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La première guerre mondiale


Rochambeau
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Je vous rassure, il n'y a aucun sujet de polèmique dans cette discussion (cela ma suffis de parler de la division xxx).

Et pour me faire pardonner d'avoir un peu(beaucoup)foutu la merde j'ai créé ce sujet.

Alors, dans ce topic il sera question de rendre des hommages et "de re-analyser" cette guerre.

L'hommage

On ne rendra jamais assez hommage au dévouement de ces brancardiers, qui, tandis que les combattants ont du moins pour les soutenir la fièvre de la lutte et l'espoir de rendre coup sur coup, ont pour unique fonction d'aller sous la mitraille secourir ceux qui tombent. Un de ceux qui les ont vus à l'œuvre, M. Jacques Diéterlen, leur consacre dans son volume Le Bois Le Prêtre, qui paraîtra prochainement à la Librairie Hachette, des pages émues dont nous sommes heureux de donner la primeur à nos lecteurs.

Brancardiers.... Brancardiers …

Héros sans gloire! dont les noms ne serorit jamais connus, plus vrais et plus magnifiques que beaucoup, parce que votre besogne était plus ingrate, parce que vous deviez affronter les plus grands dangers sans pouvoir vous défendre, parce que vous pouviez recevoir une balle de votre ennemi sans avoir la satisfaction de la lui rendre; brancardiers, héros obscurs, dont personne ne connaîtra jamais le dévouement, avec- votre musette à pansements pendue au côté, portant à deux votre brancard plié à l'épaule, comme vous étiez simples, comme vous étiez beaux!

« Brancardiers... brancardiers... » Besogne ingrate, d'autant plus ingrate qu'elle n'était pas directement commandée; devoir impérieux, et pourtant pas exigé, dont il eût été difficile de tracer les limites, votre tâche fut rude, brancardiers.

Pour vous, il pouvait ne pas y avoir de repos; jamais vous ne pouviez vous dire: « Maintenant, mon devoir est fini, » car, à coté du blessé que vous veniez d'emporter, il y en avait encore un autre qui vous appelait. Il fallait le prendre, lui aussi, le porter jusqu'au poste de secours, au Gros-Chêne, dans le ravin des Cuisines ou à Montau- ville, à travers les boyaux pleins d'eau, de boue, encombrés par des branches, des réseaux de fils de fer ou des cadavres; puis, à peine arrivés, vous deviez remonter, quelquefois sous le bombardement, vous débrouiller dans le dédale de boyaux bouleversés, reprendre un malheureux et redescendre encore.

Parfois, sous une fusillade intense, vous deviez aller ramasser les blessés qui gémissaient entre les deux lignes. Personne ne vous l'ordonnait; non, sauf la voix de l'humanité qui parlait en vous. Vous saviez que vous vous feriez tuer, vous saviez qu'après» avoir relevé votre blessé, vous seriez frappé par une balle ennemie. Oui, vous saviez tout cela, et pourtant, vous partiez en rampant, traînant votre brancard, et vous ne reveniez jamais.... L'homme aime à être commandé; il fait les choses qu'on lui ordonne de faire et n'accomplit pas celles pour lesquelles il n'a pas reçu d'ordres.

Vous, personne ne vous donnait d'ordres, vous ne répondiez à aucun appel, qu'à celui des blessés qui vous appelaient d'une voix déchirante:

« Brancardiers..,. Brancardiers....»

Et toujours la même plainte se faisait entendre, impérieuse, et toujours vous deviez partir, et chercher en rampant le malheureux qui, le corps meurtri, vops appelait comme un enfant....

Parfois, sur le brancard que vous portiez avec peine dans les tournants brusques des boyaux, en vous déchirant les mains aux fils de fer ou. aux pierres de l'étroit couloir, quelque blessé, pauvre loque humaine, dont le sang qui coulait formait de gros caillots noirs sur la toile brune, agonisait lentement, contractait sa figure jaunie, puis mourait'dans un râlé. Alors vous empoigniez ce corps dont là vie s'était définitivement retirée, et dont il ne valait plus la peine de s'occuper, et vous le jetiez par-dessus le boyau, pour rechercher un autre blessé, peut-être un ennemi dont le sang se mêlait sur le brancard à celui du soldat français précédemment porté....

« Brancardiers.... Brancardiers..... A boire....»

Ceux qui l'approchaient pour la première fois l'eussent pris pour un malade, tant il était pâle et maigre de visage.

