pros (et qui se codifieront/ritualiseront avec le temps), et ce d'autant plus que la faiblesse démographique et les distances (croissantes avec l'espacement des foyers de peuplement) concentrent ces conflits autour des châteaux et places fortes, enjeux et cibles prioritaires (donc la guerre de siège).

On assiste donc à une privatisation de la guerre encouragée par une foultitude de facteurs de tous ordres. Globalement, il s'agit d'une caste militaire permanente réduite de contractors de toutes tailles qui se sédimente et s'agrège à l'élite de propriétaires terriens initialement issus de l'aristocratie gallo-romaine: employeurs et employés militaires (les plus importants, les plus ambitieux, ceux qui réussissent) fusionnent (parfois agressivement, le plus souvent par aggrégation). Les Normands en Italie illustrent particulièrement ce phénomène: l'affaiblissement byzantin en Italie, mais surtout la rapide désagrégation et la sédimentation (initialement sur un schéma similaire) du royaume lombard amène une instabilité et des ambitions qu'une masse croissante de guerriers professionnels normands en recherche d'emploi vient pallier. Mais les employés ne veulent souvent pas le rester, se font rémunérer en terres (et s'implantent dans le "jeu") ou se rassemblent en troupes mercenaires plus vaste cherchant leur fortune, ce qui se traduit souvent par la conquête. La famille des Hauteville, avec Robert Guiscard en tête, représente bien ce parcours, de guerrier de base à roi (de Sicile et Naples).

Quand on compare ce système à l'évolution du Japon féodal, on ne voit en fait que des similarités, et la Chine post-Hans présente les mêmes symptômes, malgré les circonstances parfois très différentes. Au point qu'on peut se demander, avec la distance à garder pour les parallèles méta-historiques, si ce type d'évolution n'est pas en train d'arriver en occident. Parce que le fait est que cette organisation territoriale est née du fait de l'affaiblissement du pouvoir central et de la nécessité continuelle pour lui de disposer (donc de rétribuer) d'une force armée aux coûts croissants en absolu (à partir surtout de l'évolution plus culturelle qu'opérationnelle vers la chevalerie, non contrôlée par un pôle militaire central) et surtout en relatif (par rapport aux moyens dont dispose effectivement le dirigeant), et à la groumandise (du fait de l'individualisation de la société et de la baisse de la conscience publique) des acteurs de la guerre, désormais des personnes avant tout privées raisonnant comme telles, et non des militaires.

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...et la Chine post-Hans présente les mêmes symptômes, malgré les circonstances parfois très différentes...

et ça semble même antérieur...

Voilà un peu de lecture en format PDF  sur la féodalité chinoise qui abordent  aussi bien le sujet de ce post de façon incidente, qu’il me semble intéressant.

http://classiques.uqac.ca/classiques/granet_marcel/A13_la_feodalite_chinoise/feodalite_chinoise.pdf

Parmi d’autres choses, je retiens une de cette lecture : le retour à un ordre féodal  est concomitant de la dislocation des grands ensembles géopolitique et réseaux qui les soutiennent, économiques surtout.

C’est là qu’on voie, que l’on sent toute l’irresponsabilité pour prendre un exemple, des dirigeants européens à attendre d’être aux pieds du mur pour refonder leur union  sans mesurer l’impact qu’aurait son éclatement; ou encore celui du Conseil de Sécurité qui attend sa réforme en vue d’intégrer les émergents  et son corolaires, une légitimité de plus en plus faible à même d’assurer un ordre international péren, et que l’on peut étendre aux difficulté d’autres institutions multilatéral à équilibrer les intérêts à l’échelles mondial comme avec l’échec persistant/blocage du cycle de Doha pour l’OMC qui n’a rien d’anecdotique.

Rien que le repli, du moins dans les discours pour le moment, de nombreux pays sur les unions régionales indiquent pet être une courbe descendante vers des systèmes fermé et isolationniste. Ce qui donne une prise idéal aux logiques féodal parfaitement proportionné, d’autant plus redoutable qu’elles sont particulièrement résilientes à l’érosion du temps et n’attendent qu’un environnement propice pour s’épanouir de nouveaux.

Néanmoins, rien de nouveaux sous le soleil, ça a toujours existé, même sous forme latente, et ça existera toujours ; mais pour moi rien de vraiment irrattrapable pour le moment d’autant plus que la large diffusion de l’information donne, de mon point de vue, de par la mémoire institutionnel qu’elle induit suffisamment de ressources aux sociétés qui en porte l’empreinte pour éviter qu’un glissement qui irait trop loin……..à moins que ce ne soit qu’une fallacieuse rationalisation de ma part pour me rassurer :P :'(

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Parmi d’autres choses, je retiens une de cette lecture : le retour à un ordre féodal  est concomitant de la dislocation des grands ensembles géopolitique et réseaux qui les soutiennent, économiques surtout.

Oui, puisque les économies de ces ensembles sont organisées à l'échelle de ces ensembles, et toujours plus avec le temps: la chute de l'empire austro-hongrois a fait très mal et pour un bout de temps aux économies des pays qui en venaient (quoiqu'à une époque où les choses et la perception des choses à grande échelle vont plus vite), celle de l'empire romain fut radicale pour les pays qui en émergèrent. Mais avant cela, la féodalisation est interne, ce qui se voit dans l'empire romain à partir du IIème siècle, mais surtout pendant et après la crise du IIIème siècle (et on peut y voir une des causes majeures non de la chute de l'empire mais de l'incapacité à redresser la barre de crises majeures comme il l'avait toujours fait avant: l'orient le fait, l'occident ne le fait pas), et la société occidentale actuelle présente de nombreux symptômes de la chose depuis un bail. Le domaine de la violence professionnelle est un des indicateurs les plus forts qui soit en la matière, et sa privatisation même partielle n'est JAMAIS innocente (Italie des XIVème-XVème siècles, République romaine tardive -qui voit une privatisation de fait totale de l'armée-, Chine de la fin des Hans, Japon des IXème-Xème siècles....).

mais pour moi rien de vraiment irrattrapable pour le moment

Tant qu'une majorité d'Etats conséquents garde "du jeu" (des moyens), mais peut-être plus encore, tant que les populations qui les composent gardent une conscience d'appartenance d'un niveau suffisant (c'est pourquoi l'évolution interne des USA peut être inquiétante par certains aspects).

