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oui en gros style palestine 1948 où tchétchénie plus récemment , effectivement..... mais peu probable que la communauté internationale regarde sans intervenir à un moment où un autre.

Ben après faut voir les conséquences d'un tel comportement aussi bien au niveau international qu'au niveau interrieur. Sans compter les conséquences sur le terrain en entretenant la haine anti-israélienne. Mais techniquement c'est faisable. C'est d'ailleur l'avantage pour des mouvements comme le Hezbhola qui n'ont rien à perdre et peuvent donc faire ce qu'ils veulent.
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Le Hezbollah entre allégeances ambiguës et réalités libanaises

Par Michel HAJJI GEORGIOU et Michel TOUMA

A la lumière du conflit qui a secoué le Liban à la suite de l’opération du 12 juillet, un vaste débat est plus que jamais nécessaire au sujet de l’avenir politique du Hezbollah et la nature de ses rapports futurs avec les autres composantes du tissu social libanais. D’ores et déjà, certaines questions sont sur toutes les lèvres. Les décisions politiques du Hezbollah sont-elles oui ou non, et dans quelle mesure, tributaires de la Raison d’Etat iranienne ? Le Hezbollah est-il motivé par des considérations strictement communautaires qui dépassent le cadre du Liban et qui s’inscrivent dans un schéma régional plus large ? Comment expliquer la rapide montée en puissance de cette formation chiite ? Dans une série d’articles, Michel Hajji Georgiou et Michel Touma analysent les différents facteurs historiques, sociologiques, doctrinaux et politiques qui constituent l’ossature et les fondements du Hezbollah. Le premier article expose le lent processus historique et socio-politique qui a pavé la voie à la naissance du parti, au début des années 80. Le deuxième article aborde les circonstances qui ont marqué la création du Hezbollah ainsi que les racines et les grandes lignes directrices qui sont à la base de son action politique. Enfin, les questions sociologiques et doctrinales, sous l’angle de la philosophie politique, sont analysées dans une dernière partie. Ces articles sont tirés d’une étude complète sur le sujet publié par les auteurs dans le numéro 77 de la revue Travaux et Jours de l’Université Saint Joseph.

I - L’émergence du Hezbollah, aboutissement d’un lent processus de maturation socio-politique

L’émergence du Hezbollah sur la scène politique libanaise au début des années 80 est en quelque sorte le couronnement d’une longue maturation de l’affirmation de la présence et de l’identité des chiites en tant que communauté socio-politique sur l’échiquier local. Afin de cerner les conditions objectives qui ont pavé progressivement la voie à la rapide implantation du Hezbollah dans le pays, il serait d’abord utile de se livrer à un rapide survol de la situation peu enviable à laquelle cette communauté a été confrontée à travers l’Histoire contemporaine du Liban.

Sous l’empire ottoman, les droits des chiites n’étaient pas reconnus, comme le démontre la formation au XIX ème siècle, conformément au règlement dit de Chékib Effendi, d’un Conseil consultatif dans chacun des deux Caïmacamats créés au Mont-Liban au milieu du siècle. A la suite du déclenchement, en 1845, de troubles confessionnels dans la montagne, les grandes puissances de l’époque engagèrent des pourparlers avec les autorités ottomanes afin de mettre un terme aux affrontements. Du fait de ces démarches internationales, le ministre turc des Affaires étrangères, Chékib Effendi, décida de créer au sein de chacun des deux caïmacamats de la montagne un Conseil mixte regroupant – à raison d’un délégué par communauté – des juges représentant les maronites, les grecs-catholiques, les grecs-othodoxes, les sunnites et les druzes. Le juge sunnite était ainsi chargé de représenter en même temps les chiites .

Cette discrimination se poursuivra jusqu’à la chute de l’empire ottoman et il faudra attendre pratiquement jusqu’en 1926 pour que l’existence de la communauté chiite, en tant qu’entité, soit officiellement reconnue . Cette reconnaissance est dans une certaine mesure l’une des conséquences de la proclamation du Grand Liban, en 1920. Mais parallèlement à cette retombée à caractère politique, le rattachement de régions périphériques au Petit Liban (formé essentiellement de la montagne) aura aussi des effets considérables sur la structure socio-économique de la nouvelle entité du Grand Liban.

En raison de la large autonomie dont il bénéficiait dans le cadre de l’empire ottoman, le Petit Liban avait connu au fil des années un développement substantiel tant au niveau de l’infrastructure de base que sur le double plan culturel et pédagogique. La prolifération d’écoles privées relevant des missions religieuses étrangères ainsi que la fondation de deux grands établissements universitaires occidentaux (l’Université Saint-Joseph et l’université américaine), de même que l’ouverture, d’une manière générale, sur la culture occidentale ont fait du Petit Liban un phare pédagogique et culturel privilégié dans la région. Dans le même temps, les infrastructures de base se sont sensiblement développées, non seulement au Mont Liban, mais également à Beyrouth qui s’est peu à peu imposée de facto comme la capitale de l’entité libanaise restreinte. Le Petit Liban, et avec lui Beyrouth, ont bénéficié du développement du réseau routier, du port, de la voie ferroviaire reliant le littoral à Damas, en passant par la montagne, sans compter l’infrastructure hospitalière et médicale en pleine expansion, l’extension des moyens de transport public et, surtout, la création d’un grand nombre d’entreprises commerciales et industrielles, notamment à Beyrouth .

Le rattachement, en 1920, des villes de Tripoli et Saïda et des régions du Sud, de la Békaa et du Nord au Petit Liban a donné naissance à une entité caractérisée, globalement, par un profond clivage – sur le plan des niveaux de vie culturels, pédagogiques et socio-économiques – entre le « centre » (Beyrouth et la montagne, en l’occurrence le Petit Liban) et la « périphérie » (les régions nouvellement rattachées au Petit Liban, qui dépendaient directement de « l’hinterland » ottoman et qui n’avaient donc pas bénéficié de l’essor enregistré au Mont Liban du fait de l’autonomie dont jouissait cette région) . Ce fossé socio-économique s’est maintenu longtemps après l’indépendance de 1943. Il a constitué les germes de la situation sociale peu enviable dans laquelle a été maintenue la communauté chiite qui représentait pratiquement le gros de la population des régions périphériques défavorisées rattachées au Petit Liban.

Le caractère essentiellement maronito-sunnite du Pacte national de 1943 et du partage de pouvoir instauré après l’Indépendance a contribué à ajouter un aspect politique à la marginalisation socio-économique des chiites, d’autant que la classe politique chiite de la période post-indépendance était formée principalement de leaders féodaux traditionnels qui se sont avérés être déconnectés, dans une large mesure, des réalités populaires de leur communauté. Si bien que le pouvoir central n’avait aucun scrupule à négliger, en termes de politique de développement global (dans les différents domaines), les régions périphériques (principalement chiites).

Intertitre – L’action des ulémas et de Moussa Sadr

La situation de la population chiite s’est davantage dégradée à la fin des années 60 et au début des années 70 avec l’implantation des organisations armées palestiniennes au Liban-Sud, la recrudescence des opérations menées par les Fedayine contre Israël à partir du Arkoub, et les représailles israéliennes qui visaient la région méridionale, donc des zones à forte densité populaire chiite. Il en a résulté un mouvement d’exode progressif, mais soutenu, de ces populations en direction des banlieues de la capitale. Ces sudistes forcés à l’exode sont venus grossir ainsi les rangs d’un sous-prolétariat chiite qui constituait déjà autour de la capitale une « ceinture de misère ».

C’est dans un tel contexte potentiellement explosif qu’ont débarqué à Beyrouth dans le courant des années 60 un certain nombre d’ulémas chiites qui venaient d’achever leur formation religieuse à Qom ou à Najaf. Trois d’entre eux, l’Imam Moussa Sadr, cheikh Mohammed Mehdi Chamseddine et cheikh Mohammed Hussein Fadlallah, se sont rapidement distingués par leur charisme, leur vaste culture religieuse et leur vision claire de la voie qui devrait être suivie pour sortir les chiites de leur situation de population déshéritée. Tout en adoptant, au départ, un profil bas, ils ont multiplié les conférences, les rencontres et les débats au sein des clubs, des lieux de culte et des associations sociales, chacun dans une zone à forte implantation chiite .

L’Imam Moussa Sadr s’est avéré être, sans tarder, le plus politisé des ulémas. Mettant parfaitement à profit un charisme peu commun, il sillonnait le pays et multipliait les conférences. Vers la fin des années 60, il s’était déjà imposé comme un pôle d’influence politico-communautaire dont l’étoile ne cessait de monter. En 1967, il réussit à obtenir du pouvoir central la formation du Conseil supérieur chiite, dotant ainsi la communauté d’une institution censée affirmer l’identité et la présence socio-politique des chiites.

Mal perçu par les politiciens traditionnels, qui voyaient en cette instance une sérieuse menace pour eux, le CSC a vu son rôle réduit à un simple regroupement de notabilités et de responsables qui tentaient tant bien que mal d’accorder leurs violons au sujet des questions politiques et nationales qui étaient au centre de l’actualité. Moussa Sadr s’est alors attelé à la création d’un mouvement populaire, le « Mouvement des déshérités », ayant pour mission de répondre aux aspirations politiques et sociales de la communauté chiite, notamment sur le plan de la lutte contre le sous-développement socio-économique dans lequel se débattaient les régions chiites au Liban-Sud, dans la Békaa et dans les banlieues de Beyrouth. L’un des objectifs sous-jacents de ce mouvement était aussi de soustraire les milieux populaires chiites à l’influence grandissante des partis arabisants ou de gauche et des organisations palestiniennes armées, mais aussi de créer un substitut aux leaders féodaux traditionnels qui maintenaient la communauté dans un état de léthargie chronique.

Définissant la ligne directrice de son action, Moussa Sadr prononce le 18 février 1974 un discours qui sera considéré par certains comme l’acte de naissance du chiisme libanais, sa première expression politique en tant que telle : « Notre nom n’est pas Metwali. Notre nom est ceux du refus (rafezun), ceux de la vengeance, ceux qui se révoltent contre toute tyrannie. Même si nous devons le payer de notre sang, de notre vie … Nous ne voulons plus de beaux sentiments, mais de l’action. Nous sommes las des mots, des états d’âme, des discours … J’ai fait plus de discours que quiconque. Et je suis celui qui a le plus appelé au calme. J’ai assez lancé d’appels au calme. A partir d’aujourd’hui, je ne me tairai plus. Si vous restez inertes, moi non … »

Le « Mouvement des déshérités » a constitué ainsi la première structure socio-politique dont avaient pu se doter les chiites du pays, depuis l’époque de l’empire ottoman. Face à l’implantation des organisations palestiniennes armées dans le Arkoub et sous l’effet de l’escalade militaire qui s’en est suivie, l’Imam Sadr a créé secrètement, au début des années 70, une milice armée, le mouvement « Amal », encadrée et entraînée, par le Fateh. L’existence de cette milice – devenue la nouvelle façade du « Mouvement des déshérités » – a éclaté au grand jour en 1974 à la suite d’une explosion meurtrière survenue lors d’un entraînement militaire organisé dans la Békaa. L’apparition du mouvement Amal sous l’impulsion de Moussa Sadr a permis ainsi de canaliser au sein d’une structure communautaire le sous-prolétariat chiite qui, en l’absence d’une telle structure, avait été attiré et phagocyté par des partis laïcisants ou de gauche, tels que le Parti communiste, l’Organisation de l’action communiste (OACL) ou le Baas.