Lorsqu'on le voyait à l'ouvrage, on avait de lui une impression de calme héroïque qui était la vraie.

De tempérament plutôt maladif, quoique n'ayant jamais songé à se faire évacuer, plus qu'à un autre, sa place aurait dû être dans quelque bureau de l'arrière. Mais il avait une si simple idée du devoir, que jamais il n'avait pensé qu'il pût être ailleurs. On l'avait placé là, il y restait, et il y resta jusqu'à sa mort.

Sans se plaindre jamais, sans jamais demander le plus petit soulagement à sa tâche, il était toujours le premier lorsque l'on réclamait des volontaires pour aller chercher les blessés; toujours il se présentait, avec sa figure maigre et pâle, d'une pâleur maladive, en vous regardant avec de grands yeux enfoncés dans leurs orbites. Sa voix était calme et douce; jamais il ne prononçait une parole plus haute que l'autre.

On l'avait nommé brancardier; mais, même à cette tâche, il considérait qu'il ne faisait pas suffisamment son devoir. Il aurait voulu tenir un fusil, On le vit un jour, après une attaque, enlever son brassard et partir seul à l'ennemi avec un fusil et des cartouches.

« Puisque les copains se font tuer, disait-il, moi aussi, je dois me faire casser la figure.»

Mais les balles ne voulaient pas encore de lui.

Savait-il seulement qu'il y .aurait une balle pour lui? Avait-il seulement conscience de ce que c'était que la mort? Il eût été permis d'en douter.

Lorsque le régiment arriva au bois Le Prêtre, les Allemands avaient établi devant leurs lignes une haie artificielle, destinée à leur permettre de travailler sans être vus, et à creuser leur dédale de boyaux et leurs profondes sapes qui rendirent la conquête du bois si longue et si pénible.

Le capitaine donna ordre à une escouade d'aller reconnaître le terrain derrière la haie. Lorsque l'escouade se fut approchée, elle fut prise en enfilade par des mitrailleuses cachées, et presque complètement anéantie.

Le soir, un adjudant ordonna d'aller voir s'il y avait des blessés.

G... fut le premier à se présenter, avec sa même figure pâle d'un calme impassible. Il rampa au milieu des broussailles, et parvint jusqu'à ses camarades qu'il trouva tous morts.

De retour dans la tranchée, il rendit compte à son chef qu'il n'y avait pas de blessés. Celui-ci, méfiant, fit mine de douter de sa parole, et l'accusa de n'avoir pas été jusqu'à la haie.

G... le regarda un instant avec ses grands yeux calmes—peut-être même fut-il plus pâle qu'à l'ordinaire — et ne dit rien.

Mais à la tombée de la nuit, il enjamba la tranchée, partit en rampant vers la haie, s'approcha de ses camarades morts et, à quelques mètres à peine de l'ennemi, leur enleva à chacun sa baïonnette et revint les déposer aux pieds de l'adjudant. Puis, comme la vue des cadavres de leurs camarades, qu'ils apercevaient chaque fois qu'ils regardaient aux créneaux, attristait les hommes, la nuit suivante, le brancardier partit seul, et ramena l'un après l'autre les dix cadavres, qu'il avait été ramasser sous les yeux de l'ennemi.

Pendant des mois, il fit ainsi son métier de brancardier, avec une rare abnégation, ne demandant jamais à se reposer; de jour, de nuit, dans l'eau des boyaux jusqu'aux genoux, il marchait toujours; et lorsque les blessés de sa compagnie avaient été ramassés, ne songeant même pas qu'il pût se réposer, il. allait relever les blessés d'une compagnie voisine.

En plein jour, il partait à découvert, traversait des endroits balayés par les balles, avec la même figure calme et froide, puis revenait avec un cadavre sur ses épaules.

C'était lui, toujours lui que l'on voyait partout, avec un sale cache-nez rouge enroulé autour du cou, son képi boueux enfoncé jusqu'aux oreilles.

Un jour, après une attaque, il savait que le corps d'un lieutenant était resté près des lignes ennemies. Il partit comme il était parti cent fois, seul. Ses camarades l'attendirent longtemps, croyant toujours le voir revenir avec un blessé ou un mort sur son dos.

On ne le revit jamais.

Longtemps après, on apprit de prisonniers allemands qu'il avait été tué par une sentinelle au moment où il relevait un blessé....