à moins que ce ne soit qu’une fallacieuse rationalisation de ma part pour me rassurer

Non, ce serait céder à un déterminisme historique de tendance absolutiste dans ses certitudes, qui n'est que le produit d'historiens prétentieux se la pétant de connaître le "secret des dieux" en analysant un "temps long" dont ils sont persuadés de déduire des règles immuables: les marxistes sont parmi les pires en la matière.

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  • 4 years later...

Très intéressant !

J'avais posté sur le file USA le trailer d'un documentaire sur la militarisation de la police aux USA .

Je ne sais pas si tu l'as vu ce trailer qui me semblait très intéressant. 

Alors il est vrai que le contexte US est particulier au vu d'une délinquance très violente et bien armée. 

Le problème s'est celui du juste milieu car traiter un cas mineur avec les moyens d'un porte avion est-il logique .

Mais je pense qu'il y a aussi cet effet à prendre en compte , avec la masse d'anciens combattants qui pourrait Ressemblait à celle de cette masse de vétérans romains qui réclamé leurs due , enfin plus de droit .

La différence est bien évidemment dans la manière de réclamer , et aux USA je pense qu'il y a aussi une poussée dans ce sens mais présenté comme une sorte de due moral de la nation aux vétérans , enfin la il ne s'agit pas d'argent direct mais d'avoir un rôle dans le pays ,l'état. La en l'occurrence la sécurité. 

Donc il y a une demande avec une masse de vétérans importante .

D'un côté tous ne sont pas apte à devenir des policiers ,être en capacité d'être pris dans les académies de police d'état ou fédérale. 

De facto la privatisation est un moyen de le faire. 

Bien évidemment la privatisation n'a pas comme leitmotiv ce que j'explique plus haut mais cette volonté surf justement sur cela en ayant l'argument de pouvoir bénéficier de cette masse de vétérans,même si bien évidement il n'y aura pas que des vétérans issus du monde militaire .Il y a une mane d'ex contractor qui ont travaillé à l'étranger sans avoir était soldat par le passé .

Cela a amener à un nouveau "corps de métiers " , celui du métier des armes qui attire aisément un tas de civils .

De facto on glisse dans un système de privatisation qui pourrait devenir très dangereux sur le long terme. 

Que ce passera t'il lorsqu'une crise économique arrivera et qu'on devra dégraisser des effectifs ?

Que ce passera t'il lorsque une tension sociétale arrivera ?

Quelques part même si il n'y a que certaines similitudes il y a des différences entre l'empire romain et les USA , mais le fond s'est que l'issu semble être la même. 

Au fond , le problème des empires et des grosses puissances vient des guerres qu'elles lancent ...

Sur ce point est-ce que la GB qui certes n'est plus une grande  puissance n'a telle pas réussi ce juste milieu , en sachant éviter/limiter l'intrusion du privé dans le système militaire et policier en offrant la possibilité d'offrir un panel large de reconversion aux anciens militaires  avec la sécurité privé qui reste bien cadré sans être non plus pesante.

Bien évidemment il n'y a pas de mélange des genres avec une privatisation de la Police british. 

En France on ne trouve pas ce juste milieu .

Pour les USA tu est en train de nous dire que s'est le début de la fin , le déclin avec une implosion du pays .

Ben si sa peut nous être bénéfique ...

Moi sa ne me pose pas de pb ...

Ils ont connu une guerre civile , mais sa fait trop loin pour que sa les marques  comme nous autre ( la première et deuxième guerre mondiale s'est quand même pas rien question destruction ) n'oublions pas que ces guerres entre pays européens d'une certaine manière était une "guerre civile" (on est à l'échelle de continent ) .

Qu'ils découvrent les destructions et la mort chez eux d'une manière moins subjectives ...qu'au travers des informations relatant leurs guerres oversea ... tout est méprisant le reste du monde ...

Désolé pour mon pamphlet anti américain en mode bas du front , il y a des trucs qui m'insupporte de plus en plus même si je sais qu'il y a certain  ricains qui sont loin d'être dans le bête et con .

Enfin voilà j'espère que mon post sera pas trop bordelique. 

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J'ai toujours l'impression d'être un parfait imbécile quand tu nous ponds une synthèse aussi exhaustive (et en plus je suis en pleine lecture de Marcel le Glay donc je pige parfaitement ce que tu veux dire).

Quelques éléments pour pondérer la comparaison, on est pas sur des phénomènes de la même dimension (même si en essence c'est vrai qu'il y a des similarités troublantes), l'exemple contemporain se passe dans un état bureaucratisé démocratique et complexe avec des logiques socio-économiques et une mentalité propres. Il ne se déploie qu'à une échelle limitée dans une circonscription limitée en taille qui connaît à tous les niveaux la crise (économique, écologique et sociale). Ensuite on est sur un segment beaucoup plus spécialisé (le maintien de l'ordre, la gestion de la criminalité et l'interpellation des contrevenants) que ce que "produit" une armée romaine comme effets (militaires et sociaux). Est ce que le fait d'avoir une agence privatisée est de nature à mettre en péril durablement l'institution publique "police" et derrière à destabiliser les institutions politiques de l'Etat de Lousiane ? (surtout avec un Etat fédéral régulateur derrière) ?
De même si les mentalités américaines sont très ouvertes localement à ce type de force (qui est déjà plus ou moins généralisé partout dans un pays ou la culture très particulière de la violence, de l'entre-soi ...) est ce que la même attitude prévaudrait dès lors qu'on toucherait aux sacros saintes institutions qui agissent à l'échelle de l'Etat fédéral ?

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17 minutes ago, Berezech said:


J'ai toujours l'impression d'être un parfait imbécile quand tu nous ponds une synthèse aussi exhaustive (et en plus je suis en pleine lecture de Marcel le Glay donc je pige parfaitement ce que tu veux dire).