Cette action politique et militaire menée par l’Imam Sadr ainsi que l’ensemble de la situation politico-socio-économique désastreuse dans laquelle se débattaient les chiites depuis de nombreuses années – et dont les racines remontaient à 1920 – ont constitué le terreau qui favorisera l’émergence et le rapide renforcement du Hezbollah dans le courant des années 80. Pour certains observateurs, la culture politique que Moussa Sadr a contribué à enraciner, et qu’il a puisée dans les valeurs du chiisme, ainsi que l’éveil communautaire qu’il a suscité ont frayé la voie à la création du Hezbollah .

II - La naissance du Hezbollah et les racines de son action politique

L’émergence du Hezbollah sur la scène libanaise au début des années 80 est incontestablement le fruit de la mise en place de la République islamique en Iran. L’opération israélienne « Paix en Galilée », en 1982, a constitué dans ce cadre un catalyseur à la création du parti intégriste chiite. Après avoir exposé le lent processus historique et socio-politique qui a pavé la voie à l’implantation du Hezbollah au Liban, Michel Hajji Georgiou et Michel Touma abordent, dans un deuxième article, le contexte qui a accompagné la naissance et la diffusion du parti chiite au Liban, évoquant en outre l’importance du culte du martyr chez le Hezbollah, et les chiites en général, ainsi que les grandes orientations politiques de la formation intégriste.

Ces articles sont tirés d’une étude publiée par les auteurs dans le numéro 77 de la revue Travaux et Jours de l’Université Saint-Joseph.

L’instauration de la République islamique en Iran, en février 1979, et la politique d’exportation de la Révolution pratiquée au début par le nouveau pouvoir ont été, à l’évidence, le principal catalyseur du développement de la mouvance intégriste chiite dans le pays. Lorsque l’Ayatollah Khomeiny prit les commandes à Téhéran, des groupuscules islamistes chiites étaient déjà actifs au Liban, mais à une échelle réduite. Il s’agissait essentiellement du Rassemblement des ulémas de la Békaa, des « comités islamiques », et de la branche libanaise du parti chiite irakien « Al-Daawa » (dont cheikh Mohammed Hussein Fadlallah se faisait le porte-étendard au Liban).

Cette nébuleuse s’est maintenue jusqu’à l’opération israélienne « Paix en Galilée », en juin 1982. La rapide percée des troupes de « Tsahal » jusqu’aux portes de Beyrouth a incité ces groupuscules chiites à mener des opérations ponctuelles de résistance. Les rangs de cette mouvance intégriste ont été renforcés durant ce mois de juin par l’apparition d’une dissidence au sein du mouvement « Amal », dirigé par Nabih Berry depuis la disparition de Moussa Sadr en Libye, en août 1978. A la suite de la décision de Nabih Berry de faire partie du « Comité de salut » formé en juin 1982 par le président Elias Sarkis (et regroupant le chef du gouvernement, Chafic Wazzan, ainsi que Béchir Gemayel et Walid Joumblatt), plusieurs responsables et cadres mèneront une dissidence en créant le mouvement « Amal islamique ».

Face à l’ampleur de l’offensive israélienne, les responsables des différents groupuscules en question ont pris conscience de la nécessité de mettre sur pied une structure partisane bien organisée dont les fondements et la stratégie d’action seraient basés sur les trois axes suivants :

- L’Islam constitue la ligne de conduite globale en vue d’une vie meilleure. Il représente le fondement idéologique, pratique, de la pensée et de la foi sur lequel devrait être bâtie la nouvelle formation politique.

- La résistance contre l’occupation israélienne est une priorité. Il est par conséquent nécessaire de créer une structure adéquate pour le « Jihad » et de mobiliser toutes les potentialités nécessaires sur ce plan.

- Le commandement revient au Guide suprême (à l’époque l’Ayatollah Khomeiny), en tant qu’héritier du Prophète et des imams. C’est à lui que revient la charge de définir les grandes lignes de l’action au sein de la Nation (islamique), et ses décisions sont contraignantes .

A la lumière de ces trois principes fondamentaux, les responsables des groupuscules chiites multiplieront les réunions et les débats internes afin de jeter les bases de la nouvelle formation politique en gestation. Ces débats déboucheront sur l’élaboration d’un document politique fondateur. Un comité de neuf – trois représentants du « rassemblement des ulémas de la Békaa », trois des « comités islamiques » et trois du mouvement « Amal islamique » – sera chargé de soumettre ce document au Guide suprême. Après avoir obtenu l’aval de l’Ayatollah Khomeyni, les différents groupuscules concernés se sont auto dissout pour former un seul parti fédérateur qui prendra pour nom le Hezbollah . Ce processus de fusion a donc été lancé dans le courant de l’été 1982 mais ce n’est qu’à la fin de l’année 1983 que le Hezbollah verra formellement le jour. Le processus ne viendra à maturation qu’au début de 1985 lorsque le Hezbollah dévoilera son premier programme politique.

Rapidement, la nouvelle formation bénéficiera de l’appui politique, logistique et militaire de l’Iran par le biais, notamment, de l’envoi, via la Syrie, de cadres et d’experts des « Gardiens de la Révolution » qui mettront sur pied des camps d’entraînement militaire dans la Békaa afin de former les militants du Hezbollah.

Intertitre – Le culte du martyr

Dans un premier temps, entre 1982 et 1985, la mouvance intégriste accordera la priorité absolue aux opérations de résistance contre « Tsahal ». En dépit du profond déséquilibre des forces en présence, les combattants chiites ont rapidement réussi à porter des coups durs à l’armée israélienne. Ces réussites ponctuelles contre le géant israélien s’expliquent essentiellement par l’importance que revêt la notion de martyr dans l’inconscient chiite.

Le martyr de l’Imam Hussein lors de la bataille de Kerbala (680) constitue pour les chiites croyants un mythe, un exemple à suivre au niveau de chaque individu. Le jeune chiite reçoit, dès son jeune âge, une éducation basée sur l’idéal du martyr. Le « numéro deux » du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, souligne à ce propos, dans son livre sur le parti, que « si les gens reçoivent une éducation fondée uniquement sur la recherche de la victoire, qui devient ainsi à la base de leur action, leur lutte contre l’ennemi s’estompera s’ils réalisent que la victoire est lointaine ou incertaine ». « Par contre, précise-t-il, si les gens reçoivent une éducation fondée sur le martyr, leur don de soi a pour effet d’accroître au maximum l’efficacité de leur action. S’ils tombent martyr, ils auront réalisé leurs vœux. S’ils réalisent une victoire, ils auront obtenu une vive satisfaction au cours de leur vie ici-bas. L’éducation basée sur la notion de victoire ne garantit pas la victoire et inhibe la force potentielle de la nation. Par contre, inculquer la notion de martyr revient à tirer profit de toutes les potentialités, ce qui permet de réaliser le martyr ou la victoire, ou les deux en même temps. Cela ouvre la voie à toutes les possibilités. Inculquer la notion de victoire implique de miser sur les moyens matériels, mais inculquer la notion de martyr a un effet mobilisateur au niveau du moral (de la population), ce qui implique que des moyens limités deviennent nécessaires » pour mener la lutte .

Tomber martyr au service des préceptes de Dieu devient ainsi un honneur suprême pour tout jeune chiite. Et l’objectif sur ce plan n’est pas tant de remporter une victoire militaire directe et immédiate mais plutôt d’avoir eu le privilège d’être martyr, de s’être sacrifié par amour du Tout Puissant, d’autant que la vie dans l’au-delà promet le bonheur éternel. Rester attaché à la vie d’ici-bas, motivée par les contingences matérielles, est donc insignifiant devant l’honneur que représente le martyr au service de Dieu.

C’est cette profonde divergence au niveau de la valeur accordée à la vie terrestre qui fait toute la différence avec l’Occident tant au niveau de la perception du sens de la vie que du comportement dans la gestion de la chose publique. « L’Occident, du fait des fondements de sa pensée, sacralise la vie matérielle et y reste attaché, quel que soit le prix, souligne cheikh Kassem. Il n’est donc pas en mesure d’assimiler le sens du martyr. Il est normal que les Occidentaux ne comprennent pas le sens spirituel de l’orientation de l’Islam car une telle compréhension ne peut se limiter à la seule perception rationnelle. Elle nécessite de côtoyer de près et d’observer les étapes de la vie des moudjahidine ainsi que les réalités de la société islamique en général » .

La résistance menée par les jeunes de la mouvance intégriste chiite avait ainsi pour élément moteur un cadre socio-culturel qui correspond à l’inconscient populaire chiite et qui explique le succès aussi bien de la Résistance que du Hezbollah. Le précédent du Vietnam, en tant que soulèvement populaire contre l’occupant, a constitué sur ce plan un exemple à suivre .

Intertitre – Les grandes orientations politiques

C’est donc sur la base de cette sacralisation de la notion de martyr que les combattants de la mouvance intégriste chiite ont axé leurs opérations, dès 1982, contre les forces israéliennes. La priorité étant accordée à la résistance, l’élaboration du projet politique portant sur le contexte libanais sera relégué au second plan, d’autant que face à l’occupation israélienne d’une large partie du territoire libanais, le Hezbollah adoptera, jusqu’au milieu des années 80, un profil bas. Il ne sortira pratiquement de la clandestinité qu’à la suite du soulèvement du 6 février 1984 mené par les milices du mouvement « Amal » et du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt à Beyrouth-Ouest contre le pouvoir du président Amine Gemayel. Ce soulèvement permettra au Hezbollah d’installer toutes ses institutions et son quartier général dans la banlieue-sud de Beyrouth .

Ce n’est qu’en février 1985 que le Hezbollah rendra public son projet politique sous la forme d’un « Appel aux déshérités ». Ce document définit les grandes orientations du parti, tant sur le plan idéologique et doctrinal qu’au niveau de la conjoncture politique libanaise ou la position à l’égard d’Israël et des Etats-Unis. Les dirigeants actuels du Hezbollah soulignent que ce texte est aujourd’hui dépassé et obsolète du fait qu’il avait été élaboré à la lumière de la conjoncture du moment.

C’est sans doute sur le plan doctrinal et idéologique que le document de 1985 revêt encore un certain intérêt, notamment en ce qui concerne la question de l’établissement d’un Etat islamique. Le texte établit clairement une distinction entre « la position doctrinale et le volet pratique ». Sur le plan du principe, le Hezbollah se déclare favorable à l’établissement d’un Etat islamique mais précise tout de suite que, dans la pratique, la réalisation d’un tel projet doit se faire sur base d’un choix libre de la part de la population et il ne saurait donc être imposé par une quelconque partie.