S'il put s'en rendre compte, il dut sûrement être heureux. Sa figure ne dut pas changer; elle dut rester pâle, de sa pâleur maladive, et impassible jusqu'à la mort qu'il dut voir venir avec les mêmes grands yeux calmes et un peu tristes avec lesquels il avait toujours regardé la vie.

II était pâle et maladif....

« Brancardiers.... Brancardiers.... »

Besogne ingrate, à l'accomplissement de laquelle vous receviez plus de reproches que d'éloges! Réprimandés non seulement par vos chefs qui trouvaient que vous n'étiez jamais là, vous étiez encore en proie aux plaintes impérieuses des blessés, qui se plaignaient que vous n'alliez pas assez vite, que vous preniez plaisir à marcher lentement, et qui demandaient, d'une voix mourante, de l'eau que vous ne pouviez pas leur donner.

Jamais un blessé ne vous a remerciés; jamais, dans sa plainte douloureuse, il n'eut une parole de reconnaissance pour vous qui accomplissiez la tâche la plus rude, la plus tragique pour arracher à la mort le malheureux déchiré par les balles ou par les obus. « Brancardiers.... Brancardiers.... » Encore et toujours, comme une obsession, ces mots vous poursuivaient sans cesse, venaient troubler votre repos, tinter à vos oreilles quand, accablés de fatigue, vous vous étiez endormis. Non, pour vous, il n'y avait pas de sommeil; pour vous il n'y avait pas de longues heures de calme. Vous n'aviez pas le droit de dormir, vous n'aviez pas le droit de vous reposer.

L'homme, ingrat, vous le faisait bien sentir.

Dans les tranchées et les boyaux il y avait toujours quelque mort à relever et à enterrer; il y avait toujours quelque chair pantelante, quelque bras ou quelque crâne défoncé dont la vue agaçait les hommes. Et vous arriviez, vous preniez tout cela avec vos doigts rougis et terreux et vous l'emportiez dans une toile de tente....

D..., petit paysan des Vosges, avait toujours un bon sourire sur les lèvres. Lui aussi ne connaissait pas la fatigue, il ne refusait jamais ses services, et semblait n'avoir jamais rien fait d'autre que son métier de brancardier. Il ne comprenait pas qu'on-pût rester sans rien faire. Ce qu'il lui fallait, c'était de longs boyaux pleins d'eau, dans lesquels il devait manier le lourd brancard. Alors, il se sentait dans son élément, fendait sa bouche jusqu'aux oreilles, lançait quelques bonnes plaisanteries, un peu lourdes, et empoignait son brancard de ses deux bras vigoureux de paysan. Quand il ne trouvait pas de blessés à relever, il partait «à la découverte d'un copain disparu », comme il disait lui- même.

Un jour, il partit ainsi chercher un officier tombé entre les lignes. Ses camarades ne s'aperçurent-ils pas qu'il était sorti? Le prit-on pour un ennemi? Une sentinelle française, un maladroit, le vit et fit feu. Il tomba.

On le retrouva quelques jours après, couché sur le corps du blessé qu'il était venu chercher.

Ceux-là furent des héros sans le savoir, et semblaient ignorer la peur. Celui-ci fut différent, mais non moins sublime.

C'était l'homme le plus petit de la compagnie, mais un des plus spirituels; sorti du pavé de Paris, la bouche pleine de chansons, les yeux pleins de malice, il passa au début pour un peureux. On disait qu'il était « froussard ». Et, de fait, on le vit maintes fois baisser la tête, ou s'esquiver d'une besogne dangereuse. Il s'aperçut un jour qu'on se rendait compte de sa peur, qui n'était peut-être qu'une répulsion instinctive, et qu'on commençait à le tourner en ridicule. Alors, son caractère de jeune gavroche se révolta, et comme un gamin de Paris admet rarement qu'on se moque de lui, il employa toutes les forces de sa volonté à faire disparaître cette réputation qu'on lui avait faite.

Et il y arriva si bien, que bientôt on le connut comme un des plus braves.

Par un effort d'énergie admirable, il dompta la première répulsion qu'il avait eue à toucher un cadavre ou à relever un blessé.

Il ne voulait pas qu'il fût dit qu'il avait peur.

Chaque fois qu'il y avait un blessé entre les lignes, il regardait, pour aller le chercher, qu'il fût seul. Alors il partait et ramenait son camarade.