Quelques éléments pour pondérer la comparaison, on est pas sur des phénomènes de la même dimension (même si en essence c'est vrai qu'il y a des similarités troublantes), l'exemple contemporain se passe dans un état bureaucratisé démocratique et complexe avec des logiques socio-économiques et une mentalité propres. Il ne se déploie qu'à une échelle limitée dans une circonscription limitée en taille qui connaît à tous les niveaux la crise (économique, écologique et sociale). Ensuite on est sur un segment beaucoup plus spécialisé (le maintien de l'ordre, la gestion de la criminalité et l'interpellation des contrevenants) que ce que "produit" une armée romaine comme effets (militaires et sociaux). Est ce que le fait d'avoir une agence privatisée est de nature à mettre en péril durablement l'institution publique "police" et derrière à destabiliser les institutions politiques de l'Etat de Lousiane ? (surtout avec un Etat fédéral régulateur derrière) ?
De même si les mentalités américaines sont très ouvertes localement à ce type de force (qui est déjà plus ou moins généralisé partout dans un pays ou la culture très particulière de la violence, de l'entre-soi ...) est ce que la même attitude prévaudrait dès lors qu'on toucherait aux sacros saintes institutions qui agissent à l'échelle de l'Etat fédéral ?

A ce stade du phénomène, je suis d'accord, mais la similitude des processus m'a interpelé, et surtout, on a du mal à se rendre compte à quel point ces choses peuvent aller vite: à la NO, le type a mis en place le système en quelques mois, et il était implanté dans le paysage et dans les moeurs aussi sec. Et de fait, le carré français était devenu une sorte de "gated community" sans "gates", complétant le processus de super-gentrification entamé avec l'après-Katrina, alors même que les problèmes continuaient à la NO (2ème grande ville la plus dangereuse des USA après Detroit, et devant Chicago et Atlanta), voire augmentaient, du fait de la baisse généralisée des crédits publics (la Louisiane a été foutue dans la merde par la gestion du précédent gouverneur, Bobby Jindal, et son orthodoxie ultra "supply side economics" et "le public c'est mal) et/ou de la vampirisation du maigre budget de police au profit de cette force. Au global, beaucoup est lié au fait que l'élite constate le résultat immédiat dans SON voisinage, et en est contente (et se fout bien que la règle de droit soit au besoin oubliée), même si elle commence à comprendre que ce sont des résultats de court terme et qu'une ville est un écosystème complet, les problèmes des autres quartiers finissant toujours par revenir vers vous. La solution résiderait avant tout dans l'augmentation des budgets, mais cela veut dire plus d'impôts (après des années de baisse), et ça, c'est un blocage mental pour ceux qui peuvent en payer aux USA (et qui en paient en proportion moins via les infinies possibilités de contournement ou évasion fiscale). 

Et évidemment, la NO est loin d'être la seule ville avec un tel processus en cours. L'appli et le système du gars de la NO est déjà en train d'être "exporté" à d'autres villes, dans une Amérique où les mentalités et la corruption favorisent ce recours au privé aux frais de l'enveloppe publique, le plus souvent au détriment du service et des finances publiques, comme le montrent les exemples du système carcéral ou de l'enseignement (malgré quelques exemples positifs, les "charter schools" ont un niveau moyen en-dessous de l'école publique -pourtant mauvaise- et pour plus cher, tout en ayant moins d'obligations -notamment, elles ne prennent pas les élèves à problèmes ou les handicapés). Ces "publicanii" d'un nouveau genre pullulent depuis longtemps dans une Amérique qui préfère contracter et affermer que gérer, laissant ainsi se créer un vaste univers de secteurs économiques puissants et politiquement représentés (au niveau local et fédéral), et l'Etat perdre ses compétences dans les dits domaines (voire même perdre la capacité de supervision générale, vu ce que Trump semble faire -plus discrètement- dans beaucoup d'agences. Ca fait bien longtemps que tous ces "contractors" de multiples secteurs d'activité coûtent cher, facturent ce qu'ils veulent, et sont le plus souvent en situation oligopolistique, voire de monopole (au niveau local au moins); ne parlons pas des prisons.... Ou du F-35 :laugh:. Ca rappelle pas les publicanii des provinces romaines (et surtout l'Asie) dans le système fiscal romain réformé par les Gracques (je crois que c'était Gaius Gracchus qui avait fait la dite réforme avant de se faire couiquer, pas Tibérius)? Et quand le pouvoir en place a la mentalité pour favoriser ce genre de procédé, voire même semble se contrefoutre de la qualité du service à attendre (soit par pure avidité et complicité de caste, soit par idéologie du "tout privé"), les choses peuvent aller très vite. 

Vu l'importance du secteur de la sécurité privée aux USA, l'existence de dispositifs comparables ailleurs, ou encore la vitesse à laquelle tout un quartier d'une grande ville (et le plus important et iconique) a été converti au système, je ne crois pas qu'on mesure bien à quel point tout peut basculer très vite; après tout, dans la plupart des cas, il ne s'agirait même pas de recréer une police, mais de refiler les structures et personnels existants à un opérateur privé et politiquement puissant qui amènerait des "cadres" pour une période de transition, et serait de fait, à l'issue du processus, un seigneur féodal local. Ce que le gars de la NO était de fait en train de devenir, mais ça a l'air de l'emmerder. Ceci dit, quand on voit à quel point le niveau "d'appropriation" de villes et d'Etats par des groupes d'intérêts privés, voire des individus (les frères Koch au Kansas, dans les deux Dakotas, le Nebraska....), est devenu important pendant les deux décennies écoulées, on peut légitimement se poser des questions, sachant en plus que si de telles évolutions prennent du temps pour se mettre en route, elles ne font ensuite que s'accélérer (voir ce qui s'est passé les deux dernières semaines en matière législative dans les deux Dakotas sur le sujet USA: état d'urgence, foutage aux chiottes d'un référendum populaire, légalisation de l'écrasement de manifestants, usage de la police locale comme force privée des pétroliers contre les militants anti-pipelines et tribus indiennes). Tout comme la polarisation des richesses actuelles aux USA est pire qu'à la fin du XIXème siècle (le "Gilded Age", temps des barons-brigands), le niveau d'appropriation du pouvoir politique par les "one percenters" est à la mesure du fait. 