Cette option est reprise, d’une manière encore plus soutenue, par le directoire actuel du parti qui affirme qu’il n’est nullement dans l’intention du Hezbollah d’établir une République islamique au Liban, même s’il reste attaché à l’Islam comme fondement de son action et de sa pensée. Il soutient que, tenant compte des réalités libanaises, son but est de contribuer à la consolidation d’un pouvoir pluriconfessionnel, garantissant une participation équitable de toutes les communautés à la gestion de la chose publique.

Concrètement, les responsables du parti se prononcent pour le maintien du système politique tel qu’il est actuellement pratiqué, sur la base d’une juste participation de toutes les communautés au pouvoir . D’où la décision prise par le parti en 1992 de participer aux élections législatives, et donc d’accepter d’être partie prenante au système multiconfessionnel libanais, en dépit du fait que sur le plan dogmatique, une telle participation a suscité de sérieuses réserves au niveau de certains cadres dirigeants. Les responsables du Hezbollah précisent à cet égard que leur soutien au principe d’un pouvoir pluriconfessionnel, au détriment du projet de République islamique, est dû à leur volonté de présenter au monde la formule libanaise comme un exemple réussi de convivialité entre diverses communautés, laquelle est l’antithèse du projet sioniste basé sur l’édification d’un Etat au service d’une seule communauté. Il s’agit donc pour le Hezbollah d’opposer à la formule sioniste la formule libanaise fondée sur le pluralisme communautaire, le respect de la diversité et la sauvegarde des libertés. Se montrant pragmatique à ce sujet, le directoire du parti prône une application stricte de l’accord de Taëf, après élaboration d’une nouvelle loi électorale qui maintiendrait les équilibres communautaires actuels .

L’hostilité à l’égard de l’entité israélienne sous-tend, par ailleurs, constamment le discours politique du Hezbollah. Le directoire du parti va même jusqu’à tourner en dérision les appels au pragmatisme pour trouver une solution susceptible de mettre un terme au conflit avec Israël. Et dans ce cadre, les responsables du parti ne cachent pas leur solidarité totale avec la lutte menée par le peule palestinien, sans aller toutefois jusqu’à évoquer explicitement une aide ou un soutien concret à la population de Cisjordanie et Gaza. Tout en affirmant rejeter le terrorisme aveugle, ils refusent de condamner les opérations suicide menées par les Palestiniens.

Quant à la position vis-à-vis de l’Occident, les responsables du Hezbollah se défendent d’avoir une attitude de principe hostile à la civilisation occidentale, affirmant qu’ils s’opposent non pas aux pays occidentaux en tant quel tels, mais plutôt au « comportement colonialiste » de certains Etats occidentaux .

III – Le Hezbollah entre « culture de l’espace » et « culture du territoire »

Le Hezbollah accorde-t-il la priorité dans son action à la « culture du territoire » (par essence nationale) ou plutôt à la « culture de l’espace » (par essence communautaire et régionale, dépassant le cadre national, donc du Liban) ? Dans ce contexte, la doctrine du Hezbollah lui impose de se soumettre pour toutes les décisions à caractère stratégique au « waly el fakih », qui n’est autre que le guide suprême de la Révolution islamique iranienne (présentement l’Imam Khamenei). Dans ce troisième article, Michel HAJJI GEORGIOU et Michel TOUMA analysent ces deux aspects qui dicte la stratégie et la ligne de conduite du parti chiite. Dans les deux précédents articles, ils avaient évoqué le processus historique et socio-politique qui a pavé la voie à l’émergence du Hezbollah au Liban (L’Orient-Le Jour du 29 juillet) ainsi que les circonstances de la naissance de la formation intégriste et les racines de son action politique (L’Orient-Le Jour du 1er août).

La reconnaissance de l’autorité politique et religieuse absolue et supranationale du Guide suprême, le « waly el fakih » (actuellement Khamenei et avant lui Khomeiny) représente l’une des principales caractéristiques (sinon la principale) de la doctrine du Hezbollah. Une compréhension profonde du système de la « wilayat el fakih » constitue un éclairage indispensable pour une bonne perception de la ligne de conduite du Hezbollah à l’égard de dossiers ayant une portée stratégique.

Pour les chiites, le successeur du Prophète dans la gestion des affaires de la nation islamique doit être un Imam descendant de l’Imam Ali, gendre du Prophète. Les chiites Jaafarites – ceux qui habitent le Liban, l’Iran, l’Irak, Bahrein, l’Arabie Saoudite, le Pakistan et l’Afghanistan (donc l’écrasante majorité des chiites) – considèrent que douze Imams ont existé dans l’Histoire, le douzième ayant disparu et étant toujours attendu pour sauver les chiites de l’oppression et la misère. Pour les chiites du Yemen, il n’a existé dans l’Histoire que sept Imams.

Les chiites Jaafarites estiment que dans l’attente du retour du douzième Imam disparu (l’Imam el-Mahdi), la haute main dans la gestion des affaires de la nation islamique et dans la défense de ses intérêts politiques et économiques doit revenir à un guide suprême, au « walih el-fakih ».

Pratiquement, avant l’avènement de Khomeiny, cette notion de « walih el-fakih » n’a jamais pris la portée et l’importance politiques qu’elle a acquises avec la Révolution islamique en Iran en raison du fait qu’à travers l’Histoire, les autorités religieuses chiites de la région n’ont jamais véritablement détenu le pouvoir en tant que communauté religieuse. Depuis l’oppression subie du temps des Omeyyades, au VIII ème siècle, la plupart des chefs religieux, établis à Najaf (en Irak), prônaient en effet la non immixtion des autorités religieuses dans les affaires politiques. Mais au début du XX ème siècle, certains chefs religieux de Najaf se sont prononcés pour une participation active des ulémas à la vie politique. La première école a été essentiellement représentée, de nos jours, par des autorités telles que les ayatollahs Sistani et Khoï, tandis que la seconde école a été représentée principalement par des ulémas des familles Sadr et Hakim.

Avant la venue de l’ayatollah Khomeiny, aucune autorité religieuse n’était donc reconnue par la majorité des chiites comme le guide suprême, le « walih el-fakih ». La Révolution islamique iranienne a représenté sur ce plan un tournant historique, dans toute l’acception du terme. En définissant les bases constitutionnelles de la République islamique, dans son ouvrage « l’orientation de la révolution islamique », l’ayatollah Khomeiny a posé comme principe de pouvoir la fusion entre le religieux et le politique. « En comprenant la conception de la religion dans notre culture islamique, souligne-t-il dans cet ouvrage, il apparaît clairement qu’il n’existe aucune contradiction entre l’autorité religieuse et l’autorité politique. La lutte politique fait partie intégrante de la mission et des devoirs religieux. Le commandement et l’orientation de la lutte politique font partie des responsabilités et de la mission de l’autorité religieuse » . La Constitution de la République islamique a donc été basée sur l’allégeance au « walih el-fakih ».

Cette fusion entre le religieux et le politique comme principe de pouvoir et la mise en place de la République islamique en Iran ont ainsi eu pour effet de donner, pour la première fois dans l’Histoire, et sous l’impulsion de Khomeiny, toute son ampleur à la notion de « walih el-fakih ».

De ce fait, après la victoire de la Révolution islamique iranienne et l’adoption du principe de l’exportation de la révolution, de nombreux ulémas et dignitaires religieux dans la région ont prôné la reconnaissance du commandant suprême de la Révolution islamique comme le « walih el-fakih ». Quelques rares ulémas ont contesté cette allégeance, mais ce n’est qu’avec la disparition de Khomeiny que cette contestation a éclaté au grand jour, certains dignitaires de haut rang refusant de reconnaître dans le successeur de Khomeiny, en l’occurrence Khamenei, le « walih el-fakih ». Cette contestation a été principalement menée par Mountaziri en Iran, Sistani en Irak, et Mohammed Hussein Fadlallah au Liban. Le Hezbollah libanais, par contre, reconnaît le Guide suprême de la Révolution islamique iranienne, actuellement Khamenei, comme le « walih el-fakih » (une telle option de la part du Hezbollah a été facilitée par les relations ancestrales d’ordre religieux qui ont constamment existé entre les chiites libanais, iraniens et irakiens, sans compter les liens familiaux qui ont été tissés avec le temps au niveau des familles Sadr et Hakim, notamment) .

Intertitre – Un recours obligatoire

Le « walih el-fakih » est élu par un corps électoral de 72 membres iraniens, eux-mêmes élus au suffrage universel par la population iranienne. Sur le plan du principe, le « walih el-fakih » ne doit pas être obligatoirement iranien, mais dans la pratique, c’est le guide suprême de la République islamique qui est reconnu par la majorité des chiites comme le « walih » depuis la révolution de février 1979.

Les décisions du « walih el-fakih » sont contraignantes. Son recours et son aval sont obligatoires non seulement pour les questions doctrinaires et religieuses, mais également pour les problèmes politiques fondamentaux ayant une portée stratégique. Dans son livre sur le Hezbollah, cheikh Naïm Kassem souligne que « le walih el-fakih a comme prérogatives de veiller à la bonne application des lois islamiques, de prendre les grandes décisions politiques concernant les intérêts de la nation (la Umma), de décider des options de guerre ou de paix, de même qu’il a la responsabilité de veiller à la sécurité de la population et à ses intérêts financiers et d’assurer la répartition de l’argent récolté par l’autorité religieuse, et il a aussi pour tâche de définir le contour de l’Etat islamique » .

Dans son ouvrage sur « le gouvernement islamique », l’ayatollah Khomeiny souligne qu’il est erroné de penser que les prérogatives du Prophète sont supérieures à celles du « walih el-fakih ». « Les prérogatives que le Tout Puissant a données au Prophète et aux Imams au niveau de la mobilisation des armées, de la désignation des gouverneurs, de la collecte des impôts et de leur redistribution au service des musulmans, Il les a accordées aussi au gouvernement » islamique . Ce qui implique que le « walih el-fakih » a pratiquement la même autorité que celle du Prophète en termes de gestion et d’orientation des affaires de la nation. Et sur ce plan, son autorité dépasse les frontières et s’étend à l’ensemble des croyants chiites. Cheikh Naïm Kassem relève à cet égard que dans le cadre de l’exercice de son pouvoir, le « walih el-fakih » tient constamment compte des réalités et des spécificités de chaque pays ou groupement qui relève de son autorité.

En ce qui concerne le cas précis du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem souligne dans son ouvrage précité que le Hezbollah est « un parti libanais dont tous les cadres, les responsables et les membres sont Libanais ». Le parti reconnaît l’autorité du « walih » pour les grandes questions doctrinales et stratégiques, mais « le suivi des détails, la gestion des problèmes, ainsi que l’action quotidienne sur les plans politique, social et culturel, de même que les détails de la lutte contre l’occupation israélienne, relèvent de la responsabilité du commandement du parti élu par la base, conformément aux statuts internes, lesquels sont basés sur le conseil de la choura présidé par le secrétaire général et qui tire sa légitimité du fakih » .