D'abord, cela étonna. Bientôt on s'aperçut qu'il devenait un brave, et on le respecta. Mais, pour parvenir au but qu'il voulait atteindre, pour dompter sa répulsion naturelle, il n'y ajvait rien qu'il ne surmontât, il n'y avait pas de mitrailleuse qui pût l'en empêcher.

Un jour, un obus le broya dans un boyau au moment où, par un admirable effort de volonté, le petit gavroche était venu à bout de toutes ses craintes et s'était élevé jusqu'au rang des plus braves.

« Cette petite grande âme venait de s'envoler. »

« Brancardiers.... Brancardiers....»

Vous étiez trop simples, vous étiez trop courageux. Les balles cherchent les héros. Vous étiez trop beaux pour vivre. La mort vous a tous appelés à elle l'un après l'autre; et maintenant il ne subsiste de vous tous qu'un seul, trop meurtri pour revoir jamais le bois qui fut votre linceul glorieux....

Tant d'émulation vous tuait chacun à son tour. Le gouffre vous attirait. Vous n'entendiez pas les balles, porteuses de la mort, qui bourdonnaient à vos oreilles comme des abeilles.

Vous partiez en plein jour, n'écoutant que la plainte des blessés, jusqu'au moment où vous receviez une balle tirée par quelque lâche sentinelle ennemie.

Alors, comme un grand arbrequitournoie, vous tombiez lourdement à terre, en emportant dans la mort le corps que vous étiez venu relever....

Hélas, durant les longs mois de souffrance et d'héroïsme que la division passa au bois Le Prêtre, d'autres aussi payèrent de leur vie le simple accomplissement de pur devoir.

Texte extrait du site:

http://www.greatwardifferent.com/Great_War/French/Brancardiers_01.htm

Et pour nos  infermières:

C:\Documents and Settings\lebon\Mes documents\manga\autres\divers dossier\Berck, monument en hommage aux infirmières.mht

C:\Documents and Settings\lebon\Mes documents\manga\autres\divers dossier\Le souvenir de la 1ère GM en Champagne-Ardenne - Les cimetières britaniques - Le monument aux infirmières de Reims présenté par Jean-Pierre Husson.mht

Et pour une "analyse" de la guerre:

http://www.sambre-marne-yser.be/sommaire.php3

A savoir que le site ne concerne que les batailles de Aout-Novembre 1914.

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L'aviation aux Dardanelles

Aux précieux services qu'ils rendent chaque jour, nos aviateurs joignent souvent un peu de cette aventure héroïque qui ajoute de la beauté à l'utilité de leur rôle. Et cela dans tous les horizons: aussi bien aux rives des canaux jadis silencieux que dans l'infini des steppes et dans les ciels tissés de soleil et d'azur.

Ils n'ont d'ailleurs pas qu'une manière d'être les poètes de l'action, car parfois il arrive que l'un d'eux, fort joliment, conte ses gestes et note ses impressions.

Témoin ces extraits de la correspondance avec un ami parisien d'un de nos aviateurs des Dardanelles, qui opère là-bas au-dessus de ces régions que « Bacchus a foulées de ses pieds divins », comme dit Banville, et de cette Ténédos dont le vent d'Orient parfume les rives.

Camp de Ténédos, juin 1915.

Notre camp est installé ici faco à celui des Anglais. Il comprend un certain nombre de hangars de toile. Quant à notre cantonnement, il est fait de caisses et de tentes. A l'habite pour ma part une des caisses de mon avion, que j'ai aménagée en villa, avec tout le confort moderne!

Notre chef d'escadrille est le capitaine C..., qui fut le héros du premier bombardement de Frescaty. Nous volons par 25 et 30 mètres de vent; mais, comme il est très régulier, nous ne sommes pas trop à plaindre. Un nombreux personnel mécanicien, un parc important et un convoi de mules landaises complètent notre expédition. Nous avons chacun un cheval, mais aucune automobile.

Le canon est à quelque cent mètres de la mer. L'île est très pittoresque. La seule ville, Ténédos, où habitent un milier de Grecs, est à 12 kilomètres de nous.

Notre travail le plus remarqué jusqu'ici a été la photographie aérienne, que nous avons réussie d'une façon très intéressante grâce à la clarté de l'atmosphère. Les Anglais ont beaucoup apprécié cette spécialité et commencent à s'y mettre. Je fais installer en ce moment sur mon nouveau biplan un cinéma aérien.