Pour la force armée proprement dite, le secteur économique est déjà important aux USA, avec des structures permanentes dont le panel de capacités et savoirs-faires tactiques/stratégiques n'ont fait que croître, à mesure que les budgets se sont développés, et que l'Etat US déléguait plus de trucs (entraînement, renseignement, logistique, traitement de donnée à grande échelle, analyses de tous types, mais aussi des fonctions plus purement "militaires": opérations spéciales, protection/gardiennage en zone de guerre, patrouilles, transport de théâtre, appui aérien....): il y a un certain nombre de boîtes qui disposent ainsi d'un large panel de capacités (militaires et/ou policières et le désormais vaste univers "entre les deux") et d'effectifs permanents (plus d'un large carnet d'adresses et d'une forte capacité d'attraction), sans parler de considérables leviers politiques et accréditations. je ne serais pas surpris de voir par exemple des Etats confier beaucoup de fonctions de leurs Gardes Nationales (dont les bataillons lambda resteraient faits de volontaires à temps partiel) à de tels opérateurs offrant un package complet de capacités d'encadrement, commandement, appui, soutien.... Au final, il s'agit juste de quelques décisions par des politiciens dans un Etat ou dans l'Etat fédéral. Peut-être ne faudrait-il qu'une situation particulière pour voir un recours massif à de telles solutions: en l'état des capacités privées existantes, voire même de "chefs" potentiels (des privés comme Erik Prince, mais on pourrait aussi bien avoir des généraux ou capitaines d'active ou étant passés au privé), en l'état du travail de longue haleine d'insinuation dans les processus de décision (attention, je parle pas d'un plan concerté ou d'une conspiration, ou même d'une "intention" féodale, juste d'un processus de grignotage dans le temps long, essentiellement motivé par le profit, mais qui crée de fait les conditions d'un tel "césarisme", au niveau local, au niveau d'Etats, au niveau fédéral peut-être même), et en l'état de l'image des institutions politiques et de celui des mentalités sur le "privé vs public", je ne vois pas en quoi le basculement, au moins à l'échelle locale, ne pourrait pas être l'affaire de quelques semaines/mois, si les circonstances sont réunies (et pas besoin de l'apocalypse, hein). 

Le processus que j'ai évoqué à Rome a été au final assez rapide, même s'il faut attendre César, puis Auguste pour le voir trouver une crise définitive et un aboutissement: dès Marius, le problème est posé et devient une constante. Marius introduit ses "réformes" à partir de 104, et ne cesse de batailler pour elles jusqu'à sa mort en 86 (bataille autour de laquelle se forment les deux "camps" de plus en plus polarisés de la politique romaine), au coeur d'une guerre civile (la 2ème de son vivant, avec les mêmes protagonistes; la 3ème si on compte la guerre sociale comme une guerre civile -mais celle-là a des causes différentes), et après cela, l'histoire romaine n'est qu'une succession de cycles courts paix-guerre civile (avec en plus des guerres extérieures, mais aussi des séditions massives comme la guerre sertorienne ou celle de Sextus Pompée, et des révoltes), jusqu'à César (le clash ultime entre les deux pôles d'une Rome coupée en deux), puis à la fin définitive de ce fonctionnement malsain grâce à Octavien/Auguste, acquise symboliquement à Actium, en 31 av JC. Une fenêtre temporelle de 73 ans, mais où tout est en place dès les premières années; la guerre sociale (91-88) ne fait qu'amplifier le problème en multipliant d'un coup la taille de la république (extension de la citoyenneté romaine aux Latins et Italiens), qui passe d'un corps social d'environs 300-400 000 hommes d'âge militaire (si on prend en compte les pertes de 113-104) à un de près d'un million (pour une Italie devant compter environs 3,5 millions d'habitants libres, plus l'importante population de Gaule Cisalpine -qui devra attendre César pour être incluse). Une telle augmentation est politiquement énorme: la taille des clientèles d'électeurs devient faramineuse, les enjeux explosent, et la taille de l'espace concerné implique un niveau de concentration du pouvoir sur quelques grandes figures notables (qui peuvent être connues hors de ceux qui fréquentent physiquement Rome et son forum), disposant de fortunes fabuleuses: le nombre de gens qui "comptent" vraiment dans le Sénat devient à cette époque vraiment très réduit. Comme pour les richesses, les clientèles et le pouvoir se concentrent sur un nombre toujours plus réduit de leaders, le reste des sénateurs étant forcés d'être des suiveurs. Cette hiérarchisation, et l'augmentation du prix de la concurrence politique quand le "jeu" change à ce point de dimension (déjà entamé avec l'expansion), font émerger des personnages "nationaux" qui seuls ont la possibilité de diriger de larges factions, de ne pas être totalement dans la main des grandes familles équestres (surtout des banquiers et publicains), et, plus fondamental encore, de garantir leurs retraites à leurs soldats (ou à ceux d'autres chefs qui "appartiennent" à la faction de ces grands personnages). Marius, Marcus Aemilius Scaurus, Sulla, Cinna, Carbo, Lucullus, Pompée, quelques Metellii (Metellus Pius, Metellus Celer), Crassus, Publius Clodius, le trio Bibulus-Caton-Marcellus (avec Scipio Nasica et Lucius Domitius Ahenobarbus en appui), et, évidemment, César (puis, à travers lui, Antoine et Octavien) furent à peu près l'essentiel de ces "grands" (les "movers and shakers" comme on dit aux USA) ayant un tel niveau d'autorité sur la période: même les autres "grands" noms (parce que le nom était ancien et connu, et/ou le personnage notable individuellement, et/ou la fortune importante) de cette fenêtre temporelle ne pouvaient opérer et obtenir quelque chose sans le soutien d'un de ces poids lourds, coeurs de factions importantes. Quelqu'un comme Cicéron, par exemple, malgré sa célébrité et un certain niveau d'influence, n'était qu'un poids plume qui n'a jamais vraiment eu de pouvoir sauf pendant son consulat (63), ou seul l'appui de Pompée (et dans une moindre mesure, de Crassus, à l'occasion de la conspiration de Catilina) lui a donné de l'autorité. Et de ces noms mentionnés, il n'y en a jamais, sur ces 73 ans, plus de 3 ou 4 à la fois qui comptent vraiment pendant une décennie donnée. Soit une vie politique ultra-polarisée. 