Concrètement, et à titre d’exemple, lorsqu’il s’est agit pour le Hezbollah de prendre la décision de principe de participer ou non aux élections législatives de 1992, le parti a formé un comité de douze membres qui ont longuement débattu de cette option. La question était de savoir si la participation du Hezbollah au pouvoir était conforme à la doctrine de la foi chiite. L’actuel responsable des Relations internationales du Hezbollah, Nawaf Moussaoui, a développé à ce propos une argumentation dont il ressort que si le parti présente des candidats aux élections, cela ne signifie pas qu’il participe à « un » pouvoir bien déterminé qui exerce son autorité à laquelle le parti doit se soumettre, mais qu’il s’associe, plutôt, à une structure consensuelle de pouvoir à laquelle il contribue au même titre que les autres fractions et composantes nationales .

Par une majorité de dix voix contre deux, le comité en question a fini par adopter une « résolution » recommandant la participation au scrutin. Mais cette résolution a dû être soumise au préalable à l’aval du « walih el-fakih », en l’occurrence, l’Imam Khamenei, qui a donné son accord. Sur ce plan, Nawaf Moussaoui affirme que cette démarche auprès du « walih » ne revêt pas un caractère politique mais a pour but de s’assurer que la décision politique est conforme à la doctrine de la foi. Il reste que la frontière est particulièrement floue entre la nature essentiellement politique de la décision prise par le « walih el-fakih » au sujet d’un problème libanais et son avis sur la conformité avec la doctrine de la foi d’une recommandation adoptée à Beyrouth par le Hezbollah.

En tout état de cause, les écrits du Hezbollah, notamment l’ouvrage de cheikh Kassem, précisent sans aucune équivoque possible que les grandes décisions politiques, notamment les options de guerre ou de paix, sont du seul ressort du « walih el-fakih ».

Intertitre – Espace ou territoire ?

S’il est une question, une problématique qui se dégage d’elle-même, à la lumière du parcours politique du Hezbollah tel que nous avons tenté de le retracer, c’est bien celle de l’appartenance de cette formation à un ensemble déterminé, - que cet ensemble soit de nature territoriale et nationale, ou bien plus vaste, reposant sur des liens qui dépassent le simple cadre territorial, et qui sont plutôt de nature « spatiale ». C’est là chose courante dans le monde islamique, dans la mesure où la référence absolue des croyants est la « oumma », ensemble bien plus vaste que celui du territoire national. Il est effectivement légitime de se poser cette question, éminemment « politologique », compte tenu des conséquences qu’elle entraîne actuellement sur le débat politique – et politicien – à l’échelle nationale, en l’occurrence sur l’opportunité pour le Hezbollah de remettre ses armes à l’Etat (conformément au principe du monopole de la violence légitime) et de renoncer à la poursuite de la Résistance en tant que groupe « extra-étatique » ou « a-étatique », hors du cadre de l’armée.

Le Hezbollah est, à l’origine, comme on l’a vu, un parti islamiste. L’apport iranien – celui des Pasdaran – est consubstantiel à sa formation. Son apparition sur la scène libanaise est directement liée à un facteur qui dépasse le contexte du territoire libanais, celui de la Révolution iranienne. A sa formation, le parti a recruté – et recrute – exclusivement dans les milieux chiites, de préférence islamistes, ce qui en soi ne sort pas particulièrement de l’ordinaire, puisque tous les partis-milices à l’époque de la guerre étaient fondés sur une « açabiyya » communautaire (l’esprit de corps, tel que défini par le sociologue maghrébin du XIVe siècle Ibn Khaldoun), ces milices mobilisant à travers une « da’wa » (prédication) de nature plus ou moins religieuse.

Tout tend à prouver, à première vue, que le Hezbollah évolue donc, à ses débuts, comme une communauté politique peu sensible à toute culture territoriale, voire même qui se développe en marge de cette culture, privilégiant une culture de l’espace. La base de cette culture non-territorialisée tiendrait du fait historique selon lequel la communauté chiite a toujours été marginalisée par rapport aux autres communautés libanaises dans le cadre de la construction de l’Etat. De même, aussi bien la Békaa que le Liban-Sud, fort représentatifs de la périphérie libanaise, ont été marginalisés dans l’édification de l’Etat par rapport au centre sur le plan du développement. Il en découlerait, dès lors, une propension naturelle de la part de cette communauté à s’organiser, sous la forme du Hezbollah, en « açabiyya » (communautaire) en révolte contre le centre politique et économique (et aussi contre ses propres féodaux), et à rejeter, dès lors, toute assimilation avec une culture territoriale et stato-nationale qui n’a jusqu’à présent fait que très peu cas d’elle.

De par sa création même, dans un espace politiquement abandonné par l’Etat, le Hezbollah se situerait d’entrée de jeu dans une perspective para-étatique, sinon anti-étatique. On pourrait donc lui attribuer, d’emblée, une volonté naturelle de s’émanciper de tout ordre territorial imposé par d’autres. Ce n’est guère surprenant à une époque où l’Etat a, de surcroît, quasiment cessé d’exister, du fait de la guerre.

Cependant, le problème du point de vue de l’analyse se complique dès lors qu’il est question, pour le Hezbollah, de mener, à partir de 1982, une résistance contre l’occupation israélienne, résistance motivée par l’occupation de Beyrouth et du Liban-Sud. Si elle se donne d’abord pour nom « al-Mouqawamma al-islamiya fi Loubnan – la Résistance islamique au Liban », nom qui renvoit immanquablement à une culture de l’espace –, cette Résistance devient progressivement « nationale » durant la période de l’après-guerre. Fort du soutien de la Syrie et de l’Etat libanais, à l’époque sous le contrôle direct de Damas, elle bénéficie aussi d’un vaste soutien politique consensuel qui lui donne une légitimité nationale indéniable. La résistance face à Israël inclut ainsi progressivement le Hezbollah dans une logique de culture territoriale – du moins en apparence.

C’est dans la guérilla que le parti établit toute une infrastructure de confrontation au Liban-Sud, selon le modèle guévariste du « foco guerillero », le foyer révolutionnaire. Il s’agit principalement de favoriser les conditions de la confrontation en transformant l’espace rural sur lequel la guérilla doit progressivement s’enraciner, prendre corps. La théorie est élaborée par Ernesto Guevara dans son ouvrage La Guerre de guérilla .

Le Hezbollah reconnaît s’être inspiré de la théorie guévariste, et de l’expérience cubaine en particulier (mais aussi de l’expérience vietnamienne) pour mettre en place sa propre expérience révolutionnaire. A ce niveau, le « foco guerillero » établi par le Hezbollah, qui s’étend, dans ses limites maximales, de la banlieue-sud (QG idéologique) aux frontières des zones occupées, se trouve être un modèle d’organisation, avec l’établissement de plusieurs associations sociales et caritatives orientées sur les objectifs révolutionnaires, pour maintenir un climat favorable à la mobilisation permanente, une interaction perpétuelle entre le milieu et la résistance – et c’est dans ce cadre aussi que la notion de « martyr » joue un rôle au niveau de l’organisation sociale. De ce fait, l’environnement se retrouve embrigadé, idéologisé sur le plan socio-religieux, pour créer les conditions les plus favorables à la déroute de l’ennemi.

Le retrait de l’armée israélienne et la libération des territoires occupés au Liban-Sud en mai 2000 viennent couronner les efforts du Hezbollah dans sa guerre d’usure contre Israël. Le parti venait ainsi, à ce moment clé de son histoire, de libérer une parcelle du territoire national, et se retrouvait désormais lié organiquement à la souveraineté territoriale du pays. Si la « culture du territoire », en d’autres termes la culture stato-nationale, au Liban a été fondée par apports cumulatifs de la part de chaque communauté, le Hezbollah venait d’apporter sa pierre à l’édifice. Voilà qui, en principe, devrait définitivement le « territorialiser » et mettre fin à cette tension entre la « culture de l’espace » (celle qui le lie à l’Iran – et à la Syrie, la fameuse alliance entre les minorités oblige ? – pour des raisons communautaires, religieuses et politiques), et la « culture du territoire » .

Pourtant, la trajectoire « territoriale » du Hezbollah au lendemain de la libération du Liban-Sud n’est pas suffisamment limpide pour permettre de clore aussi rapidement le sujet. On a au contraire l’impression, au gré des événements, d’une certaine duplicité, qui permet au parti de jouer, au gré des occasions, tantôt sur la culture territoriale et stato-nationale, tantôt sur la vision communautaire et religieuse de l’espace. Parfois même, les deux cultures s’interpénètrent dans le discours et la logique politiques, si bien qu’il est bien difficile d’empêcher une certaine confusion de s’installer en définitive. Confusion qui ouvre d’ailleurs la voie à toutes sortes d’attaques politiques, notamment de la part du chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, au sujet de « l’allégeance réelle » du Hezbollah…

Culture du territoire et soutien politique à la Syrie sur le territoire libanais peuvent-ils faire bon ménage ? Comment concilier entre les réalités libanaises et l’allégeance (notamment dans les affaires politiques internes, qui relèvent directement de la souveraineté) à une autorité religieuse étrangère, en l’occurrence le « fakih », le Guide suprême iranien ? Quelles sont les limites de la résistance ? Cette dernière est-elle confinée au territoire des hameaux de Chébaa, aux collines de Kfarchouba et au village de Nkhailé, ou repose-t-elle sur un autre critère qui devrait conduire à la libération des « sept villages », du Golan, voire même de Jérusalem, dans un soutien éminemment spatial (politique et logistique ?) aux autres mouvements islamistes de résistance que sont, dans les territoires occupés, le Hamas et le Jihad islamique ?

Que penser de cette volonté de maintenir à tout prix son arsenal hors de tout consensus interlibanais, de refuser de se soumettre au monopole de la violence légitime que constitue l’Etat ? La guérilla n’est-elle pas de toute façon, par définition, impossible à concilier avec l’armée régulière ? Comment interpréter cette volonté de ne pas intégrer complètement l’Etat, en maintenant une aile militaire ou bien encore en soustrayant à l’Etat sa souveraineté (son contrôle sécuritaire) sur le Liban-Sud ou sur ce qui fut le « mourabaa el-amni », le « quadrilatère sécuritaire » de la banlieue-sud ? Cela n’est-il pas pour le moins révélateur d’une conception de l’espace qui reste fondamentalement communautaire et rebelle à l’hypothèse d’une construction politique d’un territoire capable de transcender les identités particulières ? Cela n’est-il pas révélateur du maintien d’une « açabiyya » communautaire qui, ayant intégré les institutions de l’Etat, refuse toutefois de se départir de ses moyens de défense propre ? Dans ce cadre, la « da’wa » du Hezbollah, la résistance, ne serait plus aujourd’hui, dans l’optique khaldounienne, qu’un moyen pour la communauté de maintenir sa « açabiyya », de lui permettre de conserver sa place prépondérante, de l’empêcher de décliner au profit de la fondation de l’Etat.

A moins que la grille de lecture proposée par Ibn Khaldoun ne soit mal adaptée, et que le problème, à défaut de ne concerner exclusivement qu’une açabiyya communautaire, soit celui d’une confrontation potentielle, en puissance, entre des açabiyyas communautaires sur l’espace territorial libanais. Une confrontation sunnito-chiite qui, malgré son existence dans l’ensemble de la région, continue fort heureusement – tant tout le monde fait preuve d’éveil et de conscience sur ce plan – à refuser de dire son nom au Liban.

le lien
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tu as lu l'article du monde sur la mission de la FINUL Akhilleus ? il n'y a pas de quoi faire peur ni au hezbollah ni à Israél ; je crains que ça ne rechauffe trés vite !!