Je dis « mon nouveau biplan », car les Turcs m'ont démoli le mien il y a cinq jours, lors d'un atterrissage au cap Hellès: deux obus en plein dans l'appareil. Quelques mottes de terre et des pierres dans la figure, tel fut mon lot, mais l'avion était littéralement haché.

Affecté à l'artillerie, je fais également des reconnaissances et des vols de surveillance en mer, pour la chasse aux sous-marins. Voilà un sport passionnant où l'on ne s'ennuie pas une minute! Pendant des heures, à 50 ou 100 mètres au-dessus de l'eau, on fouille la mer à la recherche du sillage révélateur qui permettra d'envoyer par T. S. F. aux destroyers le signal d'accourir. Quand on tient un de ces pirates, c'est la poursuite éperdue de quinze ou vingt contre-torpilleurs qui cherchent à encercler le sous-marin... Malheureusement, il s'échappe la plupart du temps.

...L'altitude moyenne de nos vols au-dessus de l'ennemi est entre 1.200 et 1.600 mètres. 2.000 mètres sont ici une précaution superflue, tout juste bonne à vous faire prendre froid.

Nous avons 35 kilomètres de mer à traverser pour aller du camp de Ténédos au cap Hellès, et ce n'est pas une des moindres bizarreries de cette guerre que le contraste de notre calme petit coin, si paisible qu'on y entend à peine le canon, et de cette fournaise où ne cessent jamais le grondement des grosses pièces, le crépitement de la fusillade et les mille bruits de la guerre.

Le retour ici est déjà un repos et le spectacle est admirable, au crépuscule, de ces îles dorées par les derniers rayons du soleil qui s'enfonce dans la mer. C'est la seule distraction, dont nous ne nous lassons jamais, de notre vie de Robinsons.

3 juillet

Le général Gouraud nous appréciait et avait cité notre escadrille à l'ordre du jour le 21 juin pour la part qu'elle avait prise à l'attaque du Kéréves Déré. A 6 pilotes, nous avons volé près de soixante heures. Pour ma part, j'ai fait neuf heures et j'étais littéralement épuisé: j 'ai été la semaine dernière cité à l'ordre de l'armée.

J'ai fait de nombreux bombardements avec les nouvelles bombes.

A chaque voyage, j'en emporte deux. Elles font merveille. Je vais lâcher ces produits, la nuit, chez ces bons Turcs qui ont gardé la bonne habitude d'éclairer les villages et les campements.

La semaine dernière nous sommes partis à six sur le coup de minuit, avec une moyenne de 80 kilos de projectiles par appareil, que nous avons lancés sur le quartier général turc du Seghou Déré Le retour au-dessus de la mer fut féerique. J'étais monté assez haut et, tandis que je descendais sur l'île, je voyais les signaux électriques k de mes camarades plus bas que moi et l'ombre à peine perceptible de leurs ailes. Les Anglais se sont intéressés à ces sorties en bande et nous devons faire incessamment une grande promenade nocturne avec eux. Nous serons une vingtaine.

6 juillet

Depuis deux ou trois jours, les avions allemands se montrent timidement et essaient quelques petits bombardements sans importance que nous avons vengés hier en bloc.

Escortés par nos avions rapides, nous sommes partis toute une escadrille de 16 appareils de bombardement, dont 4 anglais, à 6 heures poulie camp d'aviation de Tchanak que nous avons copieusement arrosé. Le succès du raid a été pour un des Anglais qui a jeté deux projectiles de 75 kilos juste au milieu du plus grand hangar, que nous avons vu brûler pendant tout le trajet du retour. Avant de rentrer, toute l'escadrille est venue dénier en ligne sur le Grand Quartier Général et nous sommes rentrés sans incident au nid.

Le 4, un sous-marin turc que nous avions signalé la veille dans nos eaux est venu couler le Carthage. Trop tard du reste, car on venait d'en débarquer 1.500 hommes et 40.000 obus de tous calibres. J'étais en l’air à ce moment-là, à l'heure fraîche — midi! — et ce fut si vite fait que je n'ai guère vu que le bouillonnement de l'eau et le grouillement des hommes au milieu des débris de toutes sortes qui marquaient la place du navire. Des chalands étaient à proximité et il n'y a eu que fort peu de victimes; quant à la perte du bateau, elle est de peu d'importance.

18 juillet

J'ai gagné une jolie citation et la croix de guerre, mais mes survols de nuit m'auront aussi valu le plus beau