Ce sont à ces noms qui désormais ont une dimension énorme, que les soldats se rallient, à ces noms qu'ils croient et accordent leur fidélité au point d'être prêts à mener une guerre civile. Pas à n'importe quel général appointé pour un mandat. On a donc l'émergence de tels noms, de tels chefs, figures résultant d'un processus d'accumulation de puissance politique (transmis à la "génération" suivante au sein d'une faction), et dans une période qui voit un changement de fonctionnement de la politique romaine (changement du modèle économique/social/politique de l'armée), sur fond de changements de longue haleine (avant tout la polarisation extrême des richesses et ce qui en résulte: exode rural, recours massif aux esclaves dans toutes les strates du marché du travail....) survenus dans la république en bout de course; et ces chefs de file, avec cette nouvelle sorte de pouvoir, permettent de changer la nature des affrontements dans l'arène politique, d'une façon qui ne s'était jamais vraiment vue dans l'histoire romaine, qui avait pourtant connu des séditions, dont une mythique -Coriolanus-, des tentatives de rétablissement de la monarchie à ses débuts, des soulèvements de la Plèbe -guerre des classes, contestation de Camillus- et des grands personnages dont l'aura avait fait craindre -à tort- un danger anti-républicain (Camille, Scipion l'Africain, Scipion Emilien). La première annonce du changement vient avec les Gracques, qui forment le proto-modèle d'une opposition "de l'intérieur" à "l'ordre dominant"; leurs deux tribunats (133 pour le premier, 123-121 pour le second) et leurs morts (l'un assassiné, l'autre contraint au suicide) sont le commencement symbolique de la "faction" qui s'aggrègera ensuite autour de Marius (qui se gênera pas, alors qu'il n'a pas d'idéologie, pour invoquer les mânes des frères Gracchus) et deviendra ce que nous appelons rétrospectivement les "populares", par opposition aux "optimates" (la haute aristocratie réactionnaire.... Ils s'auto-intitulaient "bonii", les "bons hommes"). 

La répartition en factions plus permanentes devient un fait inévitable accompagnant le changement d'échelle de la vie politique et sa polarisation croissante, et ce sont ces plates-formes plus durables, avec leurs groupes, leur transmission du pouvoir, leur faculté à rallier et/ou faire grandir quelques grands noms en leur sein (ou de se rallier à un personnage "météorique": ce fut le cas pour Sulla, et plus tard, avec la rupture d'avec César, pour Pompée), qui créent les chefs de files capables d'avoir une emprise sur une faction de la société et des territoires romains.... Et sur des troupes. 

Comme je l'indiquais plus haut, pour qu'une armée et/ou des forces de polices deviennent des entités plus "privées" ou "proto-privées" (en étant au départ une partie de l'armée régulière), de fait ou de droit, il faut certes que les conditions générales de la société en question soient réunies (mais pour ça, je pense qu'on n'en est pas forcément si loin aux USA, au moins au niveau d'Etats ou de villes), il faut re-certes des factions constituant un multiplicateur de force pour un leader, mais il faut aussi qu'émergent des grands personnages, un leader ou un très petit groupe extrêmement identifiable, avec "name/brand recognition". Un tel personnage se construit, et est en fait plus que juste l'individu qui porte le nom: il lui faut des capacités (ou au moins le charisme pour être une figure de proue pour d'autres agissant derrière), un parcours, une image, un important capital social/relationnel et des relais de pouvoirs établis (des obligés/clients en pagaille, des réseaux de gens en poste, des équipes fidèles) voire une fortune propre (et/ou de l'influence dans un ou plusieurs secteurs d'activité). Un tel personnage ne peut émerger que dans un certain type de société: et c'est pour cela que le cas américain m'intéresse, parce que je trouve que, bien plus qu'il y a encore 20 ans, les USA actuels réunissent ces conditions et commencent à produire ce genre de "méta individus", comme la république romaine à partir de Marius (elle ne le pouvait pas avant: même des titans comme Scipion l'Africain ne vivaient pas dans un temps leur permettant de réunir tout ce qui était nécessaire à une telle ascension; après Marius, avec le processus en cours, même des poids mi-lourds comme Cinna ou Carbo peuvent profiter des édifices existants pour devenir de vrais condottiere). 

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En essayant de répondre j'ai essayé de me faire l'avocat du diable, mais une analyse fine de la société ricaine (au moins en terme social, concentration des richesses / disparitions de la classe moyenne) colle avec cette hypothèse.

Reste ce que tu évoques dans ton dernier paragraphe, essentiellement en terme de mentalité et de "capital symbolique", à savoir qu'aux US je vois mal l'équivalent de ce qu'est la "dignitas" des romains (à ce titre un Trump ... manque cruellement de toute cela, on devait même plutôt parler d'indignitas.) le mec s'étant fait élire comme si il était un Populares alors qu'il a une attitude d'Optimates (un peu l'inverse d'un plébéien Pompée qui est le champion du parti Optimates mais qui mène beaucoup une politique Populares modérée, par défaut puisque César lui court loin devant sur ces options idéologiques).
J'ai l'impression que l'oligarchie américaine se distingue par son manque absolu de considération pour tout ce qui est "capital symbolique", au delà du moins de la religion, du "family man" et de la figure de l'entrepreneur/gestionnaire (et ce dernier carrément de moins en moins quant on regarde la sociologie du camp républicain). La domination de tels ensembles ne paraît reposer que sur les circuits complexes du financement (politique) mais aussi de la façon dont un seul ou quelques acteurs peuvent "tenir" l'économie local d'une région ou d'un bled pour y imposer leur influence.
Pas non plus ce que les romains appelleraient le "fides" dans les relations, tout au plus la nécessité le couteau sous la gorge pour de larges sections de la population de se soumettre (pour obtenir une assurance maladie, un job, une pension de retraite, un crédit, un logement), chez les romains il y a de la symbolique au delà du rapport brutal dominant-dominé. Chez les ricains j'ai l'impression que ça confine à la pure violence, ou alors à une instrumentalisation des différences socio-ethniques et religieuses pour monter tel groupe contre un autre. Le blanc protestant mâle hétérosexuel conservateur en voie de devenir une minorité étant par essence le "citoyen romain", celui qui est proprio (oupas), qui reçoit les allocations ... et qui vote, le reste étant assimilé à du citoyen de seconde zone qu'on peut "gérer" par des restrictions. (ça me fait penser aux restrictions imposés aux "latins" tient, entre la classe des citoyens romains et les socii des municipes, ils sont quasiment citoyens avec le droit de vote et tout mais dans la pratique leur influence est nulle, soit qu'on les colle dans les tributs urbaines, soit qu'ils doivent se déplacer ou subir des contraintes abusives pour pouvoir exercer leurs droits, ce qui les rend ineffectifs en pratique).

En France on en est pas encore là dessus, cela dit quand on voit l'augmentation en poids des acteurs de la sécurité du privé (qui semblent avoir de remarquables entrées et influences dans le milieu politique, je suis assez étonné qu'un secteur encore aussi petit ait eu autant de législation favorable ces dernières années) pourrait on entrer dans une même dynamique avec un Etat qui a pour le coup l'habitude de gérer beaucoup de choses, et assez jaloux de ses prérogatives. Même si la mentalité des dirigeants et les contraintes court termistes  semblent pointer dans cette direction c'est pas encore quelque chose qui s'affirme beaucoup je trouve.
On commence aussi à avoir des problèmes avec les sociétés de recouvrement de crédits aussi (j'en ai une suédoise en tête qui fait parler d'elle) mais rien qui approche le quasi fermage général qui se met en place au states.
C'est l'hyperextension d'une société trop décentralisée et sous administrée qui facilite le phénomène ? Un problème dût à une gestion idéologique ? Une législation qui permet au marché politique (et je parle de celui qui dégueule du cash) de mener à ces prises de positions opportunistes ?
Et surtout qu'est ce qu'un régulateur (l'état fédéral) aux mains d'un pyromane (je pèse mes mots, j'avais envie de dire Umungus Ier), peut encore faire avant que le phénomène échappe à toute tentative de réforme ? (ce qui est arrivé à la république romaine qui ne pouvait plus se réformer malgré les interventions de Sylla ou de Cicéron et sa coalition).

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18 minutes ago, Berezech said:


Et surtout qu'est ce qu'un régulateur (l'état fédéral) aux mains d'un pyromane (je pèse mes mots, j'avais envie de dire Umungus Ier), peut encore faire avant que le phénomène échappe à toute tentative de réforme ? (ce qui est arrivé à la république romaine qui ne pouvait plus se réformer malgré les interventions de Sylla ou de Cicéron et sa coalition).

Sulla a carrément tenté un retour en arrière à force 10, renvoyant quasiment l'Etat romain aux débuts de la république, avant le conflit des classes, avec un Sénat tout-puissant et un tribunat de la plèbe qui, s'il ne disparaissait pas, perdait tout pouvoir (à travers la neutralisation de ses prérogatives, mais surtout de celle qui les autorisent toutes: le veto); mais il l'a fait sans illusion, prédisant, quand il prend spectaculairement sa retraite en 79 (mine de rien, de tous les noms des "grands" de la période que j'ai évoqué, je crois que c'est le seul à mourir de mort non violente, et APRES en avoir fini avec la politique: tranquille le gars.... Ah non, y'a aussi Scaurus et Metellus Pius, mais qui n'ont pas tenté des grands "coups": des pères tranquilles, ceux-là), que ses pairs ne pourront faire durer le bouzin plus de deux décennies parce qu'ils ne pourront pas s'empêcher de l'amender selon leurs besoins court-termistes et leur avidité. 

Cicéron n'a rien tenté de spécial en termes de grandes réformes ou de politiques menées quand il était "en vogue" (dans les années 60, avec son consulat en point culminant: après, il est grillé dans l'opinion par César pour avoir fait exécuter les co-conspirateurs de Catilina sans procès): comme Marius (ils venaient du même bled, Arpinum), c'était un homme nouveau, mais contrairement à Marius, il a tout fait pour courtiser et singer l'élite romaine, afin d'être accepté dans le club, soit vraiment la définition du parvenu snob. Sa "faction" n'a jamais pesé lourd, et n'a surtout jamais été un groupe soudé ou articulé autour d'une idée-force: ils se sont plus contentés d'être des attentistes cherchant à voir d'où venait le vent. Quand Cicéron ré-émerge au premier plan de la politique, dans l'immédiat d'après-César (donc essentiellement entre l'assassinat de César en 44, et le sien en 43), ce n'est que pour se rendre compte qu'il ne pèse rien du tout. Le constat de l'incapacité de la république à fonctionner face à ses contradictions, et plus encore à la concentration des diverses composantes du pouvoir concret dans un nombre réduit de mains, arrive en fait avec le franchissement du Rubicon par César (49), le moment catalyseur par lequel est reconnu le blocage absolu du système (et donc sa fin). Et même avant, en fait pendant la Guerre des Gaules (58-50) qui voit César accumuler tant de richesses, de prestige et de fidélités (plus ce qu'il avait bâti avant) en si peu de temps, la situation politique romaine est bloquée et la République en état de mort clinique: il faut juste attendre que César revienne physiquement en Italie pour que ce soit visible. 

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n peu l'inverse d'un plébéien Pompée qui est le champion du parti Optimates mais qui mène beaucoup une politique Populares modérée, par défaut puisque César lui court loin devant sur ces options idéologiques

Pompée était un pompéien, et s'il semble bien avoir eu le snobisme (et peut-être des insécurités de ce côté) de vouloir "appartenir" à la "caste supérieure", lui dont les origines n'étaient pas parfaites (un plouc du Picénum, dont le père, même si consul en son temps, était soupçonné d'avoir des ascendants gaulois -ô shocking!), il n'a jamais oeuvré sérieusement pour autre chose que faire ce qu'il voulait faire et se placer au sommet de la hiérarchie, en s'asseyant sur les usages et lois, et en évitant à peu près toutes les étapes du cursus honorum, s'imposant par la force et le fric dépensé pour s'acheter une énorme clientèle politique. Il ne "rejoint" le parti optimates qu'à la toute fin, quand la rupture entre César et lui est consommée (mort de sa femme, la fille de César, en 54, et mort de Crassus, le troisième pied de leur tripode politique, en 53; à ce stade, César a acquis trop de poids et est en concurrence directe avec Pompée, jusqu'alors le n°1 seul en tête à Rome), parce qu'il lui faut une faction (avec d'autres poids lourds que lui) et que la polarisation de Rome en est arrivée à son point ultime, avec seulement la place pour deux camps (et les optimates, à ce stade, ont besoin d'un généralissime: ils ont quelques généraux -comme le récemment rallié Labiénus, ancien pompéien, puis ex-césarien -, mais pas de super chef de file militaire). 