D'un point de vue strictement militaire, aucune armée au monde ne peut faire peur au Hezbollah et à Israel, peut être même pas les USA qui sont à flux tendus au niveau RH.
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exellent ton article grinch,merci L'amie de mon pere qui a fait la guerre Iran-irak coté iranien,regrette encore de ne pas etre tomber martyr.Les familles de martyrs sont fier de leur fils/fille,ils affiche leur images dans un endroit voyant de la maison,pourque chaques visiteurs connaissent que cette famille a un martyr.... les familles recoivent une aide mensuelle de l'etat,et un bon cheque le 22 de Bahman (11 mois du calandrier iranien,).

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D'un point de vue strictement militaire, aucune armée au monde ne peut faire peur au Hezbollah et à Israel, peut être même pas les USA qui sont à flux tendus au niveau RH.
Du point de vue strictement militaire moi j'en vois plein.........................au contraire

mais primo sont pas connues pour etre très fines (Chine, Russie, Pakistan, Inde......allez on ajoute en contre insurrection l'Indonésie, l'Afrique du Sud et Le Nigéria qui ont des forces conventionnelles capables de tenir tete ègalement vs Israel et sans s'embarasser des pertes collatérales de civiles ou de leurs propres forces.....oui je sais y'en a certains que ca va faire marrer mais bon)

Disons que pour faire le ménage par le vide ces armées sont très bien

mais un peu loin du théatre d'opération [08]

Et puis la on parle d'une force d'interposition ONU pas d'une onvasion massive [57]

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D'un point de vue strictement militaire, aucune armée au monde ne peut faire peur au Hezbollah et à Israel, peut être même pas les USA qui sont à flux tendus au niveau RH.
sans entrer dans le débat de la capacité de tel où tel pays à envoyer un corps expéditionnaire suffisant pour battre tsahal où occuper le sud-liban ( la 2iè chose étant plus simple ), je pensais plus à dissuader les bélligérants à violer le cessez le feu ( par ex en installants des moyens sol airs suffisants pour abattre les avions israéliens violant l'espace aérien libanais où en autorisant la finul à détruire les LR du hezbollah si ceux-ci sont employés ........) mais bon, même un objectif limité était difficile :

- désarmer le hezbolah est presque impossible ( sans accord politique intra-libanais donc accord du hezbollah ) sauf à accepter de lourdes pertes.

- Israél n'hésiterait pas à engager la FINUL si celle-ci tire sur elle et une FINUL capable de résister à Israél est inconcevable militairement ( déjà 15000 hommes semble difficile à réunir ) et politiquement .

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Du point de vue strictement militaire moi j'en vois plein.........................au contraire

mais primo sont pas connues pour etre très fines (Chine, Russie, Pakistan, Inde......allez on ajoute en contre insurrection l'Indonésie, l'Afrique du Sud et Le Nigéria qui ont des forces conventionnelles capables de tenir tete ègalement vs Israel et sans s'embarasser des pertes collatérales de civiles ou de leurs propres forces.....oui je sais y'en a certains que ca va faire marrer mais bon)

Disons que pour faire le ménage par le vide ces armées sont très bien

T'as oublié Monaco et le Vatican aussi.
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- Israél n'hésiterait pas à engager la FINUL si celle-ci tire sur elle et une FINUL capable de résister à Israél est inconcevable militairement ( déjà 15000 hommes semble difficile à réunir ) et politiquement

pour se coller à dos des alliés objectifs sinon subjectifs ?????

Ok si les pruneaux tombent sur les Malais ou les bangladais, après tout doivent pas supporter bcp les Israéliens

Mais si ca tombe sur des Italiens ou des Français je demande à voir

Y'a qu'a voir l'affaire des 4 observateurs tués et le ramdam que ca a fait en Irlande, Autriche et surtout Chine (il m'en manque un d'ailleurs !!!)

M'étonnerais qu'ils prennent un risque direct de ce type la...Même si la FINUL tire (????ah bon elle peut [28][28][28]) sur les Israéliens ce qui n'arriveras jamais......

Puis de toute façon ce sera la procédure suivante....on appelle les Israéliens, on les previents une, deux, fois 20 fois d'arreter leurs conneries, puis on fait un deux, trois 25 coups de semonce et d'ici la tout sera rentré dans l'ordre et les Israéliens auraont fais le boulot qu'ils avaient a faire point !!!!

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pour se coller à dos des alliés objectifs sinon subjectifs ?????

Ok si les pruneaux tombent sur les Malais ou les bangladais, après tout doivent pas supporter bcp les Israéliens

Mais si ca tombe sur des Italiens ou des Français je demande à voir

Y'a qu'a voir l'affaire des 4 observateurs tués et le ramdam que ca a fait en Irlande, Autriche et surtout Chine (il m'en manque un d'ailleurs !!!)

M'étonnerais qu'ils prennent un risque direct de ce type la...Même si la FINUL tire (????ah bon elle peut [28][28][28]) sur les Israéliens ce qui n'arriveras jamais......

Puis de toute façon ce sera la procédure suivante....on appelle les Israéliens, on les previents une, deux, fois 20 fois d'arreter leurs conneries, puis on fait un deux, trois 25 coups de semonce et d'ici la tout sera rentré dans l'ordre et les Israéliens auraont fais le boulot qu'ils avaient a faire point !!!!

disons que compte tenu des objectifs affichés par la résolution, il aurait été possible d'envisager ( sur le plan théorique ) une FINUL avec des moyens sol-airs pour interdire à Israéel de continuer à violer l'espace aérien libanais ( tout comme une FINUL chargée de désarmer le hezbollah ) mais comme précisé en pratique non car déjà beaucoup trop dangereux ( les 2 ) et peu envisageable politiquement ( le cas 1 ).

De mémoire Israél n'a jamais fait preuve de beaucoup de retenue vis à vis de la FINUL , celui qui te manque ne serait pas finlandais ?

je ne suis pas sur qu'Israél considère l'UE comme des alliés et comme ils n'hésitent pas à tirer sur des chinois ( à leur place j'éviterais quand même de tirer sur des russes si il s'en trouve dans la FINUL ).

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bah ils devaient pas savoir sur ki ca allait tomber....parceque je crois me souvenir qu'ils se sont fait mechamment tirer les oreilles par Pékin...alors ce genre de bétise pas 2 fois. Idem si ca tombe sur des russes (sont rancuniers) ou sur des indiens (pas bon pour la coopération militaire).....etc etc Après on peut toujours dire que c'est une bavure mais une bavure ok, une attaque délibérée ou 23 bavures comment dire c'est un peu difficile à avaler................

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c'est pas la première fois ...... mais évidemment tirer sur un casque bleue bangladis n'aura jamais le même prix politique qu'un chinois !! de toute façon, les régles d'engagements sont suffisament inoffensives pour ne géner personne ( j'attends le premier qui me sort que c'est parce que la france est en décadence et n'a pas les moyens et la volonté de vitrifier quiquonque touche à ses intérêts au liban [08] )

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Bon va falloir arreter la démagogie, c'est saoulant. Il y a eu une guerre et Aussi bien le Hezbhola que Israel sont responsable des morts civils!

On est en France et on peu donc avoir un minimum d'objectivité sur les fait au lieu de ressasser betement les "on dit" de tel ou tel entité.

Il y a un nombre d'information enorme sur ce conflit et notre position permet, avec un minimum de reflexion, de faire un peu la part des choses. C'est quand même surprenant d'être aussi obtue et fermé dans ses considérations alors qu'on a une quantité d'information gigantesque sous la main. Ce coté totalement malhonnéte de certains dans leurs propos me desespère...

Je te renvoie donc les politesses, Combien de terroristes tués durant les opérations? Combien de civils? durant les opérations de "maintien de l'ordre" dans les territoires palestiniens, combien de terroristes tués? Combien de civils?

Mettre en relation le bilan des victimes des tirs de roquettes du côté israélien.

qui veut voir ce qui l'intéresse? Oeil, poussière, poutre tout çà. tu n'es pas d'accord avec moi ok, pas la peine d'être insultant, admin ne veut pas dire dispensé de politesse!

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ben si en Tchétchénie elle a marché...après plusieurs années mais bon.................

Bah non, les russes perdent toujours des hommes en Tchetchenie, la région est loin d'être pacifié (d'ailleurs le conflit en tchetchénie s'exporte depuis peu dans les autres républiques caucasienne, comme au Daguestan).
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Exact. même si les techétchènes ont vu leur mouvement fortement amoindri et décapité, le fait d'être une guerilla les rend aussi insaissable que de l'eau. Et étant liés aux mouvances islamistes ils peuvent compter sur les alliés extérieurs pour déstabiliser la région entière ainsi que de leur soutien humain et matériel. Pour vaincre un mouvement de guerilla il faut avoir la population acquise à sa cause ainsi elle ne fournit plus le soutien habituel et là, déjà les insurgés se retrouvent fort ennuyés car cela signifie que les cachettes, les dons, les renseignements, les volontaires, tout cela disparaît, or un mouvement clandestin sans ce soutien là ne peut plus survivre, même avec une aide extérieure qui est de facto au compte goutte car devant franchir plusieurs frontières "ennemies"

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il est vrai qu'il existe à terme une possibilité de voir se créer une réelle communauté arabe, ce que les arabes eux-mêmes n'ont jamais réussi à onbtenir, et plus globalement une communauté musulmane (cependant il existe différents islams, on ne peut comparer un sénégalais musulman avec un wahabiite saoudien, et entre chiites et sunnites vous conaissez la situation).

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Tu crois, peut etre , pas si bien dire!

Chouffe! :

L'IRAN ET LA BOMBE : UN FAUX PROBLÈME ?

L'Iran aura la bombe

Quatre facteurs extrêmement forts soutiennent l'ambition de l'Iran de devenir une puissance nucléaire militaire.

Le vent de l'Histoire

Le vent de l'Histoire est cette force incertaine et changeante grâce à laquelle, à une époque donnée, tel ou tel principe, auparavant inconnu ou insolite, s'impose soudain comme évident. Ce vent n'est pas si capricieux qu'il en a l'air ; des dynamiques profondes l'animent. En ces années 2000, la dynamique principale est la démocratisation de la planète, qui implique le droit de chaque État à être l'égal des autres s'il en a la capacité et les moyens. Selon la célèbre formule de Tocqueville, l'égalité est une passion, ou même une obsession illimitée. Au nom de quel principe l'Iran n'aurait-il pas l'arme atomique si d'autres la possèdent ? Les nations prolétaires (pour reprendre la formule de Pierre Moussa) réclament les mêmes droits que les nations développées. La soif de revanche et la demande d'égalité des anciens colonisés sont immenses.

Dissensions des puissances

L'Union européenne, grande promotrice de la « diplomatie douce », a paru croire que sa troïka (Royaume-Uni, France et Allemagne) maintiendrait l'Iran dans le droit chemin ; en fait, ses négociations avec Téhéran (2003-2006, soit une durée de trois ans) font gagner du temps au régime des mollahs, dont les travaux clandestins se poursuivent à l'abri des discussions avec les représentants de l'UE. La faiblesse de la diplomatie douce, c'est qu'elle implique des interlocuteurs de bonne foi et de bonne volonté...

