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[LPM] Loi Programmation Militaire


xav
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Il y a 4 heures, Fusilier a dit :

Le coût des matières premières a bon dos... Ce projet merde industriellement depuis le début. Le montage industriel c'est une usine à gaz (ça génère surcoûts ?) et financièrement c'est tendu depuis le début. cf les exigences milis de la MN; on est partis d'une idée d'OPV pour atterrir sur une quasi corvette... De plus la MN s'entête à vouloir remplacer les OPV 54 de Cherbourg par 3 de ces navires ... :rolleyes:

J'ai l'impression que l'état aurait été très heureux de transformer le segment "patrouilleur de guerre" en machin quasi-civil armé de deux 12,7 et limité à la lutte contre la pêche clandestine, quand la marine voulait conserver de vrais navires de guerre capable de faire le boulot d'une mini frégate. Forcément, dans un contexte à la fois budgétairement contraint mais où du fait de la situation géopolitique, on évite de trop se foutre à poil, ça aboutit à un programme un peu bancal. 

Le rêve ça serai quelque chose qui ressemble aux corvettes allemandes de classe Braunschweig : quasi 2000 tonnes, capacités anti-navire, anti-air et anti-sous marines. Tu rajoutes 4 ou (soyons fous) 8 lanceurs verticaux et t'as une vraie mini-frégate multi-mission qui pourrait réellement avoir un rôle de combat en plus de soulager les frégates de premier rangs de certaines tâches : surveillance autour de l'île longue lors des dilutions de nos SNLE, ect. 

Modifié par CortoMaltese
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il y a 24 minutes, CortoMaltese a dit :

J'ai l'impression que l'état aurait été très heureux de transformer le segment "patrouilleur de guerre" en machin quasi-civil armé de deux 12,7 et limité à la lutte contre la pêche clandestine, quand la marine voulait conserver de vrais navires de guerre

Je ne crois pas que les choses soient aussi simples, ni que "l'Etat" (qui, la MN n'est pas l'Etat? ) "ait voulu quelque chose" contre l'avis de la MN ou des armées. 

Au départ, il y a "beaucoup" d'années, on avait prévu des FREMM AVT pour remplacer les A 69, puis on est passé à un même navire pour remplacer les P400 et les A 69 , puis on a fait les 3 PAG  (Antilles Guyane)  puis on a séparé les patrouilleurs outremer (peu armés et dédiés à la police de la ZEE) des patrouilleurs métropolitains, censés remplacer les A 69 (on y a ajouté les 3 OPV 54 dans le programme)

La MN voulait des vrais remplaçants des A 69 (au moins conceptuellement)  donc à minima sonar de coque, normes de construction milis, etc...  Ainsi, concernant le remplacement des A 69, on est passé d'une frégate AVT à un concept d'OPV,  pour atterrir dans un concept de "quasi corvette" (notion à moduler en fonction de l'arment final) en tout cas plus guerrier qu'un OPV... La difficulté, me semble-t-il, c'est que l'on a construit un budget sur le concept d'OPV alors que l'on voulait construire des navires de combat. Et un des anciens amiraux est peut-être responsable de la confusion, en présentant comme une victoire le chiffre de 10 patrouilleurs, afin de remplacer les 7 A69 et les 3 OPV 54... 

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il y a 22 minutes, Fusilier a dit :

Je ne crois pas que les choses soient aussi simples, ni que "l'Etat" (qui, la MN n'est pas l'Etat? ) "ait voulu quelque chose" contre l'avis de la MN ou des armées. 

Au départ, il y a "beaucoup" d'années, on avait prévu des FREMM AVT pour remplacer les A 69, puis on est passé à un même navire pour remplacer les P400 et les A 69 , puis on a fait les 3 PAG  (Antilles Guyane)  puis on a séparé les patrouilleurs outremer (peu armés et dédiés à la police de la ZEE) des patrouilleurs métropolitains, censés remplacer les A 69 (on y a ajouté les 3 OPV 54 dans le programme)

La MN voulait des vrais remplaçants des A 69 (au moins conceptuellement)  donc à minima sonar de coque, normes de construction milis, etc...  Ainsi, concernant le remplacement des A 69, on est passé d'une frégate AVT à un concept d'OPV,  pour atterrir dans un concept de "quasi corvette" (notion à moduler en fonction de l'arment final) en tout cas plus guerrier qu'un OPV... La difficulté, me semble-t-il, c'est que l'on a construit un budget sur le concept d'OPV alors que l'on voulait construire des navires de combat. Et un des anciens amiraux est peut-être responsable de la confusion, en présentant comme une victoire le chiffre de 10 patrouilleurs, afin de remplacer les 7 A69 et les 3 OPV 54... 

J'aurai du être plus précis : par état j'entendais le gouvernement, le pouvoir politique civil. Mais j'ai l'impression que ton commentaire confirme l'idée que je m'en faisais : la Marine qui plaide pour de vrais navires de guerre et des gouvernements successifs qui, faute de crédits, tergiversent, repoussent, ou tentent de transformer ce programme en patrouilleurs de service public de luxe avec un armement quasi symbolique.

 

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L'audition du DGA a été publiée:

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_def/l16cion_def2122004_compte-rendu#

Il aborde le sujet de l'échec du SCAF et du MGCS, sur le thème de "la coopération oui mais pas à n'importe quel prix et n'importe comment".

Un autre point intéressant c'est qu'il communique aussi sur la conception par la DGA d'outils d'attaque informatique pour la DGSE.

Citation

 

Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Audition de M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement.

 


Mercredi
13 juillet 2022

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 4

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence
de M. Thomas Gassilloud,
président

 

 

—  1  —

La séance est ouverte à neuf heures.

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur le Délégué général, cette audition est particulière, puisque vous quitterez vos fonctions à la fin du mois, après cinq années passées à la tête de la Direction générale pour l’armement (DGA). Ces dernières années, nous avons eu l’occasion de nombreux échanges, au sein de cette commission ou lors de déplacements. Je tiens à vous remercier pour la disponibilité dont vous avez fait preuve tout au long de ces années auprès de la représentation nationale et pour les échanges que vous avez entretenus avec les membres de cette commission.

Ces échanges sont d’autant plus importants que la DGA est une institution centrale au sein de notre politique de défense, puisqu’elle est en charge de l’équipement de nos forces armées. En 2021, la DGA a passé pour plus de 23 milliards d’euros de commandes à l’industrie, ce qui en fait le premier acheteur de l’État.

Le rôle de la DGA ne s’arrête pas à l’équipement des forces, puisqu’elle a également pour mission de développer la base industrielle et technologique de défense (BITD), de promouvoir la coopération européenne et de soutenir les exportations d’armements.

Cette audition sera certainement l’occasion pour vous, Monsieur le Délégué général, de faire le bilan de l’action de la DGA durant votre mandat pour l’ensemble de ses aspects. Nous serons également ravis de vous entendre sur les principaux enjeux à venir pour la DGA, ses possibles évolutions au regard du retour en Europe des conflits de haute intensité et son adaptation à une « économie de guerre », pour reprendre l’expression du Président de la République lors du salon Eurosatory, il y a quelques semaines.

Dans le cadre de la réévaluation de la loi de programmation militaire (LPM) annoncée par le Président de la République, quelles leçons la DGA tire-t-elle du conflit en Ukraine ? Faut-il revoir l’équilibre entre technologie et masse ? Quel axe de développement capacitaire préconisez-vous à l’aune de ce nouveau contexte stratégique ?

Enfin, il sera utile de faire un point sur les principaux programmes de coopération européenne en cours, notamment le système de combat aérien du futur (SCAF) ou le système principal de combat terrestre (Main Ground Combat System, MGCS).

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. Mesdames et Messieurs les députés, votre invitation me fournit l’occasion de faire un bilan de mes cinq années passées à la tête de la DGA, qui correspondent au premier quinquennat du Président de la République.

En 2022, à mi-parcours de la loi de programmation militaire 2019-2025, notre budget d’investissement a atteint de 15 milliards d’euros de paiements - le président a cité le chiffre des engagements -, contre 10 milliards d’euros en 2017. L’effort de défense voulu par le Gouvernement et le Président de la République se monte à quelque 50 % en termes d’investissements de défense depuis 2017.

En termes d’équipement des forces armées, qui est notre mission principale, je citerai quelques programmes emblématiques ayant abouti à des livraisons. Le véhicule Griffon, premier véhicule blindé du programme Scorpion de l’armée de terre, a été mis en service dans le cadre de l’opération Barkhane. En 2021, nous avons livré les premiers véhicules Jaguar, dont l’un d’eux défilera demain sur les Champs-Élysées. Nous avons livré les premiers Serval. L’évaluation technico-opérationnelle de l’ensemble du système Scorpion est en cours, en vue d’une mise en service au niveau d’une brigade de l’armée de terre dès 2023.

Dans le domaine naval, nous avons livré le premier sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de nouvelle génération de classe Suffren. Il a été admis au service actif, il y a quelques semaines, en présence du ministre Sébastien Lecornu. Naval Group a livré le premier sous-marin Suffren en 2020, en pleine crise de la Covid-19. Inutile de détailler les précautions prises pour assurer, dans un sous-marin, les essais nécessaires et garantir le respect des conditions sanitaires ou des contraintes de distanciation sociale.

Dans le domaine de l’air et de l’espace, je citerai les avions de transport. Demain, dans le ciel de Paris, nous verrons des A400M. Les A400M et les A330 MRTT ont fait leurs preuves, en particulier lors de l’opération d’évacuation de Kaboul, à l’été 2021. Le Rafale en est à son standard F3-R, équipé de missiles air-air à longue portée de nouvelle génération Meteor, qui lui confèrent une capacité de combat entièrement nouvelle.

Dans le domaine du spatial, nous avons renouvelé la composante satellitaire optique, dont les deux premiers satellites ont été mis en service. Nous avons renouvelé nos capacités de satellites de télécommunication. Le premier, Syracuse 4A, de nouvelle génération, lancé à l’automne dernier, est en service et a rejoint sa position orbitale définitive. Nous mettons en service les satellites d’interception électromagnétique, appelés satellites CERES, qui sont d’ores et déjà utilisés sur le front de l’Est pour acquérir du renseignement électromagnétique.

Dans le domaine des drones, nous sommes sur une trajectoire de montée en puissance. Plus de mille drones seront en service dans nos armées d’ici deux à trois ans. L’armée de terre utilise déjà le système de mini-drones de renseignement lors d’opérations au Sahel. Nous continuons à utiliser le drone Reaper qui, à terme, sera remplacé par le programme EuroMale sur lequel je reviendrai à propos de la coopération avec nos partenaires européens.

Depuis 2017, nous avons réalisé avec succès cinq tirs de notre force de dissuasion de la composante nucléaire océanique équipés de missiles balistiques et de la composante nucléaire aéroportée dotée de missiles air-sol moyenne portée (ASMP). Ces succès sont le gage de la crédibilité de notre force de dissuasion.

En résumé, hormis quelques difficultés sur lesquelles vous reviendrez peut-être, nous avons délivré pour répondre aux besoins de nos armées.

La préparation de notre système d’armes du futur comporte trois volets.

Le premier est une démarche capacitaire consistant à préparer avec les armées et l’industrie notre futur système d’armes de manière collaborative, c’est-à-dire à travailler ensemble dès le départ pour définir système par système, et non plus programme par programme ou silo par silo, les systèmes d’armes dont nous aurons besoin. Nous avons introduit cette démarche capacitaire en créant des plateaux collaboratifs avec les armées et avec l’industrie dès la phase amont, de manière à gagner en efficacité dans la phase de préparation des programmes, cruciale pour en garantir la réussite.

Le deuxième volet est l’innovation, qui comporte deux dimensions : le temps long, c’est-à-dire la préparation des investissements de rupture – hypersonique, robotique –, afin d’anticiper et maîtriser les ruptures technologiques ; et le temps court, durant lequel il s’agit d’être capable de capter rapidement l’innovation du marché civil.

Cela reposait sur une augmentation du budget consacré à la recherche et à la technologie, qui est passé de 750 millions d’euros par an, dans l’ancienne LPM, à 1 milliard d’euros en 2022. Sur les 15 milliards d’euros évoqués tout à l’heure, ce milliard d’euros permet d’accentuer l’effort d’innovation et de préparation de l’avenir.

En termes d’organisation, l’Agence de l’innovation de défense (AID) a été créée en 2018, pour une double mission. La première vise à mieux fédérer les actions d’innovations au sein du ministère, à la fois au sein de la DGA et au sein des armées ou d’autres services. La seconde est l’ouverture aux innovations civiles. Il s’agit de repérer et d’identifier dans les start-ups les technologies intéressantes pour la défense, de les faire venir à maturité afin de les introduire dans nos programmes d’armement au fur et à mesure de leur avancement.

L’action de l’AID est étroitement imbriquée dans celles de la DGA et de nos centres techniques en région. Nous avons créé, autour des centres de la DGA, des pôles techniques d’innovation qui regroupent, région par région, l’ensemble du tissu industriel et académique qui concerne le matériel d’armement. Une dizaine de pôles techniques, ou « clusters », ont été créés un peu partout sur notre territoire.

Le troisième volet de notre préparation du futur, ce sont nos investissements dans les nouveaux champs de conflictualité, au-delà des domaines terre, air, mer. La cyberdéfense est une priorité absolue. Quelques 600 ingénieurs travaillent dans ce domaine dans notre centre DGA Maîtrise de l’information (DGA-MI) à Bruz, à côté de Rennes. Ils seront un millier dans les deux à trois ans qui viennent. Ils sont à la disposition des services et des armées pour mettre au point les outils de lutte informatique dont ils ont besoin à mesure des développements et de l’actualité.

Dans le domaine spatial, j’ai évoqué le renouvellement de nos composantes livrées dans le cadre de la première moitié de la LPM. Nous compléterons le renouvellement des capacités dont nous disposons déjà par des capacités améliorées de surveillance et d’action dans l’espace, qui font partie des priorités additionnelles de la politique spatiale militaire que nous traitons depuis plusieurs décennies.

Nous devons développer la lutte anti-drone. Chaque fois qu’une arme apparaît, il faut prévoir la défense correspondante, lutte habituelle entre le glaive et le bouclier. Nous avons développé des premières bulles de protection permanente, destinées à sécuriser les points fixes. Nous avons en particulier pour objectif de sécuriser les prochains événements sportifs, notamment les Jeux olympiques de 2024, mais aussi la Coupe du monde de rugby, dès 2023.

Nous avons engagé un développement stratégique pour la maîtrise des fonds marins dans le but de nous doter de moyens capables de réaliser des identifications sous la mer ou d’agir si nécessaire. Nous avons réalisé les premières expérimentations dès cette année.

La préparation du futur comporte, premièrement, une démarche capacitaire pour être le plus cohérent possible en matière de fourniture des systèmes ; deuxièmement, l’innovation technologique ; et troisièmement, la réponse aux nouveaux champs de conflictualité, menaces nouvelles auxquelles nous devons faire face.

Pour tout cela, nous avons besoin d’une industrie. Notre BITD représente un chiffre d’affaires annuel d’un peu moins de 30 milliards d’euros. Elle se compose d’une dizaine de grands groupes, à côté desquels œuvrent 4 000 entreprises de toutes tailles, dont un grand nombre de petites et moyennes entreprises (PME). Parmi ces PME, environ 10 %, soit 400 entreprises, sont considérées comme critiques et stratégiques, en ce qu’elles développent des technologies indispensables sur lesquelles nous devons garantir maîtrise et souveraineté.

Cela représente un peu plus de 200 000 emplois. Nous estimons que l’effort de la LPM 2019-2025 a d’ores et déjà induit le développement de 35 000 emplois supplémentaires. Ces 200 000 emplois représentent 4 % de l’emploi industriel français. Ces emplois de haute valeur ajoutée sont non-délocalisables, ne serait-ce que parce que notre politique industrielle donne priorité à la souveraineté.

Cette industrie contribue très positivement à la balance commerciale de la France. Le dernier chiffre dont je dispose fait état d’un excédent commercial de 8,5 milliards d’euros en 2019.

Cette BITD repose sur trois piliers.

Le premier pilier est la commande publique. Vous l’avez dit, Monsieur le président, celle-ci a atteint 23 milliards d’euros d’engagements en 2022. La commande publique est significativement à la hausse au titre de la LPM 2019-2025.

Le deuxième pilier est l’exportation, qui permet de prolonger les séries, donc de diminuer le coût unitaire des équipements. Celle-ci favorise la compétitivité de notre industrie en la confrontant à la concurrence internationale à laquelle sont soumis les marchés à l’exportation. Elle permet d’entretenir l’outil de conception et de production nécessaire pour livrer nos propres matériels, sachant que les commandes nationales ne suffiraient pas à en garantir la pérennité. Cela permet aussi de développer des capacités nouvelles demandées par les clients à l’export, que nous reprenons pour nos propres forces sans avoir à en financer le développement.

À mi-2022, le bilan des prises de commandes est satisfaisant puisque, sur les cinq dernières années, leur montant total atteint 65 milliards d’euros, soit une moyenne annuelle supérieure à 10 milliards. Vous avez entendu parler des exportations de Rafale, de la frégate de défense et d’intervention (FDI) à la Grèce, d’hélicoptères et, évidemment, de système d’artillerie Caesar à la République tchèque ou à la Lituanie.

Le dernier pilier sur lequel repose la BITD est sa nature duale. Rares sont les industriels de défense qui sont spécifiquement en défense. Il importe que la majorité de ces entreprises reposent sur deux jambes : le marché militaire et le marché civil. C’est le cas de la plupart d’entre elles, sauf cas particuliers comme NEXTER ou le missilier MBDA.

Au sein de la DGA, le soutien à la BITD se manifeste de plusieurs manières.

D’abord, nous surveillons toutes ces entreprises par des contacts réguliers, en particulier pour les chaînes d’approvisionnement des PME, qui sont les sous-traitants de nos grands maîtres d’œuvre. Lors de la crise de la Covid-19, en 2020 et 2021, nous avons mis en place une « task force » dédiée pour les aider à obtenir les prêts garantis par l’État (PGE). Nous avons anticipé les commandes et des paiements lorsque c’était nécessaire pour garantir leur stabilité financière. Nous avons veillé à ce que la BITD ne souffre pas trop de la crise de la Covid-19.

Nous les aidons aussi en surveillant étroitement le contexte normatif, notamment au niveau européen. Je citerai l’exemple significatif de la taxonomie qui, dans certains rapports publiés par Bruxelles ou par d’autres, a tendance à exclure l’industrie de défense du label vert garantissant un meilleur accès aux financements. Nous devons veiller à Bruxelles à ce que le contexte normatif en termes de taxonomie n’ostracise pas l’industrie de défense. Durant la crise de la Covid-19, nous avons réalisé un effort particulier dans le domaine de l’aéronautique, l’aéronautique civile ayant été particulièrement touchée. Nous avons accéléré les commandes à hauteur de 600 millions d’euros, plus 200 millions d’euros pour la gendarmerie, soit, au total, 800 millions d’euros. Ce sont quelques exemples de soutien à cette industrie que nous mettons systématiquement en œuvre afin d’en garantir la pérennité.

Nous voulons également aider les PME dans le domaine de la cyberdéfense, car elles n’ont pas toujours les moyens de le faire de manière autonome. Nous avons élaboré un dispositif de diagnostic ouvert à toutes les PME de la défense pour qu’elles puissent identifier elles-mêmes leurs points de faiblesse et de vulnérabilité dans ce domaine. Nous agissons avec elles pour rendre ce diagnostic aussi efficace que possible et les aider à faire évoluer leur dispositif en les subventionnant en vue de construire les barrières nécessaires face au risque cyber.

Le quatrième volet du bilan concerne les programmes de coopération. Nous le faisons d’abord pour une raison politique, car l’Europe de l’armement est un élément constitutif de l’Europe de la défense. Une autre raison est d’ordre opérationnel : la plupart des opérations de nos armées se faisant en coalition, il faut pouvoir opérer avec des pays partenaires et la coopération en matière d’armement améliore l’interopérabilité des forces. Troisièmement, la coopération permet le partage de coûts non récurrents, qu’il s’agisse d’investissement, de développement ou de soutien. Cela présente des avantages pour l’État et est de nature à stimuler la création d’une BITD encore plus européenne, c’est-à-dire la possibilité pour nos entreprises, grâce à la dimension européenne, d’atteindre la taille critique, au-delà de ce que nous faisons déjà.