Pompée est d'ailleurs l'un des principaux catalyseurs des dysfonctionnements de la république et de l'appropriation croissante de ses prérogatives, fonctionnements et attributs par des individus de plus en plus puissants: disposant d'une base territoriale immense (moitié du Picénum, une bonne partie de l'Ombrie, un gros morceau de Gaule Cisalpine, plus de multiples propriétés un peu partout dans les zones "classes" et très rentables: Campanie et Latium), d'une fortune gigantesque (peut-être 10 000 talents, voire plus encore: il était sans doute plus riche que Crassus, pourtant cognominé "dives" -"le riche") et d'une clientèle énorme qui en faisaient de fait un vrai seigneur féodal (ses domaines du nord étaient continus, soient un "Etat dans l'Etat", où tous les habitants étaient ses clients et obligés), Pompée a pu commencer en s'affranchissant de toutes les contraintes encadrant la vie politique romaine. En 83, à 23 ans, il lève 3 légions de vétérans de son père (mort en 87 lors du siège de Rome par les Mariens), des habitants de ses terres (fidèles à lui, pas à la république) et rejoint Sulla de retour de la guerre mithridatique, qui s'apprête à marcher sur Rome pour la 2ème fois. Il peut ainsi devenir indispensable à Sulla qui a besoin d'un tel renfort, et démontre un grand talent, profitant du trouble de la période pour obtenir du dictateur-en-devenir des missions et prérogatives que son âge et son absence de cursus n'auraient pas du autoriser (il n'avait jusqu'alors été que "contubernales" -stagiaire/aspirant, en quelque sorte- sous son père: ni tribun nommé, certainement pas tribun militaire élu, et encore loin de pouvoir être élu questeur, la première marche du cursus honorum, normalement franchie à 30 ans, et qui ouvre la porte du Sénat). 

A partir de là, tout ce que fait Pompée est de facto illégal par rapport au fonctionnement de la république romaine: par menace et par corruption, il obtient tous les commandements qu'il veut, évitera toutes les étapes requises pour former un gouvernant romain (les étapes militaires -tribun, tribun élu, légat- et civiles -questeur, accès au sénat, édile, tribun de la plèbe puisqu'il est plébéien, prêteur-, et les délais requis entre ces jobs), et ces commandements sont tous de nature exceptionnelle, tout comme les méthodes qu'il emploie, souvent en infraction avec la loi (comme les exécutions de Carbo, puis plus tard du père de Brutus). Que ce soit la double campagne de Sicile et d'Afrique ordonnée par Sulla en 82 ou la répression du soulèvement de Lépide et Brutus (père) en 78 (commandement qu'il s'auto-attribue par le simple fait de "posséder" concrètement ses légions, qu'il maintient, à grands frais, sur le pied de guerre), il érige la chose en système quand, après s'être acheté sa faction, il obtient formellement un titre spécial pour un type de commandement extraordinaire avec prérogatives consulaires: en 77, il se voit imposé à Quintus Caecilius Metellus Pius comme co-général du théâtre espagnol pour la guerre contre Quintus Sertorius, le neveu de Marius (et l'un des plus grands généraux de l'histoire romaine, comme son oncle), qui avait fait sédition après avoir quitté l'Italie (pas vraiment convaincu par des chefs comme Cinna ou Carbo). Pompée se fait torcher par son adversaire d'exception, mais Sertorius n'a ultimement pas les moyens de mener une guerre d'attrition face à Rome: il faut 5 ans (et une trahison de l'intérieur qui aboutit à l'assassinat de Sertorius) aux deux co-généraux pour venir à bout de l'Espagne. Et Pompée revient à temps, en 71, pour achever un des restes du soulèvement de Spartacus qui croise son chemin (Crassus, avec César comme second, avait alors fait le gros du boulot, entre 73 et 71), mais surtout, pour (malgré leur inimitié née immédiatement quand Pompée a réclamé une part de la victoire sur Spartacus) former avec Crassus une alliance (grandement façonnée par César) leur octroyant le consulat. En 70, après avoir multiplié les commandements extraordinaires et essentiellement extra-légaux, obtenu plusieurs triomphes illégaux, chié sur les lois de la république, et n'avoir jamais intégré le sénat ou même avoir une seule fonction légale, Pompée est élu consul avec Crassus, à 36 ans, soit 4 ans avant d'avoir l'âge légal pour le job. L'un des points fondamentaux de ce consulat est la mort définitive de la "constitution de Sulla" (8 ans à peine après la mort du dictateur... Et de la main de son petit chouchou), par le rétablissement des prérogatives du Tribunat de la Plèbe, ce qui l'ancre pour longtemps dans l'affection des "populares" -qui ne portent pas ce nom, ne sont pas une faction structurée, et que Pompée ne "rejoint" pas, n'oeuvrant que pour lui.... Essentiellement pour que le Tribunat lui attribue ce qu'il veut (surtout l'amnistie pour tous les trucs pas légaux qu'il a fait). Il n'a jamais mené de politiques "populares" de type réforme agraire ou redistribution des richesses: les seuls trucs qu'il a fait dans ces domaines étaient pour trouver des terres à ses vétérans (on y revient toujours), très nombreux. 