Les États-Unis, partisans de la manière forte à l'égard de Téhéran, souhaiteraient lui régler son compte par les armes ; mais leur inquiétant enlisement en Irak, l'inexorable descente de ce pays dans la guerre civile et le rejet croissant de l'intervention par l'opinion publique américaine excluent, pour l'Administration Bush, une guerre contre l'Iran.

Quant au premier allié de Washington au Moyen-Orient, Israël, il n'a pas hésité, en 1981, à bombarder le réacteur nucléaire irakien de Tammouz. Vingt-cinq ans plus tard, la situation de l'État hébreu s'est gravement affaiblie : présence obsédante du terrorisme ; usure provoquée par des décennies de combat et d'occupation ; faible natalité (« à l'occidentale ») face à des Arabes qui gardent une fécondité élevée (ce qu'on appelle la « guerre des berceaux »). Par ailleurs, l'Iran a tiré la leçon de la péripétie irakienne ; ses installations nucléaires sont enterrées et protégées par des dalles de béton que seules des charges atomiques pourraient percer.

La Russie de Vladimir Poutine, désireuse de retrouver la puissance perdue de l'URSS, pratique, en proposant de faire procéder sur son propre territoire à l'enrichissement de l'uranium utilisé par l'Iran, le double jeu : elle préférerait que Téhéran n'ait pas l'arme nucléaire, mais sa priorité est de montrer à l'orgueilleux Occident que rien d'important ne doit et ne peut se faire sans Moscou.

La Chine et l'Inde, elles aussi, aimeraient que l'Iran ne se dote pas du feu nucléaire. Cependant, en dépit de l'opposition - certes chaotique - des puissances établies, ces deux colosses ont réussi à obtenir l'arme ; alors au nom de quel argument pourraient-ils refuser aux Iraniens ce qu'ils ont considéré comme une composante indispensable de leur indépendance et de leur dignité retrouvées ?

Et les États arabes voisins de l'Iran ? Affolés par la déferlante islamiste, ils sont condamnés à ménager le régime des mollahs, qui n'a jamais hésité à mobiliser les frustrations des minorités chiites pour rappeler aux États sunnites leur fragilité.

L'incontournable solitude de tout État

L'État demeure l'unique garant de la sécurité de son territoire et de sa population si ces derniers subissent une agression (2). L'un des motifs majeurs pour lesquels le général de Gaulle a tenu à équiper la France d'une force de dissuasion nucléaire est le souvenir de la débâcle de juin 1940 : chaque État peut, à tout moment de son histoire, se trouver submergé par une armée étrangère ; or la possession de l'arme atomique par cet État lui donne la capacité d'infliger à son agresseur des dommages tels que ce dernier sera forcé d'abandonner son invasion.

En 1980, l'Iran khomeiniste connaît une tragédie analogue à celle de la France de 1940 : l'Irak de Saddam Hussein envahit brutalement le Khouzistan iranien ; l'Iran se retrouve seul sous le regard satisfait tant des États arabes que des pays occidentaux, tous ravis de voir le dictateur irakien se charger d'abattre l'horrible ayatollah. La République islamique survit, mais tire les conclusions de l'épisode : seul un potentiel nucléaire militaire la mettra à l'abri d'une nouvelle catastrophe.

La démocratie et l'intérêt national

Pour l'Occident et, en premier lieu, pour les États-Unis, la diffusion de la démocratie entraîne l'universalisation de la paix. Selon la formule attribuée à Bill Clinton, les démocraties ne se font pas la guerre. C'est là sans doute une nouvelle - et redoutable - « grande illusion », pour deux raisons simples :

1) La démocratie est une idée, un principe. Ce qui existe, ce sont des phénomènes, des processus, des cycles démocratiques : naissances, développements, approfondissements, consolidations mais aussi régressions et faillites. Les processus démocratiques restent indissociables de l'évolution des communautés : cités dans l'Antiquité, nations depuis le xviiie siècle. Les « démocraties » passent donc par des phases violentes et agressives (France révolutionnaire) mais, aussi, par des périodes apaisées (Europe occidentale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale). Aujourd'hui, si la Chine devient démocratique, l'accouchement sera certainement très tumultueux : il débouchera sur des confrontations entre les campagnes et les villes, sur des rivalités entre provinces et peut-être même sur une agression de Taiwan visant à souder l'ensemble des Chinois autour de ce nouvel État que serait une Chine démocratique.

2) Surtout, toute démocratie reste enracinée dans un État ; et elle n'est légitime que si elle assume les intérêts de cet État. En ce qui concerne l'Iran, le remplacement du régime des mollahs par une démocratie à l'occidentale n'aura pas pour effet l'abandon du programme nucléaire militaire. Au contraire, la nouvelle démocratie, si elle veut s'enraciner, devra prouver qu'elle est fière de la grande nation iranienne et qu'elle se montrera la gardienne sourcilleuse des intérêts ultimes de l'Iran et, d'abord, de sa sécurité. Ce qui ne sera pas une mince affaire dans une région particulièrement dangereuse où les puissances nucléaires militaires ne manquent pas (Israël, Pakistan, Inde, Chine et Russie). Le programme iranien n'est pas un programme khomeiniste ou post-khomeiniste ; c'est un programme national.

La communauté internationale ne fera rien, ou si peu...

Une communauté introuvable

La communauté internationale a tout d'un fantôme : elle existe sans exister ; elle rôde à l'arrière-plan de toutes les négociations internationales en prétendant que les États forment désormais une grande famille responsable. Les mêmes formules reviennent dans les médias : « la communauté internationale pense que... », « la communauté internationale s'inquiète de... ». Derrière cette rhétorique se profile une ombre qui s'évanouit dès que l'on cherche à la saisir : par « communauté internationale », entend-on l'humanité tout entière, l'ensemble des États, les États bien établis, les grandes puissances ? Depuis 1945 existe l'ONU, cette association planétaire qui regroupe désormais la quasi-totalité des pays du globe. L'Assemblée générale, où siègent les 191 États membres, n'émet que des recommandations. Le Conseil de sécurité, lui, a le pouvoir de décision, mais il ne décide que si deux conditions sont réunies : au moins neuf des quinze membres doivent apporter leur soutien à l'éventuelle décision ; et aucun des cinq membres permanents - États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France - ne doit user de son droit de veto pour bloquer la proposition de résolution.

L'affaire iranienne confirme que la communauté internationale est une machinerie incertaine, engluée, dès qu'elle tente d'exprimer une volonté commune, dans d'interminables procédures. Le problème nucléaire iranien a d'abord été longuement débattu au sein de l'AIEA de Vienne. Celle-ci s'est montrée tiraillée entre, d'une part, le souci de préserver un ordre - ici, l'ordre du TNP - et, d'autre part, les manoeuvres étatiques. En 2006, le dossier arrive enfin sur la table du Conseil de sécurité. Les discussions promettent d'y être longues et laborieuses, centrées autour d'au moins deux questions : quelles infractions l'Iran a-t-il commises ? Et quelles mesures de rétorsion lui infliger ? Au Conseil de sécurité, chacun joue son jeu. La Russie et la Chine marchanderont durement l'adoption de dispositions punissant Téhéran. Quant aux trois Occidentaux (États-Unis, Royaume-Uni et France), rien ne garantit qu'ils seront unis. En effet, les terrains de dissension ne manquent pas : quelles sanctions appliquer ? Des sanctions « dures » ou « douces », massives ou ciblées sur les hommes au pouvoir (ce qui risque d'être compliqué, sachant que bon nombre d'entre eux ont très probablement pris leurs précautions et rendu « anonymes » leurs ressources financières) ? Le Conseil de sécurité doit-il et peut-il aller jusqu'à brandir la menace d'une action militaire ? Les dix membres non permanents auront, eux aussi, leurs objectifs. Ceux qui émanent du Sud (Asie, Afrique, Amérique latine...) renâcleront à l'idée de se rallier aux Occidentaux. Or, on l'a dit, pour toute résolution de fond, il faut neuf voix...

Improbable issue militaire

L'histoire des relations internationales montre que ce type de confrontations se conclut presque toujours de la même manière : face à un acteur déterminé, la majorité des États et, surtout, les puissances établies traînent les pieds, tergiversent et finissent par céder sur l'essentiel. C'est ce qu'elles ont fait, en 1931-1933, face au Japon impérial qui venait de s'emparer de la Mandchourie ; en 1935, face à l'Italie mussolinienne qui avait envahi l'Abyssinie du Négus ; en 1938, face à l'Allemagne de Hitler avec les accords de Munich; et depuis 1993, face au chantage nucléaire exercé par la Corée du Nord. Pour les démocraties, mais aussi pour un grand nombre d'autres régimes, il n'est jamais évident d'employer la force. Ne serait-ce que parce que les opinions publiques préfèrent généralement la paix ; l'homme de la rue n'aime pas se faire tuer pour des causes qu'il ne comprend pas. Et il y a toujours d'excellentes raisons pour ne pas faire la guerre.

Dans un tel contexte, finalement, la guerre à l'Iran est-elle envisageable ? Seulement deux États aujourd'hui sont prêts à une telle éventualité. D'abord, les États-Unis, à la fois comme premier gardien de l'ordre nucléaire mondial et comme protecteur du Moyen-Orient. Mais Washington, englué dans l'épreuve irakienne, hésitera longtemps avant de se lancer dans une intervention qui embrasera probablement tout le Moyen-Orient. Ensuite, Israël. Mais, pour l'État hébreu, l'environnement régional est toujours aussi difficile. La paix avec les Palestiniens se révèle insaisissable, le terrorisme continue de frapper, le grand allié américain est embourbé en Irak. De plus, Jérusalem s'interroge : suffira-t-il de lancer quelques missiles contre des sites iraniens pour briser le programme nucléaire militaire de ce pays ? Et les Européens ? Il ne faut pas compter sur eux : dans leur esprit, la paix est devenue une religion qui se discute à peine. La guerre est politiquement incorrecte pour le Vieux Continent.

Un ordre en sursis

L'ordre nucléaire mondial, fondé sur le TNP de 1968, a été voulu et conçu par quelques puissants (principalement les États-Unis et l'Union soviétique) pour interdire à la masse des États de la planète - avec leur consentement - de s'approprier le feu nucléaire. Cet ordre est clairement inégal. Il sépare les « élus » qui disposent de l'arme atomique et ont le droit de la conserver (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France) des autres, lesquels doivent renoncer à l'acquérir. Si la quasi-totalité des États adhèrent à ce dispositif (3), c'est parce que presque tous savent qu'ils ne seront jamais en mesure de se doter d'un potentiel nucléaire militaire. Dès lors, mieux vaut adhérer à un système (le TNP) qui « ligote » le plus grand nombre de pays possible. Mais qu'un rebelle (Corée du Nord, Iran) surgisse, revendiquant son droit au nucléaire militaire, et beaucoup l'approuvent, discrètement ou ouvertement : lui ose briser le tabou et affirmer son égalité face aux puissances établies.