La LPM 2019-2025 prévoit une augmentation de nos actions en coopération. Une dizaine de programmes sont en cours, une dizaine sont en préparation. Nous avons pour cible de consacrer 30 à 35 % du budget d’investissement aux programmes dits à effet majeur, c’est-à-dire les programmes conventionnels hors dissuasion. Nous en serons à environ 15 % en 2023.

Le programme de coopération « capacité motorisée » (CaMo) en matière terrestre avec nos amis belges donne satisfaction. Nous avons commencé à leur vendre des véhicules Scorpion, achetés par la DGA pour le compte de la Belgique, sur de l’argent belge. Nous développons cette démarche d’exportation vers une véritable coopération pour développer le véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), et partager les coûts non récurrents nécessaires à ce développement.

Cette coopération d’armement avec les Belges s’accompagne d’une coopération étroite entre les deux armées de terre, qui va probablement s’étendre dans certains domaines aux autres pays du Benelux, le Luxembourg et les Pays-Bas. Le rapprochement avec les Belges est un grand succès dans le domaine des matériels terrestres et celui des bâtiments de guerre des mines. Nous allons travailler avec eux sur des bâtiments de guerre des mines communs avec les Néerlandais.

La coopération avec les Britanniques, qui ont quitté l’Union européenne en 2016, repose sur le traité de Lancaster House, signé en 2010 et qui a mis en place plusieurs coopérations bilatérales. Dans ce cadre, nous avons conçu ensemble le nouveau système de guerre des mines à base de drones afin de limiter le risque des démineurs et avons déjà livré les premiers systèmes à nos deux marines. Nous travaillons avec les Belges et les Néerlandais sur le bâtiment destiné à emporter ces systèmes de guerre des mines à base de drones.

Surtout, dans le traité de Lancaster House, la société One MBDA, missilier implanté à la fois en France et au Royaume-Uni (aussi en Allemagne et en Italie), a pour mission d’équiper de missiles les armées de nos deux pays en partageant les coûts de réalisation, les compétences et les capacités. Nous avons avec eux le projet clé « futur missile antinavire/futur missile de croisière » (FMAN/FMC). Nous en avons engagé la phase de définition en commun, à la fin de l’année 2021, non sans difficulté, parce que les concepts opérationnels de nos deux marines ne sont pas parfaitement convergents et parce que le climat politique entre nos deux pays n’était pas au beau fixe à ce moment-là. Nous aurons un rendez-vous important en 2023 pour confirmer le montage de ce projet.

Avec les Italiens, nous poursuivons la coopération dans les dispositifs de défense sol-air ou mer-air moyenne portée, en particulier en développant les versions successives du missile Aster.

Avec les Espagnols, j’évoquerai le SCAF et un projet de matériel radio logicielle, sur lequel nous essayons d’engager une coopération ferme et définitive, ce qui n’est pas encore le cas à ce stade.

J’en viens à l’Allemagne.

En 2017, le Président Macron et la chancelière Merkel étaient convenus du lancement commun de cinq programmes d’armement.

Le programme de drones de moyenne altitude et de longue endurance Eurodrone a été confirmé et lancé en 2022. Réalisé avec les Allemands, les Espagnols et les Italiens, il remplacera, d’ici à la fin de la décennie, le Reaper que nous achetons et utilisons avec les Américains depuis quelques années.

En revanche, nous avons subi des aléas pour le Standard 3 du Tigre. Ce programme d’hélicoptère de combat de nouvelle génération a fini par être abandonné par les Allemands. Les Espagnols ont accepté de continuer de coopérer avec nous. C’est un des volets clés de notre coopération avec l’Espagne.

Concernant les avions de patrouille maritime destinés à faire de la surveillance maritime dans le cadre de la force de dissuasion, les Allemands ont décidé d’acheter des avions Boeing. Bien que présenté comme une solution intérimaire, cela a eu pour effet immédiat de nous obliger à remettre sur le métier l’ouvrage de construction du programme en coopération que nous avions imaginé.

Nous travaillons depuis plusieurs mois au lancement de la phase de démonstration en vol du SCAF et de démonstration technologique en termes de développement et d’innovation du MGCS. Nous n’avons pas encore bouclé les discussions. Des travaux préliminaires relatifs à l’étude d’architecture système et à la première phase de démonstration technologique sont en cours, mais nous voudrions passer aux phases suivantes.

À côté de cette coopération bi ou multilatérale, est apparue une « coopération communautaire », entrant dans le cadre de l’Union européenne et organisée par la Commission européenne. Le programme préparatoire au programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID) a porté sur les années 2019-2020 et nous préparons le lancement de la première tranche des fonds européens de défense (FEDef) pour 2021, qui représentent un investissement de l’Union européenne de 1,1 milliard d’euros. Un comité de programme est organisé par la Commission européenne, le 19 juillet. Nous devions obtenir de bons résultats. Nous visons un retour financier supérieur ou égal à 20 %, soit supérieur aux 15 % de notre contribution, et une présence dans une grande majorité de projets d’une grande majorité des vingt-cinq pays membres. Les chiffres préliminaires dont nous disposons nous permettent d’être confiants.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, telles sont les grandes lignes d’un bilan que je considère comme satisfaisant. Ce n’est pas le fruit du hasard mais de l’ensemble des réformes engagées pour améliorer la préparation et la conduite de nos programmes d’armement avec les armées et l’industrie, au travers d’une démarche capacitaire qui s’appuie sur un travail collaboratif important. Nous avons réalisé un effort significatif d’agilité en promouvant une démarche incrémentale dans la livraison de nos programmes à mesure de leur développement, afin d’y introduire les évolutions technologiques au fil de leur maturité.

Tout cela a déjà permis des gains substantiels. J’ai cité la livraison du premier SNA de nouvelle génération Suffren. En 2020, malgré la crise de la Covid-19 et les consignes de sécurité sanitaire à respecter, nous avons réussi à diviser par deux la durée des essais après livraison par Naval Group, qui est passée de treize à six mois. De même, pour le Griffon, la durée des essais avant la livraison aux armées pour expérimentation a été divisée par deux, passant de trois à un an et demi, grâce à la numérisation des conceptions.

La DGA coûte à l’État 7 à 8 % du montant des paiements dont nous sommes responsables au titre des programmes budgétaires 146 et 144, pourcentage à comparer avec d’autres agences internationales.

En conclusion, quelles sont les perspectives à court terme ?

Le ministre a confirmé que le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 comprendrait une augmentation de 3 milliards d’euros du budget de la mission Défense, qui profitera pour environ la moitié aux programmes d’armement que je viens d’évoquer. La reprise des livraisons de Rafale à notre armée de l’air et de l’espace est prévue pour 2023, la première devant intervenir d’ici la fin de cette année. En 2023, nous livrerons des dispositifs de lutte anti-drone, en particulier pour les événements nationaux de 2023 et 2024 mais aussi pour notre marine et notre armée de terre. Nous poursuivrons les livraisons de missiles. Je reviendrai sur la problématique des stocks de munitions. Nous livrerons le deuxième SNA Barracuda, le Duguay-Trouin. L’industrie doit également livrer le premier bâtiment ravitailleur de forces (BRF), destiné à ravitailler les bâtiments en mer. Nous livrerons le premier patrouilleur pour déploiement en outre-mer et la première tranche de rénovation des chars Leclerc. Nous poursuivrons la livraison des matériels Scorpion.

Par ailleurs, l’un des premiers enseignements à tirer de l’Ukraine est la notion d’économie de guerre, c’est-à-dire la capacité de soutenir dans la durée des cadences élevées de consommation de munitions et une attrition accélérée des matériels. Nous avons pour atout une politique privilégiant des activités industrielles de défense nationales, puisque la souveraineté de nos capacités a toujours été un critère majeur de choix depuis le général de Gaulle.

Nous étudions différentes pistes pour une meilleure compatibilité avec une économie de guerre que nous n’avions pas entièrement imaginée dans le cadre de la LPM 2019-2025. Il s’agit de recourir davantage au dispositif d’urgence opérationnelle permettant d’acquérir des systèmes d’armes essentiellement sur étagère à très bref délai, inférieur à un an. Nous devons travailler à la constitution de stock de long terme à même d’accélérer la production d’équipements si nécessaire en cas de crise. Nous envisageons la création d’un dispositif contractuel d’anticipation de commandes selon un calendrier de livraisons nominales, dans le cadre d’une commande initiale avec des possibilités d’accélération, tout en préservant la responsabilité de l’industrie maître d’œuvre, afin de garantir la qualité des matériels produits.

Nous étudions la mise en place de ressources et de compétences humaines complémentaires. Pourquoi ne pas créer un dispositif de réserve dans l’industrie ? Nous recherchons à améliorer les possibilités de réquisition ou de priorisation des livraisons par les industriels, qui existent dans le cadre réglementaire ou dans le cadre législatif. Il n’est pas exclu de faire des propositions en ce sens pour la nouvelle LPM.

Cela doit être programmé sur le plan budgétaire. Le Gouvernement vous fera des propositions dans le cadre de la nouvelle LPM, dont la Première ministre a fait état dans son discours de politique générale et que le Président de la République avait annoncée dans son discours d’Eurosatory. Bien entendu, nous allons poursuivre un dialogue étroit avec l’industrie sur ce sujet, car elle a peut-être aussi des propositions à faire, auxquelles nous serons très attentifs.

La Commission européenne met en place un instrument d’urgence de recomplètement des stocks et des munitions pour les pays concernés. Nous avons saisi nos grands industriels, Nexter, MBDA, Thales, Safran, Airbus pour qu’ils fassent des propositions, sachant que pour bénéficier du fonds d’urgence de 500 millions d’euros qui doit être mis en place par la Commission européenne dans le cadre du budget européen 2021-2027, il faut être plusieurs, s’engager avec des partenaires et cibler certains équipements utilisés sur le front ukrainien, tels que munitions, armes légères ou équipements du soldat. Il faut agir rapidement, puisque les propositions doivent être faites d’ici à la fin du mois de juillet.

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur le Délégué général, merci pour votre introduction d’autant plus utile en ce début de mandat que notre commission a été profondément renouvelée. Vous avez décrit un panorama exhaustif des sujets de la DGA. Vous avez livré d’utiles éléments de bilan de la première LPM, auxquels nous aurons peut-être à réfléchir dans les prochains mois.

M. Mounir Belhamiti. Monsieur le Délégué général, vous avez cité le cyber comme priorité absolue et pointé la nécessité de passer de 600 à 1 000 ingénieurs, et la répartition de l’AID sur nos territoires, en lien avec nos pôles de recherche, mérite d’être saluée. Comment se traduisent techniquement et concrètement les moyens de lutte contre les cybermenaces grandissantes ? Prévoyez-vous l’acquisition de supercalculateurs, des travaux sur la quantique et des études sur les nouveaux moyens de communication ? Vous avez cité les satellites mais de nouveaux moyens sont à l’œuvre. Vous avez cité le diagnostic cyber pour les sous-traitants alors que l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) travaille aussi sur ces questions. Comment travaillez-vous avec l’ANSSI ? Est-ce en recouvrement ou en complémentarité avec celle-ci ?

M. Laurent Jacobelli. Monsieur le Délégué général, la vision gaullienne de l’Europe des projets, pays par pays, montre ses limites dans notre collaboration avec l’Allemagne. Le MGCS prend du retard et force est de constater que nos partenaires allemands travaillent aussi sur leur propre projet de char, privilégiant leur intérêt national. Comment sortir de cet enlisement ? Existe-t-il des projets alternatifs ? Quelles solutions envisageons-nous ? Selon le PDG de Dassault Aviation lui-même, le projet de SCAF connaît aussi quelques problèmes. S’il est bon d’associer les moyens, les talents et les savoir-faire, les projets de coopération ne doivent pas être mus uniquement par la politique et l’idéologie mais se concrétiser. L’Allemagne joue-t-elle le jeu et y a-t-il un risque budgétaire de dépassement, voire de non réalisation de ces projets ?

M. Aurélien Saintoul. On valorise souvent les PME de notre BITD. Quel est votre bilan, sur cinq ans, de l’intégration des start-ups et autres PME dans les gros contrats d’armement ? On attendait une sorte de révolution par l’intégration des petits sous-traitants par à pas, dans les grands programmes d’armement. Quels volumes ont été confiés à ces entreprises ?

Au Sénat, vous avez évoqué une évolution du domaine normatif pour la qualification des matériels, notamment des drones. Vous ne nous direz pas qu’il s’agit d’une diminution des exigences en matière de qualification, mais quel est le sens de ces modifications ? Concernent-elles d’autres matériels ?

Les députés du groupe La France insoumise-NUPES sont soucieux de voir réaliser des progrès dans le domaine des nouvelles frontières de l’humanité : spatial, numérique et sous-marin. Naval Group a annoncé le développement d’un pôle « systèmes de mission et de combat » (SMC) à Toulon. La DGA est-elle armée pour faire face à ce changement d’échelle ? En matière cyber, comment la DGA est-elle impliquée dans le plan quantique ?

Mme Valérie Bazin-Malgras. Monsieur le Délégué général, la guerre qui frappe aux portes de l’Europe un pays potentiellement membre de l’Union européenne rappelle combien il est nécessaire d’être préparé. Comme ses partenaires européens, la France soutient l’Ukraine en lui assurant des livraisons d’armes, lesquelles ont cependant montré les limites de stocks de munitions et d’équipements dans notre pays et chez nos partenaires européens. En outre, comme nos collègues Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot l’ont souligné dans leur rapport d’information sur la préparation à la haute intensité, des inquiétudes se font jour au sujet de l’accès à certaines matières premières nécessaires à cette industrie de pointe, en particulier le titane.

Face à ces enjeux de souveraineté, la possibilité a été évoquée, lors du salon Eurosatory du mois de juin 2022, de réquisitionner des matériaux ou des entreprises civiles à des fins militaires. Celle-ci est d’ailleurs envisagée par nos collègues Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot dans leur proposition 20 visant à « lancer un appel d’offres pour la constitution d’opérateurs privés de stockage stratégiques mutualisés (dont poudre, composants électroniques, produits de santé, produits alimentaires de base) avec la garantie de l’État ». Une telle possibilité existe déjà aux États-Unis depuis la guerre de Corée et nécessiterait un dispositif législatif. Cette réflexion est-elle toujours d’actualité ? Pourrait-elle aboutir dans les mois à venir ?

Mme Anna Pic. Alors que les belligérants du conflit en Ukraine et les États européens se préparent à un conflit long, que l’OTAN et ses membres ont annoncé le déploiement de moyens militaires nouveaux aux frontières de l’Union, que les États-Unis ont annoncé l’envoi de 300 000 soldats sur le vieux continent, le retour de la guerre sur le sol européen est en train de transformer le cadre géostratégique que nous connaissions.

Ce conflit de haute intensité, nous n’y sommes pas préparés, même si la LPM a contribué à préserver notre modèle d’armée complet. L’augmentation du budget de la défense prévue par la programmation de 2023 à 2025 devrait être tenue, mais suffira-t-elle ? Avons-nous pris la mesure de l’ampleur des défis qui nous font face ? Les moyens du dispositif militaire français sont-ils proportionnés pour mener de front notre action antiterroriste au Sahel et la défense du flanc est de l’Europe ? Comment la France coordonne-t-elle ses efforts militaires avec ses partenaires européens, ainsi qu’avec la Grande-Bretagne et ses alliés américains ?

M. Christophe Naegelen. Monsieur le Délégué général, tout ce que vous commandez et conceptualisez exige des pièces qui ne sont pas toujours fabriquées en France, en sorte que nous dépendons de puissances étrangères. Au regard de la crise de la Covid-19, la réception de certains composants nécessaires à la construction de l’armement de demain a-t-elle pris du retard ? Quelles sont vos recommandations pour une plus grande indépendance industrielle ? Quelles sont les priorités de réindustrialisation ?

Même si cela dépend davantage du ministère de l’intérieur que de celui des armées, êtes-vous partie prenante dans la mise à disposition du véhicule blindé à roue de la gendarmerie (VBRG) ? Où en sont les possibilités de rétrofitage évoquées il y a deux ans ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Dans les colonnes du Journal du dimanche du 10 juillet dernier, le ministre des Armées affirmait son refus de détailler publiquement l’armement fourni aux forces ukrainiennes, précisant seulement que le montant de l’aide fournie à Kiev était supérieur au chiffre de 160 millions d’euros jusqu’ici avancé. Cependant certaines informations font état, depuis le début du conflit, de livraisons de missiles antichars Milan et antiaériens Mistral, de camions équipés d’un système d’artillerie (Caesar) et d’un nombre significatif de véhicules de l’avant blindé (VAB). L’armée ukrainienne a également indiqué avoir reçu des mines antichars. Monsieur le Délégué général, sans confirmer ou infirmer ces hypothèses, pouvez-vous apporter quelques précisions sur l’utilisation de ces armes en Ukraine ?

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. Face à la menace cyber, la DGA possède une capacité d’ingénierie de près de 700 ingénieurs, nombre qui devrait être porté à un millier, à l’horizon 2025. Notre mission est de fournir des outils de défense et d’attaque cyber aux armées et aux services. Nous travaillons en étroite collaboration avec les armées et avec les services – vous voyez en particulier lesquels – utilisateurs de ce genre de dispositif et nous sommes en relation permanente avec l’ANSSI. Mais c’est un domaine dans lequel la DGA ne se contente pas de faire faire à l’industrie et où elle fait elle-même, pour des raisons de nouveauté et de sensibilité. Il est des actions cyber qu’il n’est pas utile de rendre publiques par de la sous-traitance à l’industrie. C’est pourquoi nous le faisons nous-mêmes, en étroite collaboration avec les armées et les services, afin de les doter de ces outils qui relèvent à la fois de la lutte informatique de défense – parer les attaques cyber auxquelles peuvent être soumis les services de l’État –, de la lutte informatique offensive et de la lutte informatique informationnelle, c’est-à-dire le traitement du volet manipulation de l’information qui prolifère sur les réseaux sociaux. Nous sommes acteurs directs dans l’ensemble de ces domaines.

Dans les territoires, nous avons mis en place des « clusters », c’est-à-dire des pôles de développement technologique qui regroupent chacun, autour d’un chef d’orchestre, soit l’un de nos 10 centres d’expertise et d’essais répartis sur 14 sites implantés sur tout le territoire – Toulon, pour la marine, Cazaux et Istres pour l’aéronautique, Biscarosse et l’île du Levant pour les essais de missile, Bourges et Angers pour le matériel terrestre, etc. –, le tissu académique universitaire et les industriels.

Nous réalisons des actions importantes en matière d’innovation, nous sommes acteurs de la stratégie quantique mise en place par le Gouvernement, grâce à nos équipes de l’AID notamment.

En ce qui concerne la coopération européenne, j’ai du mal à imaginer la construction d’une Europe de la défense sans une certaine coopération avec l’Allemagne, première puissance économique et démographique de notre continent. Le Royaume-Uni, dont la politique en matière de défense est sans doute la plus proche de la nôtre, a décidé en 2016 de sortir de l’Union européenne. Se doter d’une politique d’armement aussi proche que possible avec notre partenaire allemand est un objectif que je partage en tant que citoyen.

En tant que DGA, je considère que la politique de coopération avec l’Allemagne doit reposer sur trois principes. Premièrement, les schémas de coopération et d’organisation industrielle doivent définir clairement les responsabilités. Pour chaque sous-système majeur d’un programme de coopération, il doit y avoir un industriel responsable, et non deux, trois ou quatre regroupés d’une manière plus ou moins souple. Deuxièmement, l’industriel responsable de tel sous-système majeur doit être le meilleur, celui qui a acquis, au fil de son histoire, la meilleure expertise et le meilleur savoir-faire. Troisièmement, il faut assurer un équilibre, et cet équilibre doit être trouvé de manière globale, car s’il l’était sous-système par sous-système, les programmes seraient ingérables et n’aboutiraient pas. C’est pourquoi nous avons demandé aux Allemands de prendre le lead sur l’Eurodrone et sur le MGCS, et nous l’avons pris sur le SCAF, qui comporte plusieurs sous-systèmes, dits piliers. Nous avons dit : nous, Français, prenons l’avion, parce que nous considérons que Dassault est le « best athlete » de l’aviation de combat, comparé aux capacités d’Airbus Allemagne et Espagne. Inversement, nous avons laissé à Airbus Allemagne le leadership en matière de « combat cloud », c’est-à-dire la connectivité de l’ensemble du système d’armes et les drones accompagnateurs.

Nous avons laissé aux Allemands le lead du MGCS mais, après avoir accepté de faire KNBS entre Krauss-Maffei et Nexter, en 2015, sur une base de 50/50, ils nous ont annoncé tout d’un coup, en 2018, qu’il fallait aussi associer Rheinmetall. Nous butons toujours sur l’arrivée de Rheinmetall dans le programme. En particulier, sur le canon du char du combat du futur, nous n’avons pas encore trouvé, entre Rheinmetall et Nexter, d’accord répondant aux principes que je viens d’évoquer. Le programme MGCS n’est toutefois pas arrêté. Nous sommes en phase d’étude d’architecture système jusqu’au printemps 2023. D’ici le printemps 2023, j’espère que nous aurons franchi une nouvelle étape.

Concernant le SCAF, nous discutons depuis septembre 2021 de l’engagement de la première tranche du programme de démonstration en vol qui doit aboutir à l’horizon 2027. Vous avez raison de dire que ça dure. J’espère que nous trouverons une issue sur la base des principes que je viens de citer.

Nous avons un vrai enjeu de coopération avec l’Allemagne. Chacun doit faire un pas vers l’autre.

Nous faisons le maximum pour concilier les objectifs des uns et des autres, en sauvegardant les intérêts de notre pays et les intérêts de notre industrie. Si jamais nous échouons dans les projets franco-allemands, nous pourrons continuer à faire de l’aviation de combat à partir d’évolutions successives du Rafale. Nous faisons le Rafale par des standards successifs. Nous en sommes au standard F3, nous développons le standard F4. Nous ferons le F5 pour la composante nucléaire aéroportée du futur. Pour le char, nous commencerons à livrer la rénovation du Leclerc en 2023. D’évidence, nous n’abandonnerons pas nos capacités.

Je n’ai pas de chiffres précis concernent notre politique à l’égard des start-ups, mais je vous fournirai une fiche car, depuis sa création, l’AID a identifié plusieurs centaines de start-ups. Cette année, nous avons créé le Fonds innovation défense (FID) dont les premiers investissements ont concerné des entreprises travaillant dans le quantique. Nous poursuivons également le plan d’action PME lancé en 2018 par Mme Florence Parly. Nous soutenons le développement du NewSpace, c’est-à-dire l’apport des petits industriels dans le domaine spatial, au-delà des maîtres d’œuvre. Nous le faisons avec le projet Kinéis, à la suite d’Argos, avec le projet Keronaus, dispositif de communication de nouvelle technologie développé par une petite entreprise. Nous soutenons Unseenlabs dans ses actions de surveillance maritime.

Les drones doivent faire l’objet d’une évolution de notre système normatif, puisque la réglementation « drone d’Etat » en vigueur, qui date de fin 2013, n’est plus totalement adaptée au contexte actuel. Nous travaillons à sa mise à jour avec les autorités normatives, la direction de la sécurité aéronautique d’État (DSAE), pour les militaires, et la direction générale de l’aviation civile (DGAC), afin de mettre en œuvre un dispositif plus adapté et plus souple. Suivant que le drone va surveiller une ville comme Paris ou la mer, il n’est pas nécessaire d’avoir les mêmes exigences de sûreté et de navigabilité. L’exercice en cours devrait déboucher d’ici la fin de l’année ou le début de 2023.

La pyrotechnie nécessiterait aussi une mise à jour du système normatif, car là aussi, les textes datent. Nous travaillons à une actualisation éventuelle de la réglementation en la matière.

Naval Group a décidé d’installer à La Londe-les-Maures, à côté de Toulon, un nouveau centre d’excellence dédié aux technologies sous-marines. Je ne suis pas entièrement satisfait de la fabrication des torpilles à Saint-Tropez. Après un exercice d’autosatisfaction sur le bilan, je puis dire que quelques projets ont pris du retard, notamment la torpille lourde F21. Regrouper à La Londe-les-Maures les compétences de Naval Group en matière de torpilles avec celles qu’il a dans le domaine océanique va dans le bon sens. J’ai soutenu ce projet qui inclut des recherches technologiques en matière de drones sous-marins. C’est une bonne opération pour Naval Group et la qualité du matériel qu’il fournira à la DGA et aux armées.

Dans la prochaine LPM, nous proposerons de renforcer nos moyens de réquisition des capacités industrielles et de priorisation, action visant à affirmer que nous sommes le premier client et non tel ou tel autre, comme cela existe aux États-Unis. Nous proposerons de le faire dans le domaine législatif et le domaine réglementaire.

S’agissant de l’adaptation de notre modèle d’armée à la haute intensité, une nouvelle LPM annoncée par le Président de la République et la Première ministre vous sera présentée. La première question sera de savoir si notre modèle d’armée 2030, tel qu’il avait été supposé en 2017, doit être adapté, et si oui, en quoi ?

Nous sommes associés à certains approvisionnements de la gendarmerie quand ils l’estiment nécessaire, en particulier dans le domaine des hélicoptères. En revanche, l’achat standard de nouveaux véhicules blindés sur étagère ne nécessite pas le recours à des équipes d’ingénierie de la DGA.

Enfin, concernant le montant de l’aide fournie à Kiev, comme vous l’avez dit, je ne peux vous donner un autre chiffre, si ce n’est confirmer qu’il est supérieur à 160 millions d’euros.

Nous avons un très bon retour d’utilisation des Caesar, au point que nous discutons avec Nexter, qui lui-même discute avec les Ukrainiens, de leur maintien en condition opérationnelle. Un Caesar qui tire s’use, et nécessite des dispositifs de maintenance. Les performances du Caesar sont très appréciées, car l’installation d’un canon sur un véhicule à roues permet, une fois le tir effectué, de se retirer le plus rapidement possible pour éviter la réponse de contre-batterie. Cet avantage substantiel justifie le choix capacitaire du dispositif.

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur le Délégué général, nous sommes ici pour évaluer l’action du Gouvernement et, à travers vous, nous en faire une idée. C’est l’occasion de réfléchir aux leviers dont nous disposons en tant que parlementaires. Je citerai quelques pistes de travaux législatifs pour les mois à venir, notamment dans le cadre des missions d’information. Nous réaliserons des travaux législatifs non budgétaires, comme ceux relatifs à nos territoires, puisque nous y avons tous des entreprises de la BITD. Quelles relations interparlementaires engager avec les Allemands, pour faire progresser notre culture stratégique commune et exercer sur eux des leviers d’influence ? Je rappelle qu’une délégation de députés français de l’Union européenne viendra nous rencontrer mardi prochain, ce qui pourrait être l’occasion d’échanger sur l’articulation de nos actions.

Mme Anne Genetet. Vous avez repris l’expression d’économie de guerre, utilisée par le Président de la République, pour valider notre capacité à soutenir un effort de guerre dans la durée. Je ne crois pas que nous soyons en guerre. Nous devons soutenir notre défense nationale, comme le prévoit notre LPM, qui avait un peu anticipé, même si la donne a changé.

Face à cette donne d’une guerre de haute intensité à nos portes, quelles sont vos recommandations et vos attentes ? La marche de 3 milliards d’euros dans le PLF pour 2023 annoncée par la ministre Sébastien Lecornu vous paraît-elle suffisante ? Le budget recherche et innovation d’un milliard d’euros vous semble-t-il à la hauteur des nouveaux enjeux ?

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. Les recommandations et attentes à tirer des premiers retours d’expérience de la crise ukrainienne doivent l’être par les armées, qui sont en première ligne sur le sujet. Le modèle capacitaire que nous développions n’était pas suffisamment orienté vers une crise de haute intensité rapide. Il faut accélérer l’effort pour la haute intensité.

Parmi les points faibles, j’ai cité les stocks de munitions, même si 7 milliards d’euros sont prévus dans la LPM pour compléter et développer de nouveaux missiles ou de nouvelles munitions. Les armements « consommables » doivent être conçus à bas prix, ce qui n’est pas un point sur lequel nous avons particulièrement travaillé. Nous avons lancé récemment un appel d’offres pour réaliser des drones armés, que je qualifierai de « munitions rodeuses », lesquelles, en tant que consommables, ne doivent pas coûter trop cher. Le coût de l’arme utilisée ne doit pas être plus élevé que celle à contrecarrer. Nous avons déjà lancé des appels d’offres en cours de dépouillement. En revanche, on ne peut se permettre de perdre trop souvent un drone comme le MALE, sur le théâtre d’opération. Il faut revoir nos équilibres entre la masse et la haute technologie. Ce n’est pas en abandonnant la haute technologie nécessaire à la supériorité opérationnelle des armées que nous pourrons faire face à la haute intensité, mais il faut davantage diversifier notre effort.

Je le répète, le budget d’investissement bénéficie de la moitié des 3 milliards d’euros prévus pour 2023. J’ai indiqué les équipements que nous aurions à livrer en 2023. Les capacités industrielles et technologiques étant ce qu’elles sont, cela me paraît un effort significatif à poursuivre.

Pour la R&T, nous sommes passés de 750 millions d’euros à un milliard d’euros en 2022. Il convient de poursuivre en priorité l’effort de développement technologique engagé dans la LPM et de consacrer des investissements à des équipements « low cost », par définition à consommer en masse dans des conflits de haute intensité.

M. Bastien Lachaud. Vous avez dit que l’Allemagne ne souhaitait plus être le vassal de la France, que nous n’accepterions pas d’être le vassal de l’Allemagne et que la question ne se posait même pas. Pourtant, la question se pose. Vous avez listé un certain nombre de projets pour lesquels l’Allemagne nous a fait défaut. Qu’il s’agisse du char du futur ou du SCAF, les projets sont bloqués. À partir de combien de trahisons allons-nous considérer que nos partenaires ne sont pas fiables ? La coopération avec l’Allemagne étant indispensable pour constituer une Europe de la défense, ne doit-on pas en tirer la conclusion que l’Europe de la défense est une illusion, puisque nous n’arrivons pas à mettre en place une coopération satisfaisante ?

Au sujet des start-ups, vous avez évoqué le NewSpace. Aux États-Unis, le modèle ne survit que grâce aux commandes et aux financements publics de l’État fédéral et des armées américaines. Est-ce le modèle que vous préconisez, notamment par la création du commandement de l’espace, qui modifie le rôle et les missions de l’opérateur historique qu’est le centre national d’études spatiales (CNES) ? Quelle est votre vision de l’écosystème spatial entre la DGA, le NewSpace, le CNES et le commandement de l’espace ?

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. De mon point de vue de citoyen, je pense qu’il faut faire l’Europe de la défense et qu’on ne peut pas la faire sans l’Allemagne. Il faut donc essayer mais il ne faut pas la faire à tout prix. Si les projets de MGCS et de SCAF échouent, ce sera un échec pour l’Europe de la défense. Nous nous en relèverions en poursuivant l’action nationale que nous menons depuis des décennies. C’est un point de vue personnel qu’on peut ne pas partager. Nous avançons sans, à aucun moment, sacrifier les intérêts nationaux de notre pays et de notre industrie.

Le NewSpace est lié à la commande publique. Nous-mêmes, pour notre politique spatiale militaire, étudions, dans le cadre des nouvelles composantes d’observation ou d’écoute, des compléments à base de nano-satellites qui seraient fournis par le tissu du NewSpace.

Concernant le commandement de l’espace, des opérationnels surveillent l’espace et opèrent les satellites mis en place. La DGA est là pour leur fournir les moyens nécessaires.

J’ai besoin du CNES, parce que j’ai besoin d’une capacité de maîtrise d’ouvrage et d’ingénierie publique qui n’existe pas à la DGA et je n’ai pas de raison de la dupliquer. On a demandé au CNES de mener une politique plus ouverte vis-à-vis des industriels du NewSpace. Nous faisons régulièrement des réunions avec l’alliance du NewSpace. Tout cela évolue. Il y a déjà de premières actions concrètes. J’ai cité Kinéis, Keronaus, Unseenlabs. Le NewSpace se promeut grâce à la commande publique.

M. Bastien Lachaud. Un des arguments pour avancer sur le SCAF et le MGCS était que la France n’avait pas les moyens de développer seule un avion de cinquième génération ou un char du futur. Vous dites que si nous n’y arrivons pas avec les Allemands, nous le ferons quand même. Donc, la France a les moyens de le faire.

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. Nous serons obligés de tenir compte des ressources budgétaires disponibles. L’un des intérêts économiques de la coopération, c’est le partage des coûts non récurrents. Le coût de développement de l’avion de combat du futur, dans sa phase de démonstration, s’élève déjà à 7 milliards d’euros. Nous le partageons à trois et payons, pour notre part, 2,5 milliards d’euros. S’il faut le faire seuls, nous ne ferons pas la même chose avec ces 2,5 milliards d’euros. Un programme en coopération est plus cher qu’un programme national, mais pas au point d’être sans intérêt économique.

M. Jean-Louis Thiériot. Monsieur le Délégué général, la dernière fois, je vous ai interrogé sur la motorisation de l’Eurodrone par General Electric (GE)-Avio, aux dépens du projet Safran. Le consortium peut-il encore changer d’avis ou bien le dossier est-il clos ?

Rheinmetall a décidé de sortir un nouveau prototype de char, le Panther KF51. Cela est-il de nature à remettre en cause le programme MGCS ? Est-ce un concurrent dangereux ou de la gesticulation commerciale ?

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. Il y a bien de la gesticulation commerciale, à laquelle Nexter a répondu par un projet. Il est normal que de telles entreprises autoinvestissent sur leurs capacités afin de proposer à l’exportation ou à la commande publique des avancées dans ce domaine. Rheinmettal et Nexter butent tout de même sur l’obstacle majeur du canon du MGCS, que nous n’avons pas réussi à franchir.

Pour le moteur de l’Eurodrone, la priorité était la souveraineté européenne, non seulement sur les chaînes de communication et de mission, mais aussi sur le véhicule. Nous nous sommes assurés auprès de l’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) que le choix de GE-Avio comme motoriste n’entraînait pas de dépendance vis-à-vis des Américains en matière de réglementation ITAR ou d’extraterritorialité des lois américaines. Nous nous sommes assurés que le moindre aléa serait pris en charge par Airbus Allemagne, maître d’œuvre. Nous avons dit que le choix de ce sous-système devait être fait par le maître d’œuvre, à condition qu’il en prenne l’entière responsabilité. C’est Airbus qui supporterait les conséquences d’un éventuel risque de dépendance américaine, mais normalement, il n’y en a pas.

Mme Lysiane Métayer. Monsieur le Délégué général, dans le contexte de guerre en Ukraine, de lutte antiterroriste, de défense de nos intérêts dans le monde, notamment dans la zone indopacifique, nous devons élargir le format de la marine nationale, en particulier le nombre de frégates de premier rang de type de défense et d’armement. La LPM prévoit quinze frégates. Il me semblerait opportun de passer à au moins dix-huit.

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. Ce n’est pas au DGA mais aux armées de fixer les objectifs capacitaires. Dix-huit, c’est mieux que quinze, mais cela doit entrer dans une LPM comportant des priorités et où le total des besoins doit correspondre au total des ressources. Faut-il faire trois frégates de plus, cinquante Rafale de plus ou cent véhicules Scorpion de plus ? Ce n’est pas à moi de le dire, mais nous sommes capables de l’étudier. L’exercice que vous évoquez relève de la nouvelle LPM. Si le modèle d’armée 2030 prévoyant pour chaque domaine un certain nombre d’équipements doit être remis en cause, c’est par la LPM. Faut-il faire trois frégates de plus ? Je l’ai déjà entendu dire par la marine, mais l’armée de terre va demander tant de chars de plus, l’armée de l’air, tant de Rafale, etc. Il faut trouver un équilibre.

M. Yannick Chenevard. Les peuples, dit-on, n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. L’exigence de souveraineté est encore plus fondamentale dans un contexte de guerre en Europe que nous avions peut-être un peu oubliée. Rappelons-nous ce que certains disaient dans les années 1990, et du fait que depuis 2017, les crédits du budget de la défense ne servent plus de variable d’ajustement. On consomme beaucoup – tant mieux ! – et on investit beaucoup – tant mieux ! – pour assurer notre défense et fournir à nos armées les équipements nécessaires. Quelle est notre capacité maximale annuelle de consommation de crédits d’investissement ?

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. De 2017 à 2022, notre consommation annuelle est passée de 10 à 15 milliards d’euros. Nous pouvons sûrement faire plus. Les 5 milliards de plus faits en cinq ans sont représentatifs de notre capacité à monter en puissance, mais il faut réorienter régulièrement l’exercice en fonction des nouveaux champs de conflictualité. C’est pourquoi nous avons opéré des ajustements de la programmation militaire année après année. Il faut le faire en fonction des enseignements à tirer de l’Ukraine, des rééquilibrages entre la masse et la technologie, entre le soutien et l’investissement de défense, etc.

M. Benoît Bordat. Le pacte défense PME mis en œuvre par le ministère de la Défense depuis la fin de l’année 2012, est censé resserrer les liens entretenus par la DGA avec des PME françaises dont le savoir-faire n’est plus à démontrer. Bien que la législation européenne interdise tout critère lié à la nationalité de l’entreprise dans l’attribution des marchés, plaideriez-vous auprès de votre successeur pour faire preuve d’une bienveillance particulière envers les PME ? Les très grands contrats bénéficient du soutien des instances gouvernementales, mais il semblerait que le degré de mobilisation ne soit pas aussi important pour les contrats de taille moyenne.

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. Vous êtes sévère, Monsieur le député. Nous avons un plan d’action PME, nous les voyons régulièrement, nous discutons avec les maîtres d’œuvre des sujets qui les préoccupent. Quand je les rencontre, leurs dirigeants ne me reprochent pas notre action de manière aussi virulente. Nous avons récemment ajouté la dimension cyber dans le soutien et l’aide apportée aux PME. Nous forçons même les PME à être à nos côtés en ce domaine. En guise de testament, je vous fournirai un bilan écrit résumant les actions que nous avons menées en faveur des PME durant les cinq années que je viens de passer à la DGA. Je pense qu’il sera honorable.

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur le Délégué général, s’agissant de votre dernière audition, je vous laisse conclure avec quelques recommandations à notre intention.

M. Joël Barre, Délégué général pour l’armement. L’effort fait par notre pays en matière de défense est justifié et doit être poursuivi. L’un d’entre vous a rappelé que dans les années 1990, quelqu’un avait dit : « Il faut toucher les dividendes de la paix ». Malheureusement, nous n’en sommes plus là. Nous faisons face à un contexte géostratégique de plus en plus conflictuel. Si le terrorisme était la priorité de la LPM 2019-2025, on est maintenant bien plus préoccupé par le retour des puissances. La poursuite de l’effort fera l’objet de la prochaine LPM annoncée par le Président.

J’espère que vous êtes convaincus que la DGA est à la hauteur des enjeux qui sont les siens pour fournir aux armées, dans un champ de plus en plus vaste, les matériels et les systèmes qui leur sont nécessaires. Je suis assez satisfait du travail de la DGA, même s’il faut l’améliorer en permanence. Notre taux d’intervention de 7 à 8 % me paraît honorable comparé à d’autres. Pendant ces cinq dernières années, nous avons consolidé notre relation aussi étroite que possible avec les armées et l’industrie, puisque l’écosystème de l’armement est un triangle dont les trois côtés sont la DGA, les armées et l’industrie.