Après son consulat, Pompée se retire un temps dans ses terres au lieu de prendre en charge une province consulaire, comme il est censé le faire (pas illégal, mais c'est chier publiquement sur un usage, une obligation morale, donc sur les traditionnalistes); c'est pour mieux préparer son coup suivant.... Un commandement exceptionnel comme Rome n'en a encore jamais vu. Celui contre Sertorius était déjà extraordinaire: un imperium sans limite de temps, avec toute latitude d'action et prérogatives de consul pour un jeune sans parcours sanctionné ou statut légal suffisant. Mais celui que Pompée obtient en 67 (après avoir obtenu, via des tribuns de la plèbe achetés, des lois le facilitant, et en profitant d'une provision législative très spéciale laissée par Sulla) est sans commune mesure: un commandement de 3 ans sur l'ensemble de la Méditerranée et les terres l'entourant jusqu'à 50 miles depuis le rivage, avec un imperium (imperium maius) s'imposant à tout commandant romain où que ce soit (même de statut proconsulaire). Avec ça, un budget sans limite (et le droit de prélever chez les alliés des romains), aucun plafonnement du recrutement de troupes, un nombre illimité de navires et, plus symbolique encore, un nombre illimité de légats. Le tout pour combattre le fléau qu'était alors devenue la piraterie dans tout le monde méditerranéen (Ostie venait alors d'être pillée et deux prêteurs kidnappés sur place, les flottes de grain étaient systématiquement prises, le commerce disparaissait partout). Dans une Rome où les commandements ne sont pas censés durer plus d'un an, à moins d'une prolongation expressément votée, ce genre de durées commençait à se multiplier depuis Marius et ses 6 consulats d'affilée, Sulla en Orient, Pompée et Mettelus Pius en Espagne, et le père de Marc Antoine (un crétin fini dont le cognomen était un jeu de mots: "creticus" voulant dire "conquérant de la Crète" -ce qu'il n'avait fait qu'en mots-, mais aussi "homme de craie" -ce qu'il était) pour un commandement assez proche dans le principe de celui qu'obtient Pompée en 67 (mais Creticus n'était dangereux aux yeux de personne). 

Le Sénat doit avaler la pilule face au vote de la Plèbe, et Pompée (avec près de 200 000 soldats et marins, et 300 vaisseaux plus des flottes alliées) prend moins de 6 mois pour débarrasser toute la Méditerranée de pirates, d'est en ouest (Mer Noire incluse), preuve qu'il a du passer le temps entre son consulat et ce commandement à planifier l'opération dans tous les détails. Mais même cet immense commandement n'a été passé que pour en préparer politiquement et militairement un plus grand encore, le couronnement de sa carrière d'iconoclaste: la (dernière) guerre contre Mithridate VI (le "fameux", celui qui avalait chaque jour des tas de poisons pour s'immuniser, celui qui avait buté tous les expats romains d'Asie et que Sulla avait poutré une première fois entre 87 et 83). Lucullus (le second et favori de longue date de Sulla) la menait depuis 73, contre Mithridate VI, roi du Pont, et Tigranes II "le Grand" roi d'Arménie, mais en 67, Pompée a manoeuvré contre lui à Rome et dans son propre Etat-Major et son armée (via le beau-frère de Lucullus, Publius Clodius, futur poids lourd lui aussi iconoclaste et précipitateur de la fin de la République, allié de César et roi de la rue romaine) pour lui arracher ce commandement et s'en faire voter un plus vaste. Pompée achève les deux monarques orientaux (déjà pour l'essentiel vaincus par Lucullus), et surtout, conquiert et met l'Anatolie et le Proche Orient en coupe réglée (Syrie, Judée, Galatie, Cappadoce, Pont, Arménie et une floppée de petits royaumes), profitant des fruits de la victoire; un butin immense et de nouveaux tributs annuels (les revenus de Rome sont presque doublés, le Trésor aussi double), de nouvelles provinces et Etats-satellites, et une immense clientèle pour Pompée lui-même (un tas de rois sont désormais ses clients). Quand il revient à Rome, en 61, Pompée est de très loin le premier personnage du monde romain, et le retour de César de son mandat de pro-prêteur en Espagne ultérieure en 60 pour se faire élire consul lui offre un allié de poids, surtout avec l'adjonction de Crassus et la formation de leur triumvirat: Pompée peut faire sanctionner toutes ses actions à l'est. A eux trois, ils "pèsent" plus lourd que le reste. 

Je détaille cette histoire parce que Pompée est le prototype: même s'il y a des précédents (de plus petite échelle) à certains de ses mandats, c'est un OVNI qui force et viole la loi romaine, souvent pour répondre à des besoins concrets que les dispositifs en place ne sont pas capables de traiter (en grande partie par l'archi-conservatisme et l'incompétence des réactionnaires), ou en tout cas parce que des campagnes de com sont menées pour faire croire à l'urgence et à l'incompétence, afin de pointer Pompée comme le seul recours possible, rendant "obligatoire", dans les esprits, l'octroi de commandements et prérogatives exceptionnels. La multiplication de telles mesures, pas que par Pompée, devient une habitude rapidement sur la période, si bien que le fonctionnement de la république en est bouleversé, et du côté des armées, la grande majorité de la vie se passe bien loin de Rome et de la vie civique normale, au service d'un chef tout puissant par qui viennent le butin et la retraite, et qui fait sa propre propagande dans leurs rangs (sauf des snobs comme Lucullus, pourtant un grand général, mais trop aristo pour être populaire: c'est un chef très compétent, mais dur, insensible, peu charismatique, et méprisant). 

Concession de service public et "appropriation" des armées (ou toute autre prérogative de l'Etat) par des opérateurs privés (ce que sont ces chefs-généraux-personnages individuels) sur fond d'une république ne fonctionnant pas (en grande partie parce qu'une portion de la classe politique est trop faible et/ou trop corrompue pour vouloir la voir fonctionner, voire la fait dysfonctionner activement et consciemment), c'est le mécanisme de base qui dérègle la machine et, avec l'avidité et la concurrence inhérentes à tout régime délibératoire (république, démocratie), ainsi qu'avec en toile de fond la tendance lourde à la concentration des richesses (et à la plus grande hiérarchisation/féodalisation sociale, en concurrence avec une grogne forte et permanente, plus ou moins canalisée par des factions), c'est je trouve le schéma qu'on voit se mettre en place aux USA. Quand je parle de leaders potentiels, que ce soit au niveau local ou national, je parle aussi bien de nouvelles générations de PDG/entrepreneurs qui se mettent en scène et se surmédiatisent façon Steve Jobs (kermesses marketing souvent à "style" presque messianique, présence médiatique forte, circuits de conférences genre TED....) en plus de recourir aux habituels relais de puissance (lobbying, conférences et clubs genre Davos/Bilderberg, réseautage entre pairs....), que de tous types de leaders d'opinion, y compris les journalistes (jamais la scène médiatique n'a vu autant de culte de la personnalité sur de "grands noms") et politiques (ceux qui arrivent à se forger une forte "name recognition", fameuse ou "in-fameuse", comme Trump.... Qui a malgré tout une vraie base désormais, notamment dans les 20-25% d'Américains de droite dure à tendance autoritariste). 

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