Dans le sillage du feuilleton nord-coréen, l'affaire iranienne révèle la légitimité corrompue de l'ordre nucléaire mondial. En apparence, rien de plus solide que cet ordre, accepté par les 189 États parties au TNP. Un consensus presque unanime ! Mais un ordre peut paraître incontestable et incontesté et se révéler, pourtant, secrètement rongé de l'intérieur. Ce fut le cas pour l'ordre des monarchies absolues au xviiie siècle, ainsi que pour l'ordre soviétique plus près de nous. Un ordre entre en agonie lorsque ses parties prenantes n'y croient plus et se contentent de faire semblant d'en respecter les rites. Alors, l'ordre n'est plus qu'un décor, qu'un jeu, qu'un agencement de procédures sans but ni substance (4). Il en va probablement ainsi de l'ordre issu du TNP.

Pourtant, les rebelles déclarés ne sont pas nombreux. Ils se composent des pays qui ne se sont jamais soumis au TNP (Israël, Inde et Pakistan) et de ceux qui l'interprètent d'une manière très ou trop personnelle (Corée du Nord et Iran). Au début des années 1960, l'Administration Kennedy prévoyait qu'il y aurait sous peu quinze à vingt États dotés d'armes nucléaires ; or, en 2006, il n'y en a que huit à dix ; la lutte contre la prolifération a donc assez bien fonctionné. Mais c'est là une photographie partielle. L'ordre nucléaire se trouve miné par un facteur plus pernicieux : les trafics de matériaux et de techniques nucléaires (5). Cette prolifération « par le bas » pose des problèmes différents de ceux de la prolifération « par le haut » (c'est-à-dire d'État à État) ; l'enjeu est d'appréhender et de contrôler des flux et des réseaux clandestins en métamorphose permanente.

Et les « gardiens » ? Croient-ils encore à l'ordre qu'ils ont mis en place ? Ont-ils la volonté et la capacité de le maintenir ? Le regard se tourne vers le pilier central de cet ordre, son responsable ultime : les États-Unis. L'Amérique est un gardien équivoque dont la crédibilité a été bien écornée au cours des années. L'incohérence ou l'inconséquence de Washington, au moins sous l'Administration Bush Jr, se trouve illustrée avec éclat par le tout récent accord nucléaire américano-indien conclu en mars 2006 lors de la visite du président américain en Inde. Non seulement cet accord consacre l'entrée, avec tous les honneurs, de l'un des rebelles dans le club nucléaire des Grands, mais il laisse aussi à ce rebelle une liberté quasi totale pour le développement de ses moyens nucléaires militaires (6). Les États-Unis, premier protecteur de la non-prolifération, déroulent le tapis rouge sous les pieds d'un État ayant toujours manifesté un rejet viscéral et systématique du TNP. Quel exemple pour ceux qui veulent démolir l'ordre nucléaire traditionnel ! Pour les dirigeants iraniens, la conclusion est claire : l'erreur de Téhéran, c'est d'avoir signé et ratifié le TNP ! En effet, l'Inde, qui ne s'est engagée à rien, ne subit aucun reproche ; elle est même récompensée. On pourrait difficilement imaginer une façon plus efficace d'ôter toute légitimité à cet ordre...

Chaque ordre, nous l'avons dit, possède un vice caché qui, un jour, le détruit : pour Rome, ce fut l'esclavage ; pour le monde soviétique, le refus de toute propriété privée. Le vice caché n'a rien d'un défaut moral condamnable ; c'est un tout petit élément qui, initialement, va de soi, mais devient explosif avec le temps. En ce qui concerne l'ordre nucléaire mondial, ce vice réside dans le caractère inégalitaire du TNP alors que notre monde est passionnément égalitaire. Le statut particulier des cinq puissances nucléaires officielles reconnues par le TNP est, à plus ou moins long terme, inacceptable. L'Inde le dit haut et fort. Beaucoup d'autres le pensent tout bas.

Il faudra donc bâtir un ordre nucléaire démocratique. Il requiert que les grandes puissances nucléaires se soumettent, elles aussi, à des disciplines nucléaires internationales (dans un premier temps, afin de garantir que ces puissances ne sont en aucune manière proliférantes ), tout comme, dans le régime actuel du TNP, les États ayant renoncé à l'armement nucléaire reconnaissent à l'AIEA un droit de regard sur leurs installations nucléaires. La double dynamique de la mondialisation économique et de la démocratisation politique affecte toutes les activités humaines. Le nucléaire appartiendra de moins en moins à une poignée d'élus. Pour que cette prolifération quasi inévitable ne conduise pas les hommes au désastre, il faut, d'une part, que les gouvernants aient pleinement conscience de leurs responsabilités internationales et se donnent pour priorité absolue de ne pas briser le tabou nucléaire ; et, d'autre part, que soient développés, dans le sillage de l'AIEA, des mécanismes plus globaux de surveillance des activités et des échanges nucléaires, couvrant peu à peu tout le champ du nucléaire. Il y a sans doute quelque chose d'utopique dans cette démarche. Mais l'une des priorités de l'ordre mondial est bien la promotion de mécanismes de police des industries, des flux et des réseaux. Les hommes ne peuvent pas vivre sans ces industries, ces flux et ces réseaux. Encore tous ces éléments ne doivent-ils pas se transformer en pièges ou en machines infernales...

Un Iran nucléaire... et raisonnable ?

Un monde où il y a des armes nucléaires est structurellement très dangereux. Dès les années 1950 démarre un débat, toujours d'actualité en ce moment, sur les implications de la prolifération nucléaire. L'opinion majoritaire estime que tout doit être fait pour empêcher ou, au moins, freiner la prolifération. Mais certaines voix discordantes se font entendre, comme celle du réaliste Kenneth Waltz, qui considère que « more may be better » (7) : plus il y aura d'États possédant l'arme nucléaire, plus ceux-ci seront contraints à la prudence et à une dissuasion multiple, tout État tenté d'utiliser ses capacités atomiques sachant parfaitement qu'il déchaînerait immédiatement contre lui le feu nucléaire d'autres États. De ce point de vue, quatre facteurs pourraient faire d'un Iran nucléaire un acteur raisonnable.

1) La transformation sourde mais inexorable de la société iranienne. L'Iran, en dépit - ou à cause - du régime des mollahs, se mondialise ou même s'occidentalise. Fascinant pays clérical et bigot, en principe coupé du monde depuis plus d'un quart de siècle (8) et qui se modernise malgré tout : enrichissement d'une partie de la population, érosion de la grande famille traditionnelle au profit de la micro-famille « à l'occidentale », émancipation des femmes (certes sous le voile)... Ces évolutions sont très bien rendues par le cinéma local qui, se jouant du carcan de la censure, met en scène un Iran bel et bien moderne : immeubles au luxe tapageur, Téhéran saturée d'embouteillages automobiles, solitude et désespoir des individus, femmes luttant pour leur indépendance, amertume des anciens combattants de la guerre contre l'Irak (1980-1988)... Cependant, l'extraordinaire imprégnation du pays par les idées et les sentiments de la mondialisation ne signifie en rien que cette très vieille nation du Moyen-Orient soit vouée à devenir une démocratie qui reprendrait en tous points le modèle occidental. Le nationalisme est bien vivant et très largement partagé. L'Iran, c'est aussi la Perse de Zoroastre, de Darius, d'Umar Khayyam. Cette fierté iranienne ne doit et ne peut être ignorée. C'est elle qui explique, avant toute autre considération, le vaste soutien de la population à la vision d'un Iran-puissance, respecté à l'étranger. La détention du feu nucléaire est ressentie par de nombreux Iraniens comme une légitime revanche sur les humiliations qu'a subies ce pays, mis sous tutelle par les grandes puissances du début du xxe siècle jusqu'au renversement en 1953 de Mohammed Mossadegh, voire jusqu'à la chute du shah en 1979. Que conclure de ce bref tableau de la société iranienne? Celle-ci accomplit une modernisation accélérée et, en outre, plus ou moins consciente : sous l'apparence du pouvoir monolithique des mollahs, se cachent de profondes mutations. Cette modernisation irréversible, loin d'être porteuse d'un futur politique précis (rien ne certifie que le pays va devenir, à terme, une démocratie à l'occidentale), peut accoucher aussi bien d'un Iran apaisé, ayant retrouvé sa fierté, que d'un Iran violent et populiste.

2) Le caractère étatique de l'Iran. L'Iran est un État indissociable d'un territoire bien délimité et d'une population. Comme tout autre État, l'Iran ne peut s'affranchir de son territoire, qui a des frontières communes avec la Turquie, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan, l'Afghanistan, le Pakistan et l'Irak. Israël, la Russie, la Chine et l'Inde ne sont pas très loin. De plus, le pays demeure marqué par la guerre atroce contre l'Irak (pour l'Iran, 400 000 morts, dont 45 000 enfants). Last but not least : l'Iran est enclavé ; sa longue façade maritime donne sur le golfe Persique, une mer fermée dont l'ouverture - le détroit d'Ormuz - peut être facilement verrouillée. Toutes ces données l'obligent à la prudence : l'Iran ne saurait ignorer ces vulnérabilités.

La bombe, et après ? Si l'Iran a l'arme atomique, que pourra-t-il en faire ? Qu'il brandisse sa belle bombe et, immédiatement, la Russie, la Chine, le Pakistan, l'Inde et d'autres lui feront savoir qu'eux aussi possèdent cette arme, certains ajoutant qu'ils disposent, en outre, d'avions et de missiles pour transporter des charges nucléaires... À vantard, vantard et demi ! Chacun peut rouler des mécaniques, mais il faut tout de même être prudent.

N'oublions pas la loi non écrite du jeu nucléaire mondial. Comme toute loi émanant des hommes, cette loi nucléaire est très précaire. Elle n'en est pas moins incontestable : tout État qui utilisera ses armes nucléaires sait qu'il sera frappé à son tour par le feu nucléaire. Rien de nouveau sous le soleil. OEil pour oeil, dent pour dent ! La vieille sagesse de la Bible est toujours d'actualité. Si jamais l'Iran menace de manière crédible de frapper Israël par des armes nucléaires, les sous-marins américains - et peut-être d'autres - qui rôdent dans la zone seront immédiatement en alerte.

3) Le président Mahmoud Ahmadinejad. Il est stupide de mépriser les démagogues ; ils sont toujours plus malins que leurs adversaires. Alors, Ahmadinejad est-il un nouvel Hitler ? La prudence exige de ne rien exclure, sans oublier qu'il n'est pas le premier « nouvel Hitler » du tiers-monde (9). Mais l'Iran de 2006 est-il l'Allemagne de 1933 ? Connaît-il un effondrement économique comparable à celui que la république de Weimar a subi en 1929-1932 ? La soif de reconnaissance de l'Iran est-elle identique à la volonté de revanche de l'Allemagne après la défaite de 1918 et le « diktat » de Versailles ? Probablement non. L'Iran souffre des problèmes - gigantesques - de tout pays du Sud (en particulier, une jeunesse très nombreuse et souvent sans travail), mais le pays s'ouvre malgré tout. L'Allemagne de 1933 était l'État le plus puissant au centre d'une Europe qui dominait encore le monde. Le Moyen-Orient ne gouverne pas le monde (même s'il lui fait peur) ; l'Iran n'est pas - comme l'Allemagne de l'entre-deux-guerres - un État clé déterminant l'avenir de sa région. Téhéran est seulement un protagoniste important parmi d'autres (Israël, Turquie, Arabie saoudite, Égypte).