M. le président Thomas Gassilloud. Au nom de tous les commissaires, je vous remercie pour cette audition et pour votre action tout au long de votre vie pour la souveraineté du pays. Vous avez parlé du CNES et chacun a conscience de l’exceptionnelle richesse de votre parcours. Votre profondeur historique et votre connaissance de l’écosystème sont un trésor, et j’espère que vous continuerez à participer au débat stratégique. Sachez qu’au sein de la commission de la Défense, ne serait-ce que de manière informelle, nous serons toujours heureux de continuer à échanger avec vous pour faire progresser notre souveraineté et nos intérêts de défense nationale.

 

 

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Et pour clôre le bal, le CEMM, qui a fait deux découvertes majeures:

- quand on s'entraine dans des conditions réalistes on apprend des trucs

- concevoir des navires sans aucune marge d'évolution et faire une MLU tous les 20 ans c'est une erreur.

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_def/l16cion_def2122010_compte-rendu#

Citation

 

Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Audition, à huis clos, de l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine.


Mercredi
27 juillet 2022

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 10

session extraordinaire de 2021-2022

Présidence
de M. Loïc Kervran,
vice-président

 

 

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La séance est ouverte à neuf heures.

 

M. Loïc Kervran, président. Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du président Gassilloud, qui accompagne le Président de la République en Afrique.

 

Amiral Vandier, vous concluez notre cycle d’audition des chefs d’état-major. Vous êtes à la tête de la marine nationale depuis le 1er septembre 2020, après avoir été le chef du cabinet militaire de la ministre des Armées et auparavant, de 2013 à 2015, commandant du groupe aéronaval (GAN) Charles-de-Gaulle. Le monde parlementaire ne vous est pas étranger, votre arrière-grand-père Benjamin Vandier, lui aussi officier de marine, ayant été député puis sénateur de la Vendée. Vous êtes l’auteur d’un excellent livre sur le fait nucléaire comme déterminant majeur des équilibres stratégiques, dont je recommande particulièrement la lecture à l’aune de ce qui se passe en Ukraine, et dont le titre est « La dissuasion au troisième âge nucléaire ».

 

Dans un discours remarqué à l’École navale, vous avez rappelé aux nouveaux élèves qu’ils entraient « dans une marine qui va probablement connaître le feu à la mer », et qu’ils devaient s’y préparer. Alors que, dans les dernières décennies, la mer a principalement été perçue comme un espace de circulation et d’échanges, elle est clairement redevenue un espace de compétition et de confrontation entre puissances, où la guerre n’est plus exclue. S’y jouent des luttes pour l’exploitation des ressources naturelles, tel le gaz en Méditerranée, ou des stratégies de conquête territoriale, comme en mer de Chine. Dans la guerre en Ukraine, elle représente un front essentiel de la lutte pour le contrôle de la mer Noire. Partout dans le monde, la mer aiguise les appétits et redevient un lieu de conflit. L’effort de réarmement naval est massif, notamment de la part de la Chine, du Royaume-Uni, où il est prioritaire, et de l’Australie.

 

Dans ce contexte, et à la lumière des premiers retours d’expérience de la guerre en Ukraine, notre première interrogation est de savoir où en est la marine nationale. Elle a bénéficié, au cours des dernières années, d’un effort important en matière de capacités, grâce au lancement et à l’aboutissement de programmes majeurs – sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), frégates de défense et d’intervention (FDI), patrouilleurs outre-mer (POM) – ainsi qu’à la mise à l’étude du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE 3G) et du prochain porte-avions.

 

Si la France détient le deuxième espace maritime mondial, elle dispose de la septième marine en tonnage. Vous nous direz dans quelles conditions le format de la marine nationale est adapté aux enjeux stratégiques, à l’heure où est esquissée une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) et où nous devons garantir la cohérence globale de notre outil de défense et des fonctions opérationnelles dont la France a besoin.

 

L’évolution du contexte stratégique a d’ores et déjà induit des inflexions dans la conduite de notre politique de défense maritime, au premier rang desquelles la définition récente d’une stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, qui permettra à la France de se doter de nouvelles capacités militaires exploratoires ainsi que d’un commandement dédié. Bien d’autres domaines sont affectés par l’évolution du contexte stratégique, invitant à des inflexions dans la répartition des missions de la marine. Citons notamment la sécurisation des routes énergétiques, la lutte contre le pillage halieutique, la protection de la biodiversité, l’usage de l’espace extra-atmosphérique pour surveiller le trafic maritime, l’utilisation des données maritimes et la contribution de la marine aux politiques de cohésion nationale. Outre les moyens, nous serons attentifs à ce que vous direz de l’évolution et de la redéfinition des missions de la marine.

 

Enfin, il est un aspect de la marine qui a une importance majeure dans l’issue des combats qu’elle devra mener : les hommes et les femmes qui la composent ainsi que le caractère, la mentalité, la culture et le cadre conceptuel dans lequel s’exerce la force. Je sais que vous attachez une attention particulière à la formation des marins et à leur force morale, évoquée par le Président de la République dans son discours du 13 juillet, ainsi qu’à leur préparation intellectuelle. Vous nous direz le regard que vous portez sur cette culture et sur ses conditions d’évolution.

 

Amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine. Permettez-moi de vous dire mon plaisir et mon honneur d’intervenir devant la commission de la Défense nationale et des forces armées. Je souhaite une très belle législature à cette commission largement renouvelée.

 

Il y a beaucoup à faire dans le monde tel qu’il se dessine devant nous et vous êtes à un moment vraiment historique. Je tâcherai de vous démontrer la nécessité de faire de grandes choses, et de les faire rapidement.

 

Au cours des derniers mois, nous avons vu changer le monde de façon radicale par rapport aux trois dernières décennies. Les feux de l’actualité donnent à l’horizon militaire une coloration très continentale, ce qui est bien normal. Le drame que vivent les Ukrainiens depuis le 24 février inquiète. Il rappelle les heures sombres vécues par nos concitoyens lors des dernières guerres mondiales. Il signe le retour de la guerre en Europe. Toutefois, il me semble essentiel, dans les temps chahutés que nous connaissons, de bien adapter la focale de nos objectifs à l’ampleur de ce qui est en train de se produire.

 

Les problèmes que nous rencontrons sont globaux. Notre commerce est mondial. Notre énergie devra durablement être importée depuis l’extérieur du continent, ce qui constitue un fait nouveau. Notre prospérité dépend de facteurs économiques mondiaux. Par conséquent, notre sécurité est mondiale. Les espaces maritimes, les espaces spatiaux et le cyber ne connaissent pas de frontières. Ce sont des espaces communs.

 

Les problèmes que nous rencontrons sont profonds et durables. Il ne s’agit plus de crises, comme nous en avons connu dans les trente dernières années, mais de ruptures profondes, d’ordre géopolitique, militaire et environnemental, dans un contexte de délitement accéléré de l’ordre international. Nul besoin de dresser la liste des traités qui se sont effondrés depuis 2015 : en mer, la marine le mesure chaque jour, avec la fragilisation du respect du droit de la mer et de la liberté de navigation.

 

La marine est aux premières loges de ces ruptures. Le défi consiste à apporter une réponse adaptée à ces enjeux. Les bases jetées par la précédente LPM sont bonnes. Les efforts passés portent d’ores et déjà leurs fruits, et continueront à en porter. Il faut maintenir le cap et s’adapter, notamment à la vitesse désormais effrénée à laquelle notre monde change. Il faut réussir à retrouver un temps d’avance et anticiper, alors même que nos processus ont été mis au ralenti pendant des décennies.

 

Nos moyens sont comptés. Notre temps l’est aussi. L’outil militaire, particulièrement l’outil naval, se forge dans la durée. Il faut vingt ans pour former un commandant de sous-marin, et autant de temps pour construire son bateau. C’est la génération de nos parents qui a dessiné et construit le Charles de Gaulle. C’est à la nôtre qu’il revient de construire les outils militaires qui défendront la génération de nos enfants et petits-enfants dans les quarante prochaines années. Il s’agit d’une lourde responsabilité. Au soir de l’engagement, outre la bravoure des combattants, ce sont les choix du temps long qui font la différence et permettent d’affronter l’imprévisible. C’est ce qu’on a en stock au soir de la guerre qui permet de la gagner.

 

Dans un tel contexte, nous n’avons pas beaucoup de coups à jouer sur l’échiquier. La situation nous impose par conséquent que chaque coup soit gagnant. Tel est l’angle sous lequel je vous présenterai les grands enjeux de la marine.

 

La première responsabilité du quotidien confiée à la marine est de protéger les Français, en métropole et dans les outre-mer. Une partie de cette mission ne se voit pas : il s’agit de la dissuasion nucléaire, qui, depuis 1972, repose sur la posture de permanence à la mer. Nous avons en permanence au moins un SNLE à la mer, relevé tous les soixante-dix jours par un autre. Plus de 500 patrouilles ont ainsi été accomplies depuis cinquante ans, sans discontinuité, grâce à l’engagement de toute la marine, puisque cette mission ne repose pas uniquement sur les « bateaux noirs », mais aussi sur le dispositif qui permet d’entraîner leurs équipages et de les diluer dans l’océan.

 

La partie qui se voit, c’est la protection de nos côtes et de nos espaces maritimes, qui, chaque jour un peu plus, sont menacés par une compétition sans merci. Cet espace immense, de 11 millions de kilomètres carrés, soit vingt fois la superficie de la France, est à 90 % situé dans l’océan Indien et dans l’océan Pacifique. Il est peuplé de 2,7 millions de Français d’outre-mer qui, comme ceux de métropole, aspirent à être protégés des effets de la compétition mondiale.

 

Cet espace doit absolument être surveillé, car tout ce qui n’est pas surveillé est pillé, et tout ce qui est pillé finit par être contesté. Ceux d’entre vous qui viennent d’outre-mer le savent. Je vous conseille la lecture du remarquable article publié dans Le Monde le 10 juillet dernier, intitulé « Razzia chinoise sur le calamar en mer d’Arabie ». Édifiant, il devrait convaincre les sceptiques : l’océan est littéralement en train d’être vidé de ses ressources halieutiques. Le même constat vaut pour les fonds marins, zone immense, très convoitée et mal connue, où passent 97 % des échanges numériques par des câbles sous-marins.

 

Cette contestation se manifeste également par des trafics, notamment d’armes et de stupéfiants, qui ont explosé ces dernières années. La marine est en première ligne. La dernière opération date du 3 juillet, et est le fait du bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) Dumont d’Urville qui a intercepté en mer des Antilles un voilier transportant 430 kilogrammes de cocaïne. En 2021, près de 45 tonnes de stupéfiants ont été saisies, soit cinq fois plus qu’en 2020 – non pas que nous soyons devenus meilleurs, mais il y en a bien plus, partout. Cela représente 2 milliards d’euros qui ne financeront pas les flux criminels et terroristes, et autant de substances qui ne termineront pas sur notre territoire.

 

L’espace maritime est fondamentalement concerné par les questions environnementales, qui prennent de plus en plus d’ampleur. La capacité alimentaire des océans sera profondément altérée par le réchauffement climatique, alors que le poisson est la nourriture de base d’un tiers de la population mondiale. Le dessin des côtes, compte tenu de la montée des eaux, sera profondément modifié. Sur Terre, 680 millions de personnes vivent à moins de dix mètres d’altitude ; une grande partie d’entre elles devra se déplacer dans le prochain demi-siècle. Par ailleurs, le réchauffement climatique provoque l’accroissement de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes, qui exigent des moyens d’entraide croissants entre pays côtiers.

 

La marine est engagée sur ce front environnemental. Pour prévoir, il faut connaître, donc observer. Tous nos bateaux à la mer collectent des données, chaque jour. Nos navires océanographiques – le Beautemps-Beaupré, le La Pérouse, le Borda et le Laplace –, qui seront remplacés dans le cadre de la LPM en vigueur, effectuent chaque année l’équivalent de 700 jours de levées hydrographiques et des campagnes océanographiques sur tous les océans. Nous avons également lancé un partenariat avec l’université Paris IV-Sorbonne pour industrialiser la mesure de la microbiodiversité dans les océans. Si nous connaissons les espèces, nous ne savons pas mesurer leur densité. Or, la densité du plancton permet de localiser les ressources halieutiques.

 

Lors de catastrophes naturelles, la marine porte régulièrement assistance aux populations. Tel a été le cas à plusieurs reprises aux Antilles, après des épisodes cycloniques violents, et en janvier dernier aux Tonga, où les patrouilleurs Arago, depuis Tahiti, et La Glorieuse, depuis Nouméa, ainsi qu’un Falcon 200, sont intervenus en soutien de cette population.

 

Notre présence sert aussi à protéger nos approches et à assurer la sécurité du trafic. Ce rôle est dévolu à nos cinquante-huit sémaphores, qui assurent une veille permanente le long de nos côtes. Le dispositif d’action de l’État en mer repose sur des bâtiments affrétés en métropole, des bâtiments de soutien déployés outre-mer, des détachements d’hélicoptères et des aéronefs de surveillance, qui sauvent en moyenne plus de 200 personnes par an en haute mer, là où les autres ne peuvent pas intervenir.

 

Je vous invite maintenant à regarder les défis à venir dans leur globalité, avec la bonne focale. Le conflit en Ukraine montre le caractère global des crises. Ses effets sont ressentis bien au-delà des terres meurtries du Donbass. Si les destructions se concentrent sur l’Ukraine, le blocus naval russe a des effets sur la sécurité alimentaire de millions d’êtres humains sur plusieurs continents.

 

Sur le plan naval, le dispositif russe est aussi déployé en Méditerranée, dans l’océan Atlantique et dans l’océan Pacifique. Le potentiel militaire naval russe est quasiment intact, à l’exception du Moskva. La force sous-marine russe n’a quasiment pas été utilisée depuis le début du conflit.

 

Le conflit en Ukraine est d’abord terrestre, mais il a révélé l’effet direct de la compétition pour les flux sur nos économies. Le blocus imposé à l’Ukraine a contraint à une reconfiguration majeure des flux d’exportation de ce pays et fait peser à terme une grave hypothèque sur son avenir, récemment illustrée par les discussions autour de l’exportation du blé ukrainien.

La dépendance européenne aux flux maritimes est aussi considérable pour les biens de consommation et, depuis peu, pour l’énergie. La mer n’est pas vide, de très nombreux bateaux de plus de quarante mètres participent à un trafic qui bouge en permanence. Chaque jour, quinze super porte-conteneurs, transportant 20 000 « boîtes » chacun, franchissent le canal de Suez en direction des ports européens. Débarqués, ces 300 000 containers représentent une file de camions ininterrompue de Brest à Berlin ! La voilà, notre dépendance. Ce que vous avez sur vos bureaux, dans votre frigidaire, vos costumes, tout cela transite en partie par le canal de Suez, qui voit passer chaque jour l’équivalent d’un Rungis annuel.

 

La marine et les marines alliées sont les acteurs de la sécurisation de ces flux. Tel est notamment le cas dans le détroit d’Ormuz, depuis que nous avons déployé la mission AGÉNOR en 2019, à la suite de vives tensions entre Américains et Iraniens, ces derniers menaçant le trafic commercial dans la zone. Le Surcouf, qui y participait, vient de rentrer de patrouille. Coordonnés par un état-major aux Émirats arabes unis, les Européens se relèvent pour assurer cette mission.

 

La route qui nous sépare des gisements de gaz du Golfe n’est pas simple. Les navires doivent franchir trois points resserrés, dont la maîtrise à moyen terme n’est pas garantie : le détroit d’Ormuz, sécurisé par la mission AGÉNOR ; le détroit de Bab-el-Mandeb, sur lequel donne Djibouti et où une base chinoise prend un essor assez inquiétant ; le canal de Suez, qui, dans l’histoire, n’a pas toujours été simple à utiliser et à la sortie duquel se trouve aujourd’hui la base russe de Tartous qui déploie une activité militaire loin d’être négligeable. Il suffit d’une montée en tension pour que les choses se compliquent et que ces flux soient rapidement menacés.

 

Nul ne peut nier les effets de ces ruptures sur le quotidien des Français, sur leur niveau de vie, sur la continuité de nos approvisionnements et sur notre économie, aujourd’hui et demain plus encore. Nous le constaterons probablement cet hiver lorsque nous devrons rationner l’énergie.

 

Pour la marine, obéir au mot d’ordre du chef d’état-major des armées (CEMA), « gagner la guerre avant la guerre », c’est surveiller, comme nous le faisons depuis des mois, les flottes de surface et sous-marines russe et chinoise, en assurant le maintien de notre liberté de manœuvre et de la liberté de navigation. C’est aussi dynamiser, comme nous le faisons depuis deux ans, notre entraînement, pour le rendre plus réaliste, plus démonstratif et plus crédible, ce qui a aussi permis d’entraîner nos alliés européens, car la crédibilité de notre entraînement est un facteur de leur adhésion. Ils sont venus avec nous dans plusieurs missions, en Méditerranée, dans le Golfe arabo-persique et dans le golfe de Guinée.

 

C’est enfin atteindre le niveau d’agilité voulue par le CEMA dans l’emploi des forces. C’est ainsi qu’en quarante-huit heures, nous avons fait basculer la mission du GAN, qui était engagé en soutien de l’Irak, pour participer à la réassurance aérienne du flanc oriental de l’OTAN. Des patrouilles aériennes de combat (Combat Air Patrol, CAP) sont parties du porte-avions pour voler au-dessus de la Roumanie, de la Croatie et de la Bosnie, où des tensions émergeaient, en appui de nos alliés, notamment un GAN américain. Pendant toute cette période, nous étions au contact permanent de la flotte russe.

 

Tout cela demande un engagement quotidien des moyens de la marine. Pour ce faire, celle-ci doit être en mer, ce qui signifie que son niveau d’activité doit être maintenu. Il s’agit, pour nous, d’un enjeu majeur, et pour le CEMA d’une priorité.

 

En bon marin, je vous invite maintenant à jeter un coup d’œil au radar pour regarder au-delà de l’horizon. La future LPM devra traiter de grands enjeux, au premier rang desquels la perspective d’une confrontation globale, qu’il faut désormais regarder avec lucidité.

 

La mer est globale. On peut y transiter de façon continue et sans entrave, de Mourmansk à Brest, de Shanghai à Nouméa, d’Izmir à Toulon, en quelques jours. Cette fluidité s’accentuera dans les années à venir. On pense avec raison que la Chine est loin, mais l’ouverture de la route maritime du Nord, en Arctique, va réduire cette distance de 30 %. Le réchauffement climatique, qui en libérera l’accès, permettra à la Chine de s’affranchir du contrôle des détroits.

 

Pour aller de Chine en Atlantique, il faut soit franchir les nombreux détroits précédemment cités, soit emprunter la route maritime du Nord. À l’heure actuelle, les Chinois construisent une flotte de cinq brise-glace pour s’offrir la possibilité de basculer leurs forces du Pacifique vers l’Atlantique, avec l’amitié des Russes. Mon homologue norvégien, que j’ai rencontré en Norvège au mois de mars, ne m’a pas parlé de la flotte russe du Nord, basée juste à côté, à Mourmansk, mais de l’arrivée prochaine de la marine chinoise dans l’océan Atlantique. Bientôt, il ne sera pas nécessaire d’aller en mer de Chine pour trouver des forces militaires chinoises.

 

J’ai passé les deux dernières années à expliquer un peu partout que nous assistons à un mouvement de réarmement naval sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. En 2030, le tonnage de la marine chinoise sera 2,5 fois supérieur à celui de la marine américaine qui, en dépit de ses efforts, restera stable, voire continuera à se réduire, tandis que la flotte chinoise croît de façon géométrique. En Méditerranée aussi, certaines marines affichent des croissances de leurs tonnages à trois chiffres de 2008 à 2030. Il aura fallu que les Turcs achètent aux Russes des missiles S-400 pour que les Américains renoncent à leur donner les F-35 qui devaient équiper leurs deux porte-avions !

 

La question qui se pose, et que vous devez vous poser dans cette commission, est la suivante : pourquoi tout ce monde réarme-t-il ? Pourquoi consacrer tant d’argent et d’énergie à l’équipement des marines, alors même que certains des pays concernés, notamment la Chine et la Turquie, sont d’abord des puissances continentales ?

 

Quelles que soient les intentions des uns et des autres, cette évolution est très rapide. Lancée à la fin des années 2000, tandis que le monde continuait à étrenner les dividendes de la paix, elle signe un changement brutal du rapport de force, qui était en notre faveur depuis des décennies.

 

La mer est un lieu où, chaque jour, les puissances adverses sont au contact les unes des autres. Elles peuvent se regarder les yeux dans les yeux, sans bruits de bottes, sans franchir aucune frontière, sans signaux faibles, sans indice précurseur. En mer, les Russes sont régulièrement à moins de 2 000 mètres de nos navires ; leurs systèmes d’armes sont actifs, comme ils nous le font régulièrement savoir en illuminant nos bâtiments avec leurs radars de conduite de tir. Il faut avoir à l’esprit que, pour un navire de combat, la différence entre basse et haute intensité ne tient qu’aux ordres reçus. Dès qu’il quitte sa base, un navire de guerre est apte à toutes les missions pour lesquelles il est qualifié par son commandement organique. Les munitions sont à bord, le stock de combat est à bord, les marins sont entraînés et qualifiés : il n’y a plus qu’à donner un ordre, ce qui est une question de minutes et de transmissions.

 

Ce réarmement massif et ces comportements désinhibés font de la mer un lieu de démonstration de force aujourd’hui, et en feront un lieu d’affrontement demain. J’en suis convaincu. Je l’ai dit aux élèves de l’École navale dès ma prise de fonctions. Ainsi s’expliquent mes efforts pour faire de la marine nationale une marine de combat.

 

Dans ce contexte, il faut être en mesure de garantir notre liberté d’action et de défendre notre souveraineté ainsi que nos intérêts, dans un monde marqué par l’accélération du désordre. À court terme, ma première exigence est d’être capable de combattre avec les moyens dont nous disposons et d’en tirer les meilleurs bénéfices.

 

Le premier axe d’effort est interne. Il s’agit du durcissement de l’entraînement, auquel nous procédons depuis deux ans, en menant des exercices plus exigeants et plus complexes. L’exercice Polaris 21 est le premier qui a consisté à opérer, pendant deux semaines, avec les règles d’entrainement beaucoup plus dures et proches du combat: un bateau détruit quitte l’exercice, et quand il n’y a plus de missiles, on ne tire plus. Les bateaux ont joué avec leur vrai stock de missiles : impossible de « ressusciter » ou de recharger. Nous avons tiré des enseignements incroyables de cet exercice, qui au demeurant a été immédiatement très profitable. Lorsque nous avons dû, quelques mois plus tard, envoyer le GAN au contact des Russes, nous savions ce qu’il fallait faire et ce qu’il ne fallait pas faire.

 

Il s’agit également de développer la force morale des marins, qui détermine, comme l’a rappelé le Président de la République dans son discours à l’hôtel de Brienne le 13 juillet, leur courage et leur ingéniosité, ainsi que leur capacité à tirer le meilleur de leurs systèmes d’armes. Elle est décisive dans les actions de combat, comme celle menée au Sahel il y a deux ans par nos commandos marine, qui sont morts pour sauver nos concitoyens. Elle l’est aussi au quotidien, par exemple dans la bravoure démontrée lors d’opérations de sauvetage. Le 5 juillet 2021, il ne faisait pas beau en Atlantique. Dans des creux de sept mètres, nous avons envoyé un équipage de sept personnes chercher un voilier à 150 nautiques, soit 300 kilomètres, de Brest. Pendant l’opération de treuillage, le câble de l’hélicoptère a cassé. Notre plongeur était dans la mer démontée, de nuit. L’hélicoptère a largué un deuxième canot, où notre plongeur a ramené tout le monde pour attendre l’arrivée d’un autre hélicoptère quatre heures après. Voilà comment s’incarne la force morale de nos marins au quotidien.

 

Le deuxième axe d’effort est externe. Nous devons aller chercher, dans la coopération avec nos alliés, ce qui nous manque, pour parvenir à la masse critique. Pour ce faire, il faut continuer à développer l’interopérabilité de nos systèmes, d’autant que l’accélération technologique la rend plus complexe. Il faut que les systèmes se parlent et que les armes soient compatibles. Nous devons préparer la capacité à combattre ensemble. Contre la marine chinoise, nous gagnerons si nous nous battons ensemble, en coalition. Les exemples offerts par l’Histoire sont clairs : depuis 1870, la France n’a jamais combattu seule un adversaire de rang supérieur ou égal. Foch a d’ailleurs déclaré : « J’ai beaucoup moins d’admiration pour Napoléon depuis que j’ai dirigé une coalition ».

 

Le temps capacitaire impose une vision à long terme. Les cinq dernières années ont permis d’avancer : grâce à la constance des budgets et à la continuité de la volonté politique, l’indispensable réparation a commencé. Mais la remontée est longue, si bien que, malgré tout ce qui a été fait – et dont je suis profondément reconnaissant –, la marine va continuer de voir sa taille diminuer pendant les deux prochaines années. Depuis 1945, la marine n’a jamais été aussi petite qu’aujourd’hui.

 

Néanmoins, l’année 2022 a été riche de belles réussites, et elle a montré la qualité de notre industrie, de notre direction générale de l’armement (DGA) et de nos armées. Le Suffren, qui vient d’être admis au service actif en présence du ministre des Armées, Sébastien Lecornu. Il est l’outil de combat par excellence face à un ennemi symétrique. Il possède deux capacités différentielles essentielles que n’avaient pas les sous-marins précédents : il peut frapper loin et discrètement, avec des missiles de croisière – c’est une première en France – et conduire une opération spéciale en plongée, grâce au hangar de pont qui peut héberger des commandos ou des drones. Ce bateau a un panel d’actions bien plus important que ses prédécesseurs.

 

Nous avons également reçu cette année la sixième frégate multimissions (FREMM), la Normandie, qui a été admise au service actif. En novembre 2021, le patrouilleur Auguste Benebig – du nom d’un compagnon de la Libération –, qui est destiné à servir outre-mer, a été mis à l’eau. Il est parti pour ses essais cette semaine et il arrivera en Nouvelle-Calédonie début 2023. Enfin, le Jacques Chevallier, le premier bâtiment ravitailleur de forces (BRF), a été mis à l’eau le 29 avril 2022 et il commencera ses essais en novembre.

 

Comment gagner le match qui s’annonce ? Tout d’abord, il faut maintenir le cap et tenir la ligne : les choix structurants et ceux des grandes capacités de la marine sont les bons. Il faut être persévérant et savoir attendre. Il reste des capacités que nous devons impérativement lancer pour garantir la cohérence de nos contrats opérationnels – ce sera votre travail : les bâtiments de guerre des mines, qui pourraient présenter un intérêt en mer Noire ; les patrouilleurs océaniques, qui vont remplacer nos A69 ; le successeur de l’Atlantique 2 (ATL 2), qui est en discussion ; le futur porte-avions, qui devra succéder au Charles de Gaulle en 2037 ; ou encore les SNLE 3G, dont les premières pièces seront usinées cet automne.

 

En l’état de la menace, il faut épaissir et accélérer. Épaissir, d’abord, là où il est intelligent et possible de le faire. La priorité, pour toutes les armées, c’est de faire un effort sur les munitions. Les stocks doivent être adaptés à un contexte international plus exigeant et plus incertain. Accélérer, ensuite, par l’innovation. Nos plateformes doivent évoluer au rythme de la technologie, et pas seulement tous les vingt ans, comme c’est le cas actuellement, avec des rénovations à mi vie. Pour la marine, l’économie de guerre, c'est la capacité de l’industrie à booster la performance des systèmes d’armes actuels et à répondre à des besoins opérationnels nouveaux dans un temps court : les drones ; le traitement de masse des données, avec les jumeaux numériques embarqués ; le maintien en condition opérationnelle (MCO) prédictif ; les armes à énergie dirigée. Pour détruire un drone, je préfère utiliser un laser de puissance à 50 000 euros que tirer un Aster 15 à 1 million. C’est cela, le principe de réalité.

 

Enfin, la solution vient aussi de nos marins. La marine recrute et forme chaque année 4 000 marins. Il est vital pour l’avenir, et c’est une rude bataille, de créer un état d’esprit et de former à des métiers en cohérence avec la technicité très élevée de nos systèmes. Un marin qui rentre dans la marine avec un bac professionnel en électricité peut devenir, en quelques années, un opérateur de réacteur nucléaire. On ne voit pas souvent ce genre de parcours dans la société civile. Dans un contexte économique très demandeur de nos talents, il faut aussi fidéliser les compétences rares que nous générons. C’est un enjeu crucial pour nous, dans une logique de compétition avec le secteur privé.

 

Je vois régulièrement cette jeunesse dans nos écoles, que je visite plusieurs fois par an. Ces 4 000 jeunes nouveaux marins sont pleins d’allant et ils savent pourquoi ils viennent chez nous. Je suis vraiment admiratif de leur énergie et j’ai œuvré personnellement pour que 80 des 3 000 jeunes en préparation militaire marine défilent cette année sur les Champs-Élysées, en plus de l’école des mousses. Le ferment de la conscience nationale, évoqué par le Président de la République, se trouve là : c’est ce que nous pouvons offrir à notre jeunesse. Soyez assurés de notre engagement pour développer nos dispositifs et participer ainsi, au-delà de notre recrutement, à l’ambition nationale pour la jeunesse.

 

Pour reprendre les mots du Président de la République, « la guerre resurgissant à nos portes, à nos frontières, a tout changé. Et elle va nous impliquer de changer encore davantage. ». Cela demande un esprit combatif, d’avoir une ambition lucide et réaliste, d’avoir du courage et de la persévérance, de savoir inventer et imaginer. Il ne faut jamais désespérer de notre talent, dirait Marc Bloch. Lorsqu’on dit d’une chose qu’elle est impossible, qu’il y a des objections insurmontables, alors il est temps, disait l’amiral Fisher, First Sea Lord de la marine britannique pendant la Première Guerre mondiale, de se battre comme un diable.

 

Les temps qui sont devant nous vont être durs. Notre responsabilité vis-à-vis des générations futures est historique. Il est donc temps de se battre comme des diables.

 

M. Yannick Chenevard. Richelieu, un terrien qui avait une vision maritime tout à fait intéressante, aurait dit, quant à lui, que les larmes ont un goût salé pour rappeler aux souverains déchus la mer qu’ils ont négligée.

 

Vous l’avez dit, le réarmement naval est général. Il faut certes du temps pour construire une marine, mais le mouvement est lancé. Quand on réfléchit à la question du format, il faut envisager la possibilité d’être engagés sur plusieurs zones en même temps, qu’il s’agisse de la Méditerranée, de l’Indopacifique ou des passages du Nord.

 

Pensez-vous que nous aurions besoin d’une flotte auxiliaire, rattachée à notre marine ? Pouvez-vous nous dire un mot du ou des porte-avions de demain ? Quel est, selon vous, le format idéal, compte tenu de nos capacités budgétaires, de nos capacités de formation et de l’analyse des risques et des menaces ?

 

Comment préserver notre souveraineté dans notre zone économique exclusive (ZEE), notamment en Asie-Pacifique ? Comment assurer une permanence de notre marine dans cette zone, par exemple à partir de la Nouvelle-Calédonie ? De quel type de bâtiments, d’avions et de drones avons-nous besoin ?

 

Enfin, vous l’avez dit, il n’y a pas de marine sans marins engagés et bien formés. Comment les garder et les fidéliser ? Comment faire en sorte que les marins quittent le port sereinement, en sachant que les choses se passeront bien à la maison ?

 

M. Frank Giletti. Vos propos sont tout à fait éclairants mais pas forcément rassurants.

 

La mer Noire est une zone stratégique, un véritable carrefour énergétique pour l’Europe, avec les détroits de Kertch et du Bosphore, et les millions de barils qui y circulent. Depuis 1853, la France s’y implique continuellement, dans une perspective de stabilité, mais également pour promouvoir et protéger le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Au fil du temps, elle a su nouer des liens et des alliances avec certains pays riverains, comme la Roumanie, la Bulgarie, l’Ukraine ou encore la Géorgie.

 

Depuis 2014, les conflits en Méditerranée orientale, liés à l’expansion de la Russie, bloquent les flux maritimes et interfèrent avec la présence française en mer Noire, si bien que le déploiement de nos capacités en Méditerranée orientale est régulièrement source d’interactions avec les forces russes, qui comptent bien réinvestir la zone. Dans certaines zones particulièrement contestées, seul le déploiement d’un sous-marin permet à la France d’être présente et, depuis le 24 février 2022, notre marine n’est plus présente en mer Noire, car la convention de Montreux, régissant le passage du détroit du Bosphore, permet à la Turquie d’en bloquer l’accès en cas de conflit.

 

La France a-t-elle encore la volonté, et surtout les moyens, de s’impliquer en Méditerranée orientale pour maîtriser l’escalade de la violence, contrer l’hégémonie russe dans ces territoires hautement stratégiques et, à terme, regagner la mer Noire, afin de protéger les flux maritimes commerciaux et énergétiques qui l’empruntent ?

 

La volonté de la Russie de revenir en Méditerranée orientale et ses relations privilégiées avec la Turquie, l’Algérie et l’Égypte, qui sont des acteurs régionaux majeurs, ne doivent-elles pas nous faire craindre une éventuelle implantation de la marine russe dans la partie occidentale de la Méditerranée ?

 

M. Aurélien Saintoul. La France insoumise accorde à la mer et aux forces que nous y déployons pour en être les gardiens beaucoup d’importance. Nous avions bien noté que le format de notre marine n’est pas encore adéquat à ses besoins. Vous-même n’avez jamais caché à la représentation nationale les trous capacitaires que nous devons compenser et avec lesquels nous devrons composer.

 

La situation n’est pas rose. Le programme de remplacement des ATL 2 est ensablé et le partenaire allemand est pour le moins incertain. Les bâtiments ravitailleurs de forces commencent à arriver, mais ce programme s’étend, en théorie, jusqu’en 2029. En matière de guerre des mines, les capacités sont également en vue, mais les besoins sont importants et les premiers drones ne devraient être opérationnels qu’en 2024. S’agissant des munitions, vous avez évoqué les arbitrages à faire en comparant le prix d’un Aster à celui d’un laser de puissance. Le rapport budgétaire de 2021 soulignait justement le manque d’Aster, de missiles de croisière navals (MdCN) et de MM40. Il posait également la question des Alouette III, qui doivent finir leur service et qui seront bientôt remplacées par une flotte intérimaire.

 

Comment se fait-il qu’un aussi grand nombre de trous capacitaires affecte ainsi notre sécurité ? Comment pouvons-nous tenter de les pallier ? La prochaine loi de programmation militaire pourrait-elle apporter une réponse ?

 

Quel regard portez-vous sur le projet esquissé par Naval Group de développer une filière d’excellence de sous-marins et de drones ? Répond-il, selon vous, à un besoin de nos armées ? Et si oui, lequel ?

 

M. Jean-Louis Thiériot. Quelles leçons tirez-vous du conflit ukrainien en matière de stratégie navale ? La convention de Montreux nous interdit de faire passer des sous-marins en mer Noire, et il nous est donc difficile d’envoyer certains capteurs, mais peut-on dire que ce serait bien un missile Neptune tiré depuis la terre qui a coulé le croiseur Moskva ?

 

Face aux menaces, le Président de la République a fort justement employé l’expression d’« économie de guerre ». Que peut attendre la marine de cette économie de guerre ? Où se trouve le juste équilibre entre la masse et la technologie ? Le soutien apporté aux nouvelles technologies est une excellente chose, mais il ne faudrait pas qu’il aboutisse à réduire le nombre de coques permettant de tenir le contrat opérationnel.

 

On a vu, au cours de l’exercice Polaris, que certains bateaux allaient en mer sans avoir nécessairement un stock de munitions complet. Comment remettre à niveau nos bateaux pour qu’ils soient prêts à faire face à des conflits de haute intensité, susceptibles de se déclencher en dix minutes, en mer ?

 

M. Vincent Bru. La mer est devenue objet de souveraineté et l’on assiste à ce que vous avez appelé la dernière territorialisation de la planète. Dans ce nouveau champ de conflictualité, la marine a une responsabilité particulière à assumer, que le législateur doit accompagner.

 

Le groupe Démocrate salue votre détermination à faire confiance aux jeunes au sein de notre marine. Ils sont nos talents d’aujourd’hui comme de demain, et nous devons nous appuyer sur eux.

 

Le porte-avions Charles de Gaulle, que vous avez commandé, est le seul dont la France dispose. Il est mobilisé dans de nombreuses missions et opérations. Or le maintien en condition de ce bâtiment essentiel le rend régulièrement indisponible, alors même que les menaces s’accroissent en Méditerranée et dans la zone indopacifique. Entre un deuxième porte-avions et l’affectation du budget équivalent à la construction de frégates, de drones ou de patrouilleurs, quel choix vous paraîtrait le plus pertinent ?

 

Mme Mélanie Thomin. Au fil des auditions, nous prenons conscience du caractère global de la crise et de notre vulnérabilité. La guerre en Ukraine marque un tournant dans la période de paix à laquelle nous étions accoutumés. Selon la DGA, nos installations militaires sont potentiellement scrutées par des forces étrangères, en particulier avec des drones qui connaissent une montée en puissance. Dans le Finistère, la base sous-marine de l’île Longue, qui abrite les quatre sous-marins lanceurs d’engins français, aurait fait l’objet de survols. Six navires militaires russes auraient transité par la mer du Nord et la Manche, en direction de l’océan Atlantique et de la mer d’Iroise, pour un exercice militaire ; la préfecture maritime a confirmé le passage, de nuit, dans le détroit du Pas-de-Calais, d’un bâtiment russe dont on pense qu’il collectait des renseignements. On parle aussi de sous-marins nucléaires russes transitant à quelques kilomètres des côtes françaises.

 

Comment la marine nationale s’adapte-t-elle pour assurer la sécurité de la base de l’île Longue et, plus globalement, la protection de nos côtes ? Face à d’éventuelles intrusions de drones, comment nous assurons-nous de la sécurité de nos sites stratégiques, devenue particulièrement cruciale depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine ?

 

M. Jean-Charles Larsonneur. Quelles conclusions tirer du retour d’expérience de la guerre en Ukraine au regard des besoins capacitaires, de la doctrine, voire d’inflexion de la LPM ? Que signifie, pour la marine, l’économie de guerre ?

 

La marine américaine investit massivement dans les drones océaniques, qui sont l’équivalent de SNA ou de SNLE dronisés – un bâtiment de 48 mètres vient d’être lancé et testé. La France a-t-elle vocation à développer ces drones océaniques ? À quel rythme ? Selon quelle doctrine ? Pourraient-ils être un tournant pour la marine de demain ? Nous avons raté le tournant des drones aériens dans les années 2000. Nous aurons bientôt un eurodrone MALE (Medium Altitude Long Endurance), dont la pertinence peut être questionnée. Il ne faudrait pas que la marine nationale rate ce tournant-là.

 

Amiral Pierre Vandier. Les travaux de la LPM vont commencer. Nous allons recevoir les premiers cadrages financiers. Le CEMA est en train de fixer les priorités pour répondre aux demandes que le Président lui a adressées.

 

Depuis 1990, le format de la marine a été réduit de moitié, mais tout l’art de mes prédécesseurs a consisté à en maintenir l’ensemble des capacités clés sous une forme un peu plus fine. Deux capacités tiennent toute la marine : la force océanique stratégique, qui ne peut souffrir aucune impasse car c’est la dimension non discrétionnaire du format de la marine ; le GAN et tout ce qu’il emporte en termes de puissance, de ravitaillement et de crédibilité, en particulier vis-à-vis de nos alliés. Le lancement du successeur du Charles de Gaulle devrait notamment intervenir au cours de ce quinquennat.

 

Le Livre blanc de 2013 a fixé le format de la marine pour 2030, qui reste la référence : 15 frégates – 8 FREMM, 2 frégates de défense antiaérienne (FDA) et 5 FDI –, la capacité d’opérer sur deux à trois théâtres simultanés et une mission-cadre. Savoir s’il est suffisant est une question qui n’est pas de mon ressort et à laquelle les travaux de la future LPM devront répondre. La question d’un éventuel deuxième porte-avions doit s’inscrire dans ce cadre pour un horizon post-2040. 

 

Les porte-avions suscitent beaucoup de fantasmes. Ceux qui pensent que c’est de l’argent gaspillé devraient commencer par convaincre ceux qui en construisent actuellement, notamment les Chinois et les Turcs, de s’en passer ! En Europe, les Britanniques et les Italiens en ont chacun deux ; en Asie, les Coréens en construisent un, les Japonais transforment leur porte-hélicoptères amphibies (PHA) en porte-F35, et les Indiens viennent de faire les essais à la mer de leur deuxième porte-avions.

 

Pourquoi les porte-avions ? Simplement parce que, dans ce retour du combat naval, comme c’est le cas à terre, on ne gagne pas une bataille sans supériorité aérienne. Dans les années 1990-2000, les porte-avions étaient des outils de projection de puissance vers la terre, dans des espaces peu militarisés, comme l’Afghanistan, le Mali ou l’Irak. Aujourd’hui, on se retrouve face à une densité de missiles et à une puissance de feu considérables, et pour pouvoir envisager de remporter un combat naval, il faut avoir la supériorité aérienne. Dans l’océan Indien, entre Djibouti et Bombay, celle-ci n’est possible qu’avec les porte-avions – tout le monde l’a compris.

 

Le principal frein à l’extension du format de la marine est budgétaire, pas industriel. Compte tenu des contraintes financières, le principal levier d’accélération est l’innovation et la valorisation des plateformes. On ne peut plus attendre vingt ans pour changer le logiciel de combat d’un bateau – on espère bientôt remettre à niveau celui du Chevalier Paul Aujourd’hui, pour la Marine, avoir une industrie en mode guerre, c’est être capable de cadencer de manière beaucoup plus rapide, comme cela a été très bien fait dans l’aéronautique, les évolutions des systèmes d’armes de nos navires. Ceux-ci doivent disposer de capacités évolutives, se voir ajouter des optionnels de mission – comme on le fait pour le Rafale.

 

En matière de drones, la marine n’est pas en reste. Nous avons mené la première opération de lutte contre la drogue, en Atlantique, avec le Mistral et un drone Schiebel, qui est resté quatre heures en vol, en alternance avec l’hélicoptère. Le potentiel de ce dernier est démultiplié par le drone. Nous allons désormais employer des drones pour toutes les missions qui n’impliquent pas d’emport d’armes. Nous disposerons de six drones Schiebel, qui sont en cours de certification. Dès cet été, nous déployons le système de mini-drone marine (SMDM), qui équipera les petits patrouilleurs, les avisos, les patrouilleurs outre-mer et leur permettra d’étendre jusqu’à une vingtaine de nautiques leur bulle de connaissances, en communication directe.

 

Pour le futur, dans le cadre du programme « avion de surveillance et d’intervention maritime » (AVSIMAR), nous travaillons sur une combinaison du drone et de l’avion. Nous avons déjà acheté sept Falcon 2000. Les suivants pourront être renforcés ou complétés par des drones, qui opéreront depuis la côte, pour la surveillance, à l’instar des avions de patrouille maritime.

 

Nous avons également beaucoup avancé sur les drones sous-marins. L’ensemble de la force de guerre des mines sera entièrement dronisé dans les vingt prochaines années. Nous soumettons actuellement à des essais le système de lutte antimines marines futur (SLAMF). Nous opérons les drones depuis Brest. S’agissant des gros drones sous-marins, Naval Group a lancé des études en vue d’élaborer un prototype. Nous étudions les concepts avec eux.

 

Les drones se heurtent à deux problèmes principaux. Le premier tient à l’armement : peut-on franchir la limite que constitue l’emploi d’un système d’armes létales autonome (SALA) ? C’est un sujet sur lequel s’est penché le comité d’éthique de la défense, institué à l’initiative de Mme Parly. Confier des armes puissantes, voire, comme les Russes le prétendent, des armes nucléaires, à des systèmes automatiques est pour le moins problématique. Je rappelle que la France avait souhaité débrancher les systèmes d’armement des premiers drones Predator qu’elle avait acquis afin qu’ils ne puissent être armés.

 

Le second problème est le système de communication, qui est le point faible du drone. Pour un drone avion, cela passe par le satellite ; si on brouille la liaison, on perd le contrôle du drone. Sous la mer, les ondes radio ne passent pas : une fois largué, le drone sous-marin doit avoir une forte part d’automatisme et il peut être perdu. Nous portons notre réflexion sur la coopération entre le sous-marin et le drone sous-marin. Outre les nageurs de combat, on peut placer de nombreux matériels dans la valise de pont d’un sous-marin, ce qui ouvre des perspectives.

 

J’ai beaucoup discuté, récemment, avec mon homologue américain sur la dronisation des flottes. Les États-Unis n’ont pas le potentiel pour accélérer leurs chantiers navals. Leur flotte de bateaux dronisés est confrontée à deux difficultés : la perte du contact avec le drone et le risque qu’une autre armée s’en empare. Les concepts ne sont pas encore complètement mûrs. Les drones de surface pourraient, à mon sens, jouer un rôle d’accompagnateur des forces. Ils pourraient être dotés de systèmes de guerre électronique et, éventuellement, de quelques armes, et aller 40, 50, 100 nautiques en avant, pour éclairer et défendre au loin une force aéronavale.

 

Le développement de ce système dépendra toutefois des crédits disponibles. On constate de très fortes réductions temporaires de capacités ; tous les segments de la marine sont concernés. On va descendre à quatre SNA pour les deux prochaines années, compte tenu du rythme de réparation des cinq sous-marins que nous détenons et des livraisons des suivants. S’agissant des patrouilleurs, la cible va descendre à 50 % de ce qui est prévu pour 2030. Pour les patrouilleurs outre-mer, on remontera à 100 % en 2025. Par ailleurs, nous n’aurons que deux bâtiments ravitailleurs de force (BRF) d’ici à 2029, au lieu de quatre. Dès lors, la question se pose : faut-il encore décaler la mise en service des BRF et employer provisoirement des drones ? Ce sont des choix cornéliens, qu’il conviendra de trancher cet automne.

 

La convention de Montreux interdit à un navire de plus de 20 000 tonnes d’entrer en mer Noire et autorise, pour une durée maximale de vingt et un jours, la présence d’un bateau allié, qui est soumise à déclaration. La France est le dernier pays occidental à avoir envoyé un bateau de guerre en mer Noire. Nous en sommes sortis et nous n’y revenons actuellement plus, les Turcs ayant déclaré, en application de la convention, le non-renforcement des belligérants – ce que nous ne sommes pourtant pas. Plus aucun pays de l’OTAN n’a depuis franchi le détroit du Bosphore.

 

Le renforcement militaire général a pour effet d’accroître la coercition potentielle. À titre d’exemple, nous avons escorté un navire spécialisé, qui avait obtenu un accord de prospection de forages pétroliers au sud-ouest de Chypre. Les Turcs considérant que ces secteurs relèvent de leur souveraineté, notre frégate s’est vue entourée par cinq frégates turques, ce qui in fine a dissuadés l’opérateur de poursuivre ses activités dans ce secteur. Compte tenu de l’importance et de l’évolution du rapport de force, la coalition est essentielle. On dénombre autant de frégates en Europe que dans toute la marine américaine : nous ne sommes donc pas seuls. Il est fondamental que nous coopérions avec les pays européens. Je déploie beaucoup d’énergie pour emmener mes camarades européens dans le golfe de Guinée ou en missions de surveillance dans l’océan Indien – opérations AGÉNOR et ATALANTA – afin que la marine française ne s’épuise pas à assurer seule la sécurité de tous. Nous cherchons par conséquent à renforcer la coopération en Atlantique, en Méditerranée, dans le golfe de Guinée et dans l’Indopacifique.

 

Dans la perspective des Jeux olympiques, l’État a accompli un travail de fond pour faire face à la menace des drones. Compte tenu de la généralisation des drones commerciaux, n’importe qui peut faire voler un drone quadri pales au-dessus des sites les plus sensibles. Des dispositifs ont été mis en place. À l’île Longue, des brouilleurs de communications sont activés et des compagnies de gendarmes sont présentes sur toute la zone pour rechercher et verbaliser les contrevenants. Par ailleurs, on commence à développer des armes létales antidrones. Cilas, à Orléans, développe les premières tourelles antidrones, qui permettent leur destruction à 2 kilomètres de distance. Nous serons progressivement à la hauteur de ces menaces, que nous prenons très au sérieux, y compris en mer.

 

On a perdu de vue la flotte auxiliaire qui existait dans les années 80 mais on en aura sans doute bientôt besoin à nouveau. La flotte de commerce a considérablement fondu depuis cette époque. Il faudra partir de ce qu’il reste de la flotte sous pavillon français. Peut-être faudra-t-il envisager d’affréter des navires pour assurer l’assistance aux populations outre-mer. Nous aurons sans nul doute, dans une perspective de crise importante, besoin de pétroliers, de navires de transport civils.

 

En Ukraine, la partie navale du conflit a été peu évoquée alors qu’elle a couvert peu ou prou tous les champs d’emploi d’une marine moderne. Au cinquième jour de la guerre, M. Poutine avait menacé de conséquences effroyables quiconque se mêlerait de son opération spéciale et, pour donner corps à son propos, avait fait appareiller six SNLE, deux dans le Pacifique et quatre depuis Mourmansk, ce qui a permis de prendre conscience de l’intérêt de disposer d’une force nucléaire indépendante.

 

Puis la Russie a instauré un blocus en mer Noire, coulant deux bateaux ukrainiens et pas moins de onze navires de commerce. Elle a utilisé des plateformes navales pour tirer des missiles de croisière. Face aux difficultés qu’elle rencontre en matière de stocks de munitions, elle utilise largement les stocks des bateaux et des sous-marins, comme en témoignent les frappes actuelles sur Odessa.

 

On a également eu un exemple de lutte antinavire avec les frappes de missiles qui ont occasionné la perte du Moskva, vitrine de la marine russe. Il a coulé en quelques heures, preuve de la létalité et de la violence du combat naval. À cet égard, on peut rappeler que la marine anglaise a perdu 14 navires en 72 jours de conflit lors de la guerre des Malouines en 1982. Nous nous sommes préparés à ce type de conflit au cours de l’exercice Polaris 21 et nous continuons à nous y préparer.

 

La marine recrute chaque année près de 4 000 marins. Nous atteignons nos objectifs de recrutement chez les quartiers-maîtres, les officiers mariniers et, dans des proportions beaucoup plus larges encore, chez les officiers, pour lesquels le taux de sélection est excellent. Les écoles tournent à plein régime. Mon prédécesseur avait fait ouvrir une deuxième école de maistrance à Toulon. L’enjeu RH actuel consiste surtout à garder les compétences que nous avons créées. Un maître, opérateur de réacteur de sous-marin âgé de 31 ans est payé comme un technicien alors qu’il trouvera un emploi d’ingénieur chez EDF du jour au lendemain. Du fait du tassement des grilles indiciaires, la progression salariale est aujourd’hui extrêmement faible : entre un maître et un maître principal, il n’y a que 600 euros d’écart de leur solde de base. Les talents de la marine, comme les officiers de système d’armes, les nucléaristes, les personnels spécialisés en chimie, se voient offrir des ponts d’or dans le civil. La rémunération et les outils de fidélisation sont donc fondamentaux.

 

Le Président de la République a affirmé une ambition extrêmement forte pour la jeunesse. La manière la plus réaliste et la plus rapide de répondre dans un premier temps à cette ambition est renforcer les dispositifs actuels : service militaire volontaire (SMV), préparations militaires marine, classes de défense… Nous pensons faisable de doubler rapidement le nombre de préparations militaires et d’ouvrir une deuxième école de mousses, sur la façade méditerranéenne. Une ambition beaucoup plus importante, de niveau ministériel, est portée dans le cadre du service national universel (SNU) et fait l’objet de travaux au niveau de l’EMA.

 

M. Mikaele Seo. Vous avez évoqué la zone indopacifique – la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie – mais vous avez oublié Wallis-et-Futuna. Quels sont les moyens de surveillance déployés sur cette zone économique de 250 000 kilomètres carrés ? Une surveillance s’exerce depuis la Nouvelle-Calédonie, tous les trois mois, mais j’appelle votre attention sur la nécessité d’une plus grande régularité et visibilité pour les autorités locales. La Nouvelle-Calédonie n’est pas Wallis-et-Futuna !

 

M. Frédéric Boccaletti. Comment la haute intensité en mer pourrait-elle se traduire ? Assistera-t-on au retour de la bataille navale du type Jutland ? Quelles conséquences pour notre flotte ? Nos bateaux sont-ils bien protégés ? Sont-ils capables de prendre des coups et de les rendre ? Je pense en particulier à ceux qui répondent à des normes civiles, comme les PHA et les frégates de surveillance.

 

Plus globalement, quelles orientations devrions-nous prendre pour la marine ? L’accroissement du nombre de frégates de premier rang suffira-t-il ou n’est-ce qu’un premier pas ?

 

M. Jean-Marie Fiévet. Les océans couvrent 70 % de la planète et la France dispose du deuxième espace maritime mondial avec 24 900 kilomètres de littoral et 11 millions de kilomètres carrés d’espace maritime que contrôle et protège la marine nationale dans ses trois dimensions – sous, sur et au-dessus de la mer.

 

Compte tenu de cette géographie et d’un spectre aussi large des opérations, depuis la police des pêches jusqu’au Rafale marine, comment se structure le commandement des opérations ? Comment parvenez-vous à l’adapter pour préserver la paix et défendre les intérêts français ?

 

M. Yannick Favennec-Bécot. Je souhaitais vous interroger sur les drones sous-marins, en particulier sur le démonstrateur que Naval Group a développé et qui pourrait être utilisé pour patrouiller au large d’une base navale afin d’identifier d’éventuelles menaces ou de servir d’éclaireur pour un GAN, mais vous avez répondu en grande partie à mes interrogations.

 

Mme Nathalie Serre. Vous avez également répondu à mes interrogations suite aux questions de M. Larsonneur et M. Saintoul mais je tiens à vous remercier pour la clarté de vos propos et l’absence, salutaire, de langue de bois.

 

Amiral Pierre Vandier. Wallis-et-Futuna représente 371 096 kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE) et participe donc aux 95 % de ZEE en indopacifique. Les territoires qui sont dans cette zone sont immenses puisque la carte de la Polynésie française est superposable sur celle de l’Europe. Les moyens de surveillance dont nous disposons se bornent, quant à eux, à deux avions de patrouille maritime et quatre bateaux de surface : c’est indéniablement limité.

 

Pour cette raison, depuis des années, nous développons notre renseignement spatial. Un bateau de pêche est pourvu d’un radar et d’un Automatic Identification System (AIS) permettant de l’identifier par satellite. Nous travaillons avec une start-up capable de nous dire lorsqu’il a été coupé, ce qui permet d’envoyer nos unités au bon endroit au bon moment. Le défi à venir est d’être en mesure de faire face à une pression prédatrice qui augmente au cours du temps.  

 

La France n’ayant pas les moyens de multiplier les patrouilleurs, nous devons nous montrer dissuasifs, être capables de tomber sur les bons clients et d’aller jusqu’au bout, notamment, jusqu’à la mise en œuvre des sanctions judiciaires. Le Président de la République a d’ailleurs souligné l’importance du développement des juridictions en haute mer (Biodiversity Beyond National Jurisdiction, BBNJ).  

 

La surveillance des espaces maritimes relève donc de plusieurs outils : les satellites, les drones, les moyens aériens et maritimes. Il est certain, toutefois, que vous ne voyez pas souvent passer nos unités à Wallis-et-Futuna. J’imagine à regret que certains Polynésiens n’ont pas vu passer de bateaux depuis plusieurs années compte-tenu de l’étendue de la zone.

 

S’agissant de la haute intensité, je rappelle qu’en 39-45, les ponts blindés de dix centimètres d’acier Krupp n’ont pas empêché des croiseurs de combat d’être coulés. Le Bismarck gît à 4 000 mètres de fond au large de Brest ; le croiseur le plus imposant de la flotte japonaise, le Yamato, a quant à lui été coulé par l’aéronavale américaine.

 

La supériorité aérienne est essentielle car il est toujours plus facile de risquer un avion qu’un croiseur. Elle est effective lorsque l’on est capable d’envoyer un Rafale à 1 000 nautiques – 2 000 kilomètres – d’un porte-avions pour menacer une flotte adverse, avec un risque mesuré. Les combats de frégates avec des missiles relèvent, quant à eux, du combat d’escrime : c’est le plus agile, le plus rapide et le mieux défendu qui l’emporte, mais il y a des coups à prendre. La résistance de nos dispositifs repose donc sur la profondeur de notre action et sur la qualité de nos systèmes d’armes. Les forces navales sont des bulles de déni d’accès et d’interdiction de zone (Anti-Access/Area Denial, A2/AD) les plus denses jamais mises en œuvre. Un GAN français peut ainsi avoir en stock plusieurs dizaines, voire centaines, de missiles antiaériens au sein de la force. La question n’est donc pas celle de l’épaisseur du blindage mais de la capacité à frapper et à neutraliser des missiles adverses. Plus personne ne défend un bateau avec de la tôle blindée ! Souvenez-vous de l’USS Stark, qui a été frappé par un Exocet pendant la guerre du Golfe, ou des bateaux anglais qui ont brûlé lors de la guerre des Malouines ! C’est en tapant loin et fort, en neutralisant les missiles, que l’on peut se défendre.

 

Dans le high-low mix entre bateaux sophistiqués et plus simples, les exigences du combat sont claires : il faut pour cela des bateaux « haut de spectre », bien défendus et susceptibles d’agir loin. En revanche, la surveillance de la ZEE nécessite de disposer de navires plus petits, qui puissent aller loin et qui soient les moins chers possible.

 

Lorsque j’ai pris mes fonctions, il y a deux ans, j’ai réfléchi avec l’état-major de la Marine pour déterminer si une réorganisation était nécessaire. En effet, les grandes lignes de l’organisation actuelle de la marine reposent toujours sur le plan « Optimar 95 » de l’amiral Coatanea. Nous avons conclu de cette réflexion que, compte tenu de notre taille limitée, nous n’avions actuellement pas de meilleure organisation que celle de quatre forces organiques : les sous-marins, la force d’action navale, les fusiliers-commandos et l’aéronautique navale.

 

Après les opérations de maîtrise des fonds marins (OMFM), nous nous sommes interrogés sur la nécessité de recréer une force d’intervention sous la mer distincte de la force d’action navale, mais nous avons conclu que ce n’était pas souhaitable compte tenu des fortes contraintes de personnels et d’infrastructures. Un changement de structure supposerait en effet un vaste changement de taille de la Marine. Les problèmes auxquels je suis confronté ne sont pas les mêmes que ceux de mes prédécesseurs, dans les années 1970. Aujourd’hui, les personnels sont employés de façon beaucoup plus matricielle. Diviser à nouveau les organisations actuelles nécessiterait de retrouver des marges de manœuvre RH que je n’ai pas.

 

La partie opérationnelle, quant à elle, relève du CEMA et de sa chaîne de commandement : sous-chef d’état-major Opérations, Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), contrôleurs opérationnels (OPCONERS). Le CEMA a notamment lancé un certain nombre de réflexions autour de l’adaptation de ces chaines de commandement aux nouvelles conflictualités. Pour ce qui relève de « l’Action de l’État en Mer », notre organisation repose sur nos préfets maritimes de Brest, Toulon et Cherbourg, puis, en outremer, les commissaires du Gouvernement assistés des commandants de zone maritime. Cette structure a été assez récemment évaluée par un rapport de la Cour des comptes de juin 2019. Je suis convaincu que notre organisation est bonne, adaptée, et qu’il n’y a pas lieu de la remettre en cause.

 

M. Aurélien Saintoul. Lors d’une visite sur le théâtre de l’opération AGÉNOR, j’ai entendu dire que la mobilisation de la coalition était très difficile. Il en est de même s’agissant de la coopération industrielle, en l’occurrence avec l’Allemagne, dans le cadre du programme Maritime Airborne Warfare System (MAWS).

 

Quel bilan tirez-vous en matière de coopération opérationnelle et industrielle ? S’agissant d’AGÉNOR, le peu d’allant des Pays-Bas a été évoqué, quoiqu’ils aient été les premiers bénéficiaires de cette mission. A-t-on affaire à des partenaires un peu réticents ?

 

Amiral Pierre Vandier. L’opération AGÉNOR a été lancée alors que nous craignions une dégradation sécuritaire importante dans le détroit d’Ormuz : un drone américain MQ-4 avait été abattu par un missile iranien Buk et des incidents se sont produits sur plusieurs navires de commerce. La France a pris l’initiative de lancer cette opération. L’état-major était aux Émirats arabes unis et la « génération de forces » a été plutôt satisfaisante, avec une bonne implication des Européens, notamment les Belges, les Danois et les Italiens.

 

L’Union Européenne a engagé le chantier des Coordinated Maritime Presences (CMP), dont l’objectif est de coordonner l’activité des marines européennes dans l’océan Indien. À Brest, nous assurons avec beaucoup de succès la partie renseignement de la mission ATALANTA. J’espère que, dans un proche avenir, l’ensemble des missions dans cette zone – ATALANTA, dans le golfe d’Aden, contre les actes de piraterie, et AGÉNOR – seront fusionnées au sein d’une même structure de commandement sous la supervision de l’état-major opératif, qui est aujourd’hui en Espagne.

 

Avec la fin de l’approvisionnement en gaz russe, nous assistons à la décontinentalisation de notre approvisionnement en énergie. Je constate plus d’appétit de mes partenaires européens pour sécuriser les approches : ils ont tout intérêt à être présents sur les routes maritimes d’approvisionnement, en Méditerranée orientale (MÉDOR), en mer Rouge, à Bab-el-Mandeb, dans le golfe d’Aden et, surtout, au détroit d’Ormuz.

 

Avec l’Allemagne, j’ai pu constater une réelle motivation du nouveau chef d’état-major allemand qui m’a confié qu’il est prêt à réfléchir aux voies et moyens de nous rejoindre dans ces missions. Mes échanges avec la marine italienne sont également encourageants.

 

En étant plus nombreux, nous pourrons songer à des redéploiements de moyens pour être présents sur d’autres missions ou durcir notre présence dans des zones sensibles sans devoir abandonner le contrôle de certains espaces.

 

Toujours avec la marine allemande, d’autres coopérations sont en cours, notamment autour de l’hélicoptère NH90. Nous étudions également un projet de développement d’un avion de patrouille maritime commun. L’avenir de ce projet est toutefois rendu incertain du fait de leur décision unilatérale d’acheter cinq avions américains, des P-8 Poséidon, et du projet d’en acquérir trois autres. Leur volonté de s’équiper dans le cadre d’un programme commun mérite donc d’être confirmée. Pour la France, nous sommes au « money-time », où tout se joue, puisque la durée de vie de l’ATL 2 est limitée par celle de ses moteurs, les turbines Tyne, les mêmes que celles des Transall, qui viennent de prendre leur retraite. Nous devrons donc remplacer cet avion afin d’assurer la continuité des missions de soutien de la dissuasion.

 

Avec la Royal Navy, nous coopérons dans le cadre du projet « Futur missile antinavire/Futur missile de croisière » (FMAN/FMC) conduit par One MBDA. Nous espérons une issue positive pour ce successeur du missile « système de croisière conventionnel autonome à longue portée » (SCALP) et de l’Exocet.

 

La coopération est également importante dans le cadre du système de combat aérien du futur (SCAF), dont la version navale est destinée au futur porte-avions. Je ne développerai pas les questions relatives aux progrès de cette coopération.

 

Enfin, Naval Group travaille à l’European Patrol Corvette, programme espagnol, italien et français qui pourrait permettre de fournir un successeur aux frégates de surveillance outre-mer, aujourd’hui faiblement armées, à partir de la fin de la décennie. Compte tenu du réarmement naval en cours en océan Indien et Pacifique, nous aurons effectivement besoin de bateaux militairement plus crédibles.

 

M. Loïc Kervran, président. Nous sommes ravis, amiral, par cette première rencontre de la législature avec vous et nous vous remercions pour la qualité et la franchise de vos propos.

 

La séance est levée à dix heures quarante.

 

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Article de Cabirol. Plus une question sur la réelle volonté de passer à une économie de guerre. En gros pour que l'industrie passe le pas il faut des commandes.

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/munitions-quelles-pistes-et-quelles-mesures-pour-reapprovisionner-les-stocks-2-2-928195.html

Munitions : quelles pistes et quelles mesures pour réapprovisionner les stocks ? (2/2)

Le ministre des Armées Sébastien Lecornu devrait annoncer des mesures d'urgence cet automne dans le cadre du projet de loi de finances 2023 pour réapprovisionner les stocks de munitions.

140 Aster 15 ont été livrés entre 2006 et 2020, soit moins de 10 missiles par an. (Crédits : Eurosam)

Révélation

Le constat étant clair et inquiétant, le ministère des Armées est désormais sur le pied de guerre pour renforcer les stocks de munitions sacrifiés sur l'autel des arbitrages depuis plus de 20 ans. "Ce sera l'une des entrées de la mise à jour de la loi de programmation militaire (LPM)", avait expliqué début mai au Sénat le Délégué général pour l'armement Joël Barre, remplacé depuis le 31 juillet par Emmanuel Chiva. Ce sera finalement l'une des entrées de la nouvelle LPM (2024-2030) voulue par Emmanuel Macron et annoncée le 13 juillet. D'ici là, l'Hôtel de Brienne a été prié par le chef de l'État de lancer dès cet été une réflexion sur des mesures d'urgence dans le cadre de la préparation du budget 2023 pour "réapprovisionner les stocks stratégiques de munitions", comme l'a expliqué le 7 juillet le ministre des Armées Sébastien Lecornu à l'Assemblée nationale.

"Il faut réapprovisionner par suite de notre solidarité envers les armées ukrainiennes ou parce que le retour des conflits de moyenne à haute intensité de nature conventionnelle redonne une place particulière à l'artillerie et à l'infanterie dans notre schéma de défense", a expliqué le ministre des Armées.

Le réapprovisionnement des stocks va coûter cher, très cher au ministère des Armées. Car "les munitions technologiques de nouvelle génération sont beaucoup plus chères que celles qu'elles remplacent", constatait déjà en mai Florence Parly dans un entretien accordé à La Tribune peu de temps avant son départ de l'Hôtel de Brienne. En outre, le sénateur du Finistère Philippe Paul estime que 6 à 7 milliards de munitions devront être acquises d'ici à 2030, pour un stock évalué aujourd'hui à 8 milliards. Hors nouvelle mesure, l'actuelle LPM a prévu 7 milliards d'euros pour compléter et développer de nouveaux missiles ou de nouvelles munitions. Selon le rapport d'information des députés Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès sur la préparation à la haute intensité, le besoin financier complémentaire est évalué à 3,5 milliards d'euros auxquels il faut ajouter 350 millions d'euros par an pour l'entretien de ces stocks.
 

Mesures d'urgence ?

Au-delà de l'armée de terre, Sébastien Lecornu, qui doit gérer en urgence ce dossier coûteux, long et complexe, a demandé à la Direction générale de l'armement (DGA) et à l'état-major de plancher sur "des propositions pour des réassorts en munitions dès 2023". Le ministre devrait annoncer "à l'automne" "d'éventuelles mesures d'urgence" dans le cadre du projet de loi de finances de 2023 "en fonction de ce que les services du ministère et la DGA diront", a-t-il précisé le 20 juillet devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. La DGA n'a pas attendu le nouveau ministre pour plancher sur ce dossier explosif sous l'impulsion de Florence Parly. Ainsi, un comité directeur du domaine capacitaire des munitions s'est tenu le 7 avril dernier avec les armées, à l'occasion duquel plusieurs actions ont été décidées.

Ces mesures d'urgence si elles sont décidées par Sébastien Lecornu viendront compléter un accord-cadre récemment rendu public pour un marché de 600 millions d'euros portant sur l'achat de munitions. Enfin, le ministère a octroyé 110 millions d'euros supplémentaire lors de l'actualisation en 2021 de la LPM. "Ces différentes actions permettent une remontée en puissance progressive de nos stocks de munitions, qui s'apprécie à l'aune de nos besoins. Il apparaît nécessaire d'accélérer ce processus", avait expliqué Joël Barre au Sénat.
 

"Plusieurs catégories de munitions ont été complétées de nouveau, en particulier dans le domaine de l'armement air-sol et des obus de 155 millimètres, avait alors détaillé devant les sénateurs Joël Barre. Nous avons également sécurisé un certain nombre de filières de production de bombes et de corps de bombes. Les programmes de rénovation à mi-vie des munitions complexes de type missile comme le système de croisière conventionnel autonome à longue portée (SCALP), l'Aster ou le MICA sont par ailleurs en cours. S'y ajoute le développement des missiles de nouvelle génération que sont le missile d'interception de combat et d'autodéfense de nouvelle génération (MICA-NG) ou l'Aster 30 Block 1 « nouvelle technologie » (B1NT). De plus, des stocks de nouveaux missiles comme le MDCN et le missile moyenne portée (MMP) sont en cours de constitution".

De nouvelles filières de munitions ?

Indéniablement, la guerre en Ukraine pourrait avoir rebattu des cartes. Des réflexions tous azimuts voient le jour, que ce soit pour développer d'anciennes filières sacrifiées (petit calibre) ou de nouvelles (armes à énergie dirigée). Sébastien Lecornu veut-il lancer une filière de munitions de petit calibre en France? La question mérite d'être posée. Ses propos au Sénat le laissent entendre : "il est clair que les types de combats ayant lieu en Ukraine ne semblaient plus complètement d'actualité, et que, alors que nous avons privilégié le développement de moyens balistiques lourds, nous devons revenir à des stratégies de petites munitions".

Autre piste développée, cette fois technologique, par le chef d'état-major de la marine nationale, l'amiral Pierre Vandier, les armes à énergie dirigée. "Pour détruire un drone, je préfère utiliser un laser de puissance à 50.000 euros que tirer un Aster 15 à 1 million", a-t-il expliqué fin juillet à l'Assemblée nationale. Des missiles qu'il faut absolument tirer qu'à coup sûr tant la cible finale des Aster 15 a été réduite lors de la LPM 2014-2019, passant de 200 à 140 missiles (cible atteinte en 2020). En revanche, la PME Cilas, en grande difficulté financière et en phase de reprise par Safran et MBDA, est peut-être assise sur une rampe de forte croissance. Elle pourrait être avec l'ETI bretonne Lumibird le fer de lance de cette nouvelle filière laser qui stratégiquement va être de la plus haute importance en termes capacitaires.

Par ailleurs, la DGA est en train de réfléchir sur des armements consommables, qui devront être conçus à bas prix. "Ce qui n'est pas un point sur lequel nous avons particulièrement travaillé", a reconnu Joël Barre le 13 juillet à Assemblée nationale. La DGA a récemment lancé un appel d'offres pour réaliser des drones armés, que le Délégué qualifierai "de munitions rôdeuses, lesquelles, en tant que consommables, ne doivent pas coûter trop cher. Le coût de l'arme utilisée ne doit pas être plus élevé que celle à contrecarrer".

Des enjeux énormes pour l'industrie
 

Longtemps dimensionnée pour gérer la pénurie des munitions des armées françaises (les 140 Aster 15 ont par exemple été livrés entre 2006 et 2020, soit moins de 10 missiles par an), l'industrie française spécialisée dans les munitions - principalement le missilier MBDA, l'électronicien Thales et Nexter, le spécialiste des munitions d'un calibre entre 20 et 155 mm - est aujourd'hui sollicitée par les responsables politiques et la DGA pour faire remonter leurs cadences de production. Mais pour le moment sans véritable commande dimensionnante, qui semble d'ailleurs hors de portée sur le plan budgétaire sauf s'il existe une réelle volonté politique. "Le véritable enjeu porte plutôt sur les objectifs et les moyens budgétaires qu'on leur consacre", a rappelé le 30 mai le PDG de MBDA Eric Béranger devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.
 

"L'un des premiers enseignements à tirer de l'Ukraine est la notion d'économie de guerre, c'est-à-dire la capacité de soutenir dans la durée des cadences élevées de consommation de munitions et une attrition accélérée des matériels", a estimé Joël Barre le 13 juillet à l'Assemblée nationale.

Dans ce cadre, l'ancien Délégué appelait déjà début mai au Sénat à "veiller" aux capacités industrielles. "Il faut qu'elles puissent réaliser ces munitions, ces rechanges et monter en cadence lorsque cela est nécessaire en particulier en cas de crise. Nous avons donc besoin d'une BITD robuste", avait-il souligné. C'était une des interrogations de l'ancienne ministre des Armées Florence Parly. "Il y a la capacité des industriels à répondre à nos besoins", avait-elle expliqué dans un entretien accordé à La Tribune peu de temps avant son départ de l'Hôtel de Brienne. Elle avait également tracé certaines directions à prendre : "Quels sont les volumes souhaités ? N'y a-t-il pas des munitions un peu moins perfectionnées mais qu'il serait souhaitable d'avoir en plus grand nombre?".

Pour réaliser les éventuels ajustements évoqués par le ministre, "nous avons aussi besoin d'une industrie capable de délivrer", a estimé Sébastien Lecornu lors de son audition au Sénat le 20 juillet. Une industrie qui doit s'adapter à la fameuse économie de guerre. Résultat, les industriels ballotés par les déclarations politiques naviguent à vue et au petit bonheur la chance. Car sans commande, aucun industriel ne voudra fabriquer des produits qu'il stocke en attendant de les vendre. Pour autant, ils devront être capable de réduire les temps de fabrication. "Pour certaines munitions, les délais de production ex nihilo sont de 24 à 36 mois", rapporte la mission d'information des députés Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès. C'est notamment le cas du MDCN, le missile de croisière de la marine nationale.

Sur le court terme, il existe bien des solutions comme le précise Eric Béranger : "Nous devons d'abord être capables d'accélérer la production de façon ponctuelle et limitée dans le temps. Il s'agit de construire des stocks de composants ou de sous-éléments qui permettent, le moment venu, de passer directement à l'étape de l'intégration. Nous avons testé cette situation avec succès lors de la période Covid". Mais sur le long terme, les industriels ont besoin de visibilité et surtout éviter les a-coups pour pouvoir investir dans le redimensionnement de leur outil industriel. "L'augmentation de la cadence industrielle sur le long terme est une autre dimension, qui demande un travail approfondi sur l'ensemble de la chaîne de production : cela suppose que les fournisseurs soient capables de produire plus, plus vite, de façon à alimenter les intégrateurs que nous sommes", a détaillé le PDG de MBDA.

"C'est aussi une affaire de choix, de planification et de ressources : sur quelles capacités souhaitons-nous des cadences supérieures et quels sont les moyens que nous y consacrons ? Ne faudrait-il pas, comme viennent de le faire les États-Unis, accorder la priorité à l'industrie de défense nationale pour la fourniture de certains composants ou matières premières ?", a interrogé Eric Béranger. Des questions auxquelles devront répondre Sébastien Lecornu et le nouveau DGA, Emmanuel Chiva.

 

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Le 21/08/2022 à 09:31, Ciders a dit :

Ah ça commence à faire du lobbying sur le thème "on va tous crever".

Dommage que ça n'ait pas grincé plus fort du temps de Sarkozy... à l'époque, la soupe devait être encore trop bonne pour certains grands chefs.

Ce qui me saoule dans cette affaire, c'est que je passe mon temps depuis fin 2008 dans la mare de ce forum en essayant de proposer/relayer des palliatifs pour contrer ce désarmement.

Ça n'a pas eu plus d'effet qu'un caillou dans une mare... (si Patriote Inquiet/Stratege n'était pas mort cela aurait peut-être servi un peu plus ???)

En tout cas le seul truc qui fait qu'on soit pas dans une grosse M€rde, c'est que contrairement à tous les pronostics de stratèges en chambre ou en état-major, les ukrainiens ont suffisamment tenu pour limiter durablement les velléités de tonton Vlad à aller plus loin... :rolleyes:
 

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Il y a 2 heures, BPCs a dit :

Ce qui me saoule dans cette affaire, c'est que je passe mon temps depuis fin 2008 danq la mare de ce forum en essayant de proposer/relayer des palliatifs pour contrer ce désarmement.

Ça n'a pas eu plus d'effet qu'un caillou dans une mare... (si Patriote Inquiet/Stratege n'était pas mort cela aurait peut-être servi un peu plus ???)

En tout cas le seul truc qui fait qu'on soit pas dans une grosse M€rde, c'est que contrairement à tous les pronostics de stratèges en chambre ou en état-major, les ukrainiens ont suffisamment tenu pour limiter durablement les velléités de tonton Vlad à aller plus loin... :rolleyes:
 

C'est sur que les russes nous auraient attaqué en 2023 après leur victoire sur leur province sécessionniste ukrainienne !

Modifié par gargouille
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Il y a 2 heures, Ronfly a dit :

Nos armées sont au font du font d'après cet article de L'Express :

"....Si les Russes nous avaient attaqués..." : l'alerte des généraux français sur l'état de l'armée 

De nombreux hauts gradés de l'armée préviennent que la France ne serait pas outillée en cas de "conflit de haute intensité", notamment face à la Russie.

Un simple exercice de tactique militaire, début 2022. Dans un pays balte, l'armée française s'entraîne face à l'un de ses alliés. La répétition tourne mal. "Quand nous avons commencé à utiliser nos chars, plusieurs se sont déchenillés", révèle Benoît*, engagé dans l'armée de terre depuis 2017. Dans ce combat factice, pas de vie en jeu. Mais le bilan aurait pu être dramatique estime après coup le militaire : "on était en Europe, pas au Mali. Je me disais que c'était un théâtre d'opérations secondaires, ce qui expliquait l'état du matériel. Mais si les Russes nous avaient attaqués, là, simplement, je vous le dis : on n'aurait pas été prêts." 

Le conflit en Ukraine a bousculé les certitudes des stratèges français. Face à des belligérants capables de mobiliser des moyens énormes - Russie, Chine - il faut désormais se préparer à un possible affrontement, que les gradés décrivent comme un "conflit de haute intensité". Or les experts sont nombreux à signaler que le pays serait pris de court en cas d'attaque importante. "Nous ne sommes pas du tout dans une économie militaire qui permette de conduire des conflits d'ampleur", résume le général Vincent Desportes, ancien directeur du Collège interarmées de défense. Depuis 1980, le budget des armées n'a cessé de baisser, passant de 3,07% du PIB à 1,4% en 2017. Les "dividendes de la paix" avait dit Laurent Fabius en 1990, à la fin du la guerre froide. A son arrivée au pouvoir, en 2017, Emmanuel Macron a avancé l'objectif d'atteindre les 2% du PIB en 2025, mais plusieurs hauts gradés réclament aujourd'hui d'aller plus loin, en mettant en avant la situation internationale.  

Derrière le parapluie nucléaire...

En théorie, la dissuasion nucléaire met la France à l'abri d'une attaque sur son territoire. Quatre sous-marins lanceurs d'engins sont capables de se projeter en moins de 30 minutes avec un rayon de tir dépassant les 5 000 kilomètres. "La dissuasion nucléaire est le premier ou dans le monde ou un de ses alliés, par les mers, les airs ou la terre. "Dans les faits, nous ne sommes pas menacés dans notre existence, mais notre place dans le monde est menacée", condense le colonel Michel Goya, devenu consultant défense pour BFMTV.  

En juillet dernier, les principaux chefs d'état-major, d'habitude plutôt enclins à livrer un discours rassurant en public, se sont tous montrés inquiets devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale. Et les gradés n'ont pas hésité à citer ouvertement la menace russe. "En mer, les Russes défense régulièrement à moins de 2 000 mètres de nos navires ; leurs systèmes d'armes sont actifs, comme ils nous le font régulièrement savoir en illuminant nos bâtiments avec leurs radars de conduite de tir", a raconté l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine, le 27 juillet, lors d'une audition durant laquelle il a signalé que "depuis 1945, la marine n'a jamais été aussi petite qu'aujourd'hui". Le général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre, a lui évoqué de façon directe les points de faiblesse potentiels de ses troupes : "la guerre en Ukraine est révélatrice des capacités décisives que l'armée de Terre doit consolider ou acquérir (...). Parmi les capacités à renforcer, je citerai les capacités de défense sol-air, les drones, les feux dans la profondeur, les systèmes d'information et de communication, le renseignement ou les moyens de franchissement." Immense chantier.  

C'est que, depuis trente ans, les décideurs politiques ont évité les choix tranchants. Le modèle d'armée dit complet, c'est-à-dire capable à la fois d'intervenir à l'étranger, de conforter la dissuasion nucléaire et d'assurer des missions de sécurité à l'intérieur du territoire, a été maintenu, malgré les coupes budgétaires. "Tous les gouvernements, quelle que soit la couleur politique, ont tapé dans la caisse, tout en gardant un modèle complet. Donc on réduit les capacités militaires mais on les garde toutes", constate le consultant Pierre Servent, spécialiste des questions de défense. Une logique qui conduit à disséminer les moyens, quitte à s'affaiblir partout, même si les investissements dans la haute technologie donnent l'illusion d'une armée avec un temps d'avance. "On étale la confiture sur la tartine parce qu'on n'a pas assez de confiture", schématise l'ingénieur militaire Marc Chassillan. Devant les députés, le général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air, a d'ailleurs directement posé la question de la viabilité de cette stratégie : "la question de conduire nos opérations conventionnelles tout en assurant la posture de dissuasion prend un sens nouveau : quand faudra-t-il choisir entre la protection des intérêts vitaux de la nation, l'intégrité de son espace aérien et la poursuite du combat conventionnel ?" 

Face à ces défis, François Cornut-Gentille conteste depuis plusieurs mois le principe du "modèle complet". L'ancien rapporteur spécial des crédits de défense à l'Assemblée nationale appelle à s'interroger sur les besoins des forces françaises, quitte à délaisser certains aspects. "L'important n'est pas d'être complet, mais d'être puissant, avec les bonnes technologies au bon moment", soutient-il. Pour appuyer son analyse, l'ancien député cite le choix français de privilégier les équipements de haute technologie en nombre limité, depuis une quinzaine d'années. Une décision en partie dictée par l'impératif de produire peu, qui a amené à rater totalement le virage des drones, selon lui, pour privilégier des avions surpuissants mais moins faciles d'utilisation. "Nous avons pris vingt ans de retard sur les drones car cette technologie n'apparaissait pas assez impressionnante aux yeux des militaires et des industriels", confie-t-il. A ce sujet, le colonel Michel Goya, qui évoque un "scandale français", note avec dépit que la France produit aujourd'hui "moins de drones que la Turquie". Alors même que l'armée de terre a cité l'acquisition de ces engins comme une des priorités du moment et que, justement, les modèles turcs ont prouvé leur efficacité en Ukraine. 

Pour recentrer nos forces, le sénateur LR Cédric Perrin, auteur d'un rapport parlementaire sur l'équipement des forces, plaide quant à lui pour la fin des opérations extérieures, du type de celles qui ont été menées en Centrafrique ou au Mali ces dix dernières années. "Nous avons pris beaucoup de retard en construisant un modèle d'armée expéditionnaire, ayant vocation à aller sur des terrains permissifs", estime l'élu. Pour autant, le modèle complet continue d'assurer à la France un certain lustre dans le monde militaire. Interrogé par L'Express, Robert O'Brien, l'ex-conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche sous Donald Trump, place ainsi spontanément l'armée française dans le peloton des meilleures de la planète, en raison de sa capacité à se projeter : "l'armée française est très performante notamment en raison de sa nature expéditionnaire. Elle est l'une des forces d'élite dans le monde." 

Pour autant, cet éloge s'accompagne de réserves. Le haut fonctionnaire américain regrette en particulier les limites de nos capacités d'action, qui empêchent les Etats-Unis de s'appuyer davantage sur les forces françaises. "Dans le cadre de la nouvelle ère de compétition entre grandes puissances, la France doit augmenter ses investissements dans l'armée de terre pour maintenir les effectifs actuels et, aussi, améliorer sa capacité à déployer des troupes et du matériel sur de longues distances. Elle doit améliorer son ISR [Intelligence, surveillance, reconnaissance ; c'est-à-dire ses ressources en drones, avions radar et satellites pour collecter des données, NDLR] et ses capacités de tirs transhorizon [ses réserves en missiles longue portée, NDLR]", plaide Robert O'Brien. 

Il faut dire que les chiffres ne peuvent que donner raison au responsable américain. En 1991, l'armée de terre comptait par exemple 1 349 chars de bataille, contre 222 en 2021. Et les projections tablent sur à peine 200 exemplaires en 2030. Idem pour les avions de combat : de 686 en 1991, la flotte a chuté à 254 unités en 2021. Forcément, les troupes ont pris la même pente glissante et les effectifs militaires ont fondu à 203 000 soldats tous corps d'armée confondus, alors qu'ils étaient 453 000 au moment de la chute de l'URSS. "Nous avons rogné toutes les marges de manoeuvre. Pendant trop longtemps, notre capacité a été dirigée par l'efficience avec comme plus petit dénominateur commun de dire : "il faut maintenir la ligne de production au minimum"", a regretté le vice-amiral d'escadre Nicolas Vaujour, devant un parterre de généraux et de chefs d'entreprise réunis au Medef, le 27 juin. 

LIRE AUSSI >> La guerre en Ukraine, tournant majeur pour la défense française

Lors de la même soirée, Patricia Mirallès, députée LREM de l'Hérault, devenue depuis secrétaire d'Etat aux Anciens combattants, a au contraire vanté les atouts des forces tricolores : "nos matériels sont enviés par les autres nations. L'excellence française est indéniable." Une conception des rapports de force aujourd'hui remise en cause par les menées russes, à en croire Michel Goya. Le colonel de réserve estime que "la guerre en Ukraine réhabilite la masse (...). Les Russes utilisent du matériel qui a 40 à 50 ans, avec énormément de stocks et de munitions. Et ils tiennent". Or les stocks constituent justement un des points faibles de l'armée française. "Dans un conflit de haute intensité, avec un taux d'attrition [les avions accidentés après un vol, NDLR] proche de celui des Malouines en 1982 (8%), l'armée de l'air n'aurait plus d'avions en dix jours et vraisemblablement plus de missiles au bout de deux jours", indiquait l'ancien commandant des forces aériennes stratégiques, le général Bruno Maigret, dans un rapport parlementaire publié le 17 février dernier, quelques jours avant le début de la guerre en Ukraine.  

"Nous sommes parvenus à un point de désarmement"

Concernant les livraisons d'armes, les chiffres parlent encore d'eux-mêmes. Dix-huit canons Caesar ont été envoyés en Ukraine depuis le début du conflit, sur les soixante-seize pièces dont dispose l'armée française, ce qui a obligé le ministère à en commander de nouveaux à Nexter, livrés... D'ici 2024, au mieux. Christian Cambon, le président LR de la commission de la Défense au Sénat, en est resté consterné. "Il faut mesurer à quel invraisemblable point de désarmement nous en sommes parvenus aujourd'hui : lorsque nous cédons des Rafale à un pays allié ou lorsque nous envoyons des canons Caesar en Ukraine, il faut deux ou trois ans pour pouvoir les remplacer", déplore ce fin observateur des troupes tricolores. 

LIRE AUSSI >> "Tout le monde veut les essayer" : l'armée française commence à adopter les robots-chiens

Des délais problématiques, convient le général Dominique Trinquand, qui ne pourront être écourtés à budget constant selon lui : "bien sûr, il faut réduire les délais. Mais pour cela, les entreprises ont besoin de financement." Militaires et politiques auront bientôt l'occasion d'en débattre. Si la loi de programmation militaire (2019-2025) adoptée lors du premier quinquennat a sanctuarisé 295 milliards d'euros de crédit, elle n'a pas vraiment permis de rebooster les corps militaires. "Cette LPM a tout juste stoppé le vieillissement", déplore un général. C'est pourquoi tous les regards des gradés sont tournés vers le prochain volet 2024-2030, qui devrait être soumis au Parlement début 2023. 

Dans cette optique, Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, a semblé s'interroger sur la bonne stratégie à embrasser dans les années à venir. "On peut se demander si un équipement à la pointe technologiquement, mais en faible quantité, est préférable à des matériels nombreux, plus rustiques mais indispensables", a-t-il déclaré devant les députés, le 7 juillet. D'ailleurs, encore faut-il que les matériels soient en état d'usage. Arthur*, militaire dans un régiment d'infanterie de marine pendant quatre ans, a subi une mésaventure avec son arme au Mali, en 2019. "J'étais en mission, à bord d'un VBL - un véhicule blindé léger - et je maniais une grosse mitrailleuse", raconte ce trentenaire. Un jour, pendant une mission de reconnaissance, l'engin lui fait défaut. Elle se bloque sans raison. "Vous imaginez rester là, en plein combat, avec un véhicule dont l'arme ne veut plus fonctionner ? Cela faisait des jours que nous l'avions signalé !", s'étrangle le soldat. Assisté par ses collègues, Arthur s'en est sorti sain et sauf. Ce jour-là...."

 

Enfin cet articles mélange beaucoup, ce n'est pas par ce que nous ne produisons pas assez de drones que cela a un rapport avec le Rafale.

Que la grosse mitrailleuse lui a fait défaut, ça n'a rien avoir avec le choix d'armes ultra modernes en petites quantités.

Si la dissuasion ne sert à rien, on la vire et on met les €€ dans des hommes en plus, équipés d'équipements tel que ceux que nous avions dans les années 70

légèrement modernisés.

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il y a 53 minutes, gargouille a dit :

C'est sur que les russes nous auraient attaqué en 2023 après leur victoire sur leur province sécessionniste ukrainienne !

Nan ! Mais quand on voit le discours agressif du Kremlin au tout début de la guerre sur la Finlande la Suède ou les pays baltes, si l'Ukraine s'était effondré en qq jours, on serait actuellement en train de ressortir tout notre vieux matos de la naphtaline pour aller renforcer la défense des états baltes. :dry:

Et qu'auraient décidé de faire les chinois si tout avait été trop facile avec senile Man qui geint au lieu de réagir vraiment ? et ensuite ?

Modifié par BPCs
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Le 21/08/2022 à 12:50, BPCs a dit :

Nan ! Mais quand on voit le discours agressif du Kremlin au tout début de la guerre sur la Finlande la Suède ou les pays baltes, si l'Ukraine s'était effondré en qq jours, on serait actuellement en train de ressortir tout notre vieux matos de la naphtaline pour aller renforcer la défense des états baltes. :dry:

Et qu'auraient décidé de faire les chinois si tout avait été trop facile avec senile Man qui geint au lieu de réagir vraiment ? et ensuite ?

La place de la France dans le monde n'est plus celle de la fin du 19éme siècle.

On est un petit pays, une démocratie.

Que l'on renforce nos défenses, notre dissuasion nucléaire (par ex avec un soum de plus), oui.

Mais pas pour faire la guerre seul contre la Russie et/ou contre la Chine.

Que l'on garde la possibilité de faire seul un "petit conflit", oui, le reste ce sera fait en coalition.

Alors les 1000 chars, les 500 Rafale, les 500 canons de 155, les 25 millions d'obus de 155, les 25 frégates, les 20 SNA, les 10 SNLE... .

 

Que l'on soit incapable de fournir (gratuitement) à l'Ukraine 100 canons de 155, 100 AMX 30 avec armes et bagages, bin tu vois je ne trouve pas cela choquant.

Modifié par gargouille
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Il y a 4 heures, gargouille a dit :

le reste ce sera fait en coalition.

Alors les 1000 chars, les 500 Rafale, les 500 canons de 155, les 25 millions d'obus de 155, les 25 frégates, les 20 SNA, les 10 SNLE... .

 

Que l'on soit incapable de fournir (gratuitement) à l'Ukraine 100 canons de 155, 100 AMX 30 avec armes et bagages, bin tu vois je ne trouve pas cela choquant.

Tu te donnes la réponse toi-même dans la suite de ton post. :biggrin:

 

Même si on avait tous décidé d'agir en coalition, c'est pas nos 200 XL ou les Leo des Teutons qui auraient fait nombre.

Ah et  heureusement aussi que Uncle Donald n'avait pas non plus été réélu, car vu son désengagement Otanien...

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Le 22/08/2022 à 15:27, gargouille a dit :

Que l'on garde la possibilité de faire seul un "petit conflit", oui, le reste ce sera fait en coalition.

Le problème, c'est que si on critique notre armée, on ne peut pas vraiment faire confiance à nos alliés (hors USA) pour nous renforcer.

Une coalition de l'UE risque d'être incapable de doubler la puissance militaire de la France seule. Donc à moins qu'on ne parle d'une coalition américaine (ou chinoise), notre coalition militaire risque de représenter une puissance militaire très proche de la notre.

 

Le bon côté, c'est que le camps d'en face est encore  moins bien préparé que nous ...

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Il y a 3 heures, ARPA a dit :

Le problème, c'est que si on critique notre armée, on ne peut pas vraiment faire confiance à nos alliés (hors USA) pour nous renforcer.

Une coalition de l'UE risque d'être incapable de doubler la puissance militaire de la France seule. Donc à moins qu'on ne parle d'une coalition américaine (ou chinoise), notre coalition militaire risque de représenter une puissance militaire très proche de la notre.

 

Le bon côté, c'est que le camps d'en face est encore  moins bien préparé que nous ...

Justement, je vois les USA (et l'OTAN) dans la coalition pour ce qui concerne une grande guerre en Europe.

On n'a pas fait le Mali seul, on a été aidé en autre par les USA.

Modifié par gargouille
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  • 2 weeks later...

Quel torrent de bonnes intentions pour nos armées... après tant d'années de disette et de maltraitance. C'est beau à voir... Bon par contre, avec des poches vides et des marges de manœuvre quasi inexistante, va falloir faire des choix... C'est là qu'on les attends. Intéressant à suivre. 

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Cette dernière LPM remet les Armées sur la bonne voie. Le gouvernement a bien fait le job pour arrêter l'hémorragie (ponction de 56 mds sur les 3 LPM précédentes). Reste qu'il y a de quoi faire et le lancement du SNLE3G/M51-3/TNO/ASN4G (coût global ~50 mds) couplé aux changements géostratégiques ont imposé une réaction. Malheureusement le mal a été fait et l'inertie des manques de moyens s'est encore fait sentir (AAE: 5 ans sans livraison Rafale, flotte log anémique,... , MN: flotte réduite, peu armée, ..., AdT: à peine 200 chars, VTT âgés et peu protégés, artillerie réduite,...) avec pour l'ensemble des armées, un stock de munitions extrêmement réduit. 

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https://www.ouest-france.fr/politique/defense/l-armee-francaise-veut-plus-d-armes-plus-vite-et-a-moins-cher-ff1dd478-2f40-11ed-bd84-c332a9af669a

Le rapport sur les besoins pour pouvoir adapter l'armée française au défi de la haute intensité donne un chiffre de 3 à 6 mds supplémentaires aux 44 mds prévus dans la LPM pour l'année 2023.

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il y a 36 minutes, Ronfly a dit :

https://www.ouest-france.fr/politique/defense/l-armee-francaise-veut-plus-d-armes-plus-vite-et-a-moins-cher-ff1dd478-2f40-11ed-bd84-c332a9af669a

Le rapport sur les besoins pour pouvoir adapter l'armée française au défi de la haute intensité donne un chiffre de 3 à 6 mds supplémentaires aux 44 mds prévus dans la LPM pour l'année 2023.

L’armée française veut plus d’armes, plus vite et à moins cher

Industriels de défense et militaires français se sont engagés mercredi à s’adapter à l’« économie de guerre » dans laquelle est entrée la France avec le conflit en Ukraine.

Des blindés français au Sahel. Le parc est en train d’être modernisé mais il manque la masse pour tenir dans le cadre d’un conflit de haute intensité. | PHILIPPE CHAPLEAU

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Ouest-FrancePhilippe CHAPLEAU.Publié le 08/09/2022 à 09h18

Emmanuel Macron lors de l’inauguration du salon Eurosatory, à Villepinte, le 13 juin dernier, avait déclaré que la France est « entrée dans une économie de guerre » . Au-delà du recours souvent abusif au mot guerre par le Président, il est clair que la situation nationale actuelle n’a rien à voir avec ce qu’ont connu les Français des années 1940. Ni rationnement ni réquisition. Et on est encore loin d’une économie qui se restructurerait drastiquement pour soutenir l’effort de guerre.

Une armée à remettre en ordre de bataille

Pourtant, il y a bien une vraie urgence à remettre en ordre de bataille une armée française qui a un peu de tout, selon l’aveu du ministre des Armées, Sébastien Lecornu, à l’issue du premier séminaire sur l’économie de guerre qui s’est tenu mercredi à Balard.

Un peu de tout mais suffisamment de rien… D’où les questions auxquelles il faut répondre dès maintenant.

Comment produire plus d’équipements militaires, plus vite, et moins cher, de façon à ce que les armées françaises soient autonomes ?

Pour répondre à ces questions, ou en tout cas faire réfléchir les équipementiers de défense, la DGA, les états-majors, le SGDSN…, le ministre des Armées a réuni, mercredi, les représentants de ces acteurs clé du monde de la Défense afin d’échanger sur cette fameuse économie de guerre et les moyens pour l’optimiser.

Le premier séminaire sera suivi d’un second dès octobre. | MINARM

Sébastien Lecornu a bien rappelé que la France n’est pas en guerre mais qu’il faut se préparer à trois cas de figure auxquels le pays peut être confronté : D’abord un état de compétition et de concurrence ; puis un état de contestation de l’ordre établi, des équilibres, voire des frontières, et c’est là où nous nous situons ; enfin un état de confrontation Mais ce n’est pas le jour où la France sera à ce dernier stade qu’il faudra découvrir l’impréparation des armées, la faiblesse des stocks et le principe de l’attrition élevée qui caractérise le combat de haute intensité.

D’où cette réunion de travail, qui sera suivie par une autre en octobre. Ce premier séminaire avait pour objectif de lancer la mise en œuvre d’un plan d’action concret pour accroître la capacité et vitesse de production ainsi que pour diminuer les délais de livraison d’armements. Exemples : il faudra produire des obus de 155 mm en 3 mois au lieu de 9, construire des canons Caesar en 12 mois au lieu de 30, ces deux produits figurant dans le top 10 des armes prioritaires selon le ministre qui a aussi cité les moyens sol-air, parent pauvre de la défense antiaérienne française…

Moins de délais

Le ministre des Armées a donc exhorté les participants à prendre des engagements.

Aux militaires, il a demandé d’avoir des expressions de besoins plus rustiques et plus simples et simplifier les procédures administratives, une exigence dont Emmanuel Chiva, le nouveau directeur général de l’armement, a bien pris note.

Aux industriels, Sébastien Lecornu a demandé de s’assurer que les matières premières pour produire des armes et des munitions sont disponibles, donc en stock suffisant, de s’assurer que les outils industriels sont prêts à produire rapidement et de façon soutenue, d’où un agenda de relocalisations industrielles. Il leur a aussi demandé de préserver les savoir-faire avec une main-d’œuvre qui fasse vivre le savoir-faire français.

Tout cela aura un coût. Le député (LR) Jean-Louis Thiériot, auteur en février d’un rapport sur la haute intensité, évalue entre 3 et 6 milliards d’euros, en plus des 3 milliards déjà budgétés dans la Loi de programmation militaire, les besoins pour reconstituer les seuls stocks de munitions.

à l’instant, herciv a dit :

Aux industriels, Sébastien Lecornu a demandé de s’assurer que les matières premières pour produire des armes et des munitions sont disponibles, donc en stock suffisant, de s’assurer que les outils industriels sont prêts à produire rapidement et de façon soutenue, d’où un agenda de relocalisations industrielles. Il leur a aussi demandé de préserver les savoir-faire avec une main-d’œuvre qui fasse vivre le savoir-faire français.

Ca veut dire autosuffisant ?

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