Mahmoud Ahmadinejad a su comprendre les tensions qui traversent la société iranienne. Il est le porte-parole des petits et se montre très soucieux de rester proche d'eux (ne serait-ce que par sa manière de s'habiller). C'est un meneur populiste. Il a son « agenda » et ne doit certainement pas être réduit à une sorte d'idéaliste manipulé par les religieux. L'avenir d'Ahmadinejad demeure ouvert. Ce type d'individu est guidé par un motif élémentaire : garder un pouvoir qui, à ses yeux, lui est dû. Une attitude qui implique beaucoup d'opportunisme...

4) La géopolitique. Du point de vue géopolitique, c'est-à-dire d'un point de vue qui privilégie géographie et histoire, l'Iran et les États-Unis sont voués à être alliés. Les États-Unis sont l'ultime garant de la sécurité du Moyen-Orient. Leur allié majeur est Israël, mais l'État hébreu est petit et vulnérable. Alors que le monde arabe est en ébullition permanente, l'Iran, issu de la Perse millénaire, fournit un soutien idéal dans ce bourbier toujours au bord du chaos. Pour l'Iran, pris entre la Russie, la Turquie, le monde arabe et les tensions afghano-pakistanaises, les États-Unis constituent le meilleur des alliés : un allié à la fois riche, puissant et lointain. L'alliance États-Unis/Iran est dans l'ordre des nécessités géopolitiques, bombe iranienne ou pas (10). Encore Washington et Téhéran doivent-ils en être conscients, ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui...

En guise de conclusion...

Le faux problème est celui qui n'appelle aucune solution. Celui qui consiste à se demander comment faire l'économie d'un phénomène déjà existant ou inéluctable. Vouloir à tout prix éviter que l'Iran se dote de l'arme nucléaire relève de cette même quête inutile : l'Iran aura la bombe et n'y renoncera pas. L'attitude plus constructive, en revanche, consisterait à réfléchir aux moyens de « canaliser l'inéluctable ». Entendez : faire en sorte qu'un Iran nucléaire ne contribue pas, par son comportement, à accroître les incertitudes qui pèsent sur la région en particulier et l'humanité en général. La mise en place de l'« ordre nucléaire démocratique » dont nous avons parlé plus haut nous semble, à cet égard, la voie la plus adéquate.

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Notes :

(1) Le 7 janvier 1968, l'Iran - alors dirigé par le shah et placé sous la protection bienveillante des États-Unis - est l'un des premiers signataires du TNP, auquel il adhère le 2 février 1970. La participation de l'Iran au TNP fait donc partie de l'héritage du régime renversé en 1979. En même temps, dès 1967, l'Iran du shah se lance dans un ambitieux programme nucléaire, aidé par Washington. L'ambition nucléaire iranienne est donc également un legs du shah !

(2) Dans l'hypothèse où un État est agressé, la seule certitude qu'il possède est le fait que, très probablement, le Conseil de sécurité débattra de son problème... à moins que l'un des cinq membres permanents ne mette son veto à une telle discussion.

(3) Seuls trois États n'ont pas rejoint le TNP : Israël, l'Inde et le Pakistan.

(4) Voir l'admirable préface de Paul Valéry aux Lettres persanes de Montesquieu (Paul Valéry, OEuvres, La Pléiade, 1957, tome I, pp. 508-517).

(5) Ces trafics sont incarnés par un personnage digne des romans de James Bond, le tristement célèbre savant pakistanais Abdul Qadeer Khan, père de la bombe d'Islamabad et héros national dans son pays.

(6) L'accord doit être soumis au Congrès américain, qui peut tout autant l'approuver que le refuser.

(7) K. Waltz, « The spread of nuclear weapons : more may be better », Adelphi Paper 171, International Institute for Strategic Studies, Londres, 1981.

(8) L'ayatollah Khomeini s'installe au pouvoir le 1er février 1979.

(9) Dans les années 1950, Anthony Eden, premier ministre britannique, déclarait que Nasser était un nouvel Hitler. En 1979-1980, l'ayatollah Khomeini est à son tour vu comme un nouvel Hitler.

(10) Le très intelligent ambassadeur des États-Unis à Bagdad, Zalmay Khalilzad, paraît avoir compris que l'une des conditions pour sortir Washington du bourbier irakien est un dialogue avec Téhéran, l'Iran tenant à prouver que rien ne peut être réglé en Irak sans son accord.

Source
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la peur liée au 11 septembre 2001 peut peut-être apporter un début de réponse. l'influence jouée par certains new born christians ? en fait, je n'ai pas de réponse, juste des interrogations. à suivre les élections législatives du mois de novembre aux états-unis...

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Elections truquées? [29] Ok ils rêvent (enfin certains rêvent) d'une communauté des croyants internationale, je dirai plutôt que l'on se dirige vers une hégémonie régionale d'un pays et de sa religion qui bien que voisine de celle des pays soit disant frères n'en reste pas moins différente, avec tout ce que cela pourra comporter de St Barthelemy. Bush et consorts permettent à l'Iran de se grandir sur la scène internationnale en devenant un peu le phare du "monde mulsuman". Personnellement je trouve cette image très artificielle car à mon humble avis l'Iran se soucie plus de l'Iran que de la communauté des croyants (il y a un mot en arabe pour cette expression non?) Et défaite, c'est plutôt une défaite médiatique, et politique plus que militaire, l'armée israélienne a les moyens matériels de rayer de la carte le sud Liban et toute forme de vie s'y trouvant mais ils savent très bien que cela ne changera rien. Ils ont bien vu en matraquant le sud liban de manière aveugle que cela n'affectait pas les cibles désignées.

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il ne faut cependant négliger le traumatisme suscité par les attentats du 11 septembre. Si nous avions connu la même chose, comment les Français auraient-ils réagi ? comment toi ou moi aurions nous réagi ? et même si 60% des Américains votaient pour le parti républicain, cela signifierait que 40% ne l'auront pas fait ! bref ne pas faire de quelques cas une généralité valable pour un pays entier. il est intéressant également de constater que le soutien apporté par les américains à la guerre en irak ne cesse de s'effriter

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Et ne pas croire que seuls les républicains sont des faucons. Les démocrates ne seraient pas partis d'Irak du jour au lendemain, certes les avis divergent sur certains points mais l'Irak reste pour eux un objectif stratégico économique, d'autant plus qu'ils y engouffrent des sommes astronomiques chaque jour

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toujours est-il que l'arc chiite se renforce doucement. Iran chiites / irak à 60% chiite, il ne fallait pas être grand clerc pour se douter des éventuelles conséquences. les saoudiens sunnites voyant d'un mauvais oeil l'arrivée au pouvoir des chiites, les turcs ne voulant pas que les kurdes d'irak aient un poids politique conséquent, mais bon je m'égare là.

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Ca va pas tres fort pour le gouvernement Israelien.

JERUSALEM (AFP) - Le président israélien Moshé Katzav, censé être une autorité morale et un symbole de l'unité nationale, s'est vu mercredi contraint de s'expliquer devant la police dans le cadre d'une affaire de harcèlement sexuel qui pourrait le pousser à la démission.

Une équipe spéciale de quatre enquêteurs de la police a interrogé M. Katzav dans sa résidence officielle à Jérusalem, devant laquelle des dizaines de journalistes, se sont rassemblés.

"Je peux confirmer que les enquêteurs se trouvent chez le président", a indiqué à l'AFP le porte-parole de la police Micky Rosenfeld, précisant que l'interrogatoire devrait durer quelque deux heures.

Le scandale, qui fait la une de la presse, a pris une telle ampleur que la plupart des commentateurs estiment que Moshé Katzav n'aura pas d'autre choix que de démissionner.

D'ores et déjà les noms de successeurs potentiels circulent. Parmi eux figure notamment Shimon Peres, le numéro deux du gouvernement que Moshé Katzav avait coiffé sur le poteau lors d'un vote au Parlement en l'an 2000.

Les enquêteurs avaient déjà perquisitionné mardi dans les bureaux de M. Katzav, où ils ont saisi son ordinateur personnel ainsi que d'autres documents.

Le président est soupçonné d'avoir abusé de son autorité et contraint deux des employées de la présidence à entretenir avec lui des relations sexuelles, les menaçant des les licencier si elles repoussaient ses avances.

Les policiers vont également se pencher sur des soupçons concernant la façon dont le président a géré les dossiers de demandes de grâce de détenus qui lui sont soumis.

Selon les médias, il aurait favorisé certains prisonniers. Le quotidien Maariv affirme même qu'un des plus célèbre chefs de la pègre, Zeev Rosenstein, aurait été averti par des membres du bureau de M. Katzav de l'imminence de son arrestation. Zeev Rosenstein a ensuite été extradé vers les Etats-Unis pour une affaire de trafic de drogues.

Sur la base des résultats de l'enquête, le conseiller juridique du gouvernement, Menahem Mazouz, qui fait office de procureur général, devra décider de l'éventuelle inculpation du président, qui ne bénéficie d'aucune immunité liée à sa fonction.

L'affaire tombe au plus mal pour la classe politique. Le gouvernement est la cible d'une vague déferlante de critiques de l'opinion publique qui lui reproche une longue série d'erreurs et de négligences. Et, circonstances aggravantes, plusieurs autres responsables ont actuellement maille à partir avec la justice.

Le ministre de la Justice, Haïm Ramon, accusé d'avoir embrassé une jeune militaire contre son gré a été contraint de démissionner dimanche. Le député Tzahi Hanegbi, président de la commission parlementaire des Affaires étrangères et de la Défense, doit répondre des chefs d'inculpation de corruption, fraude, abus de confiance et parjure qu'il aurait commis durant son mandat à la tête du ministère de l'Environnement entre 1999 et 2003.

Selon la presse, le Premier ministre Ehud Olmert aurait pour sa part bénéficié d'un rabais de près d'un demi-million de dollars dans l'achat d'un appartement à Jérusalem en échange de faveurs à un entrepreneur.

Le chef d'état-major de l'armée, le général Dan Haloutz, est lui aussi sur la sellette pour avoir vendu un portefeuille d'actions quelques heures avant le déclenchement de la guerre contre le Hezbollah, le 12 juillet, avant que la bourse de Tel Aviv chute.

Moshé Katzav, 61 ans, un homme politique chevronné du parti Likoud (opposition de droite), était devenu en 2000 le premier homme de droite à occuper les fonctions de président de l'Etat hébreu.

Né en Iran, il est arrivé en Israël peu après sa création en 1948. Il a occupé à plusieurs reprises des fonctions ministérielles, notamment aux Transports et au Tourisme.

Son prédécesseur Ezer Weizman, décédé en avril 2005, avait été contraint de démissionner en 2000, trois ans avant l'expiration de son second mandat, à la suite d'un scandale de corruption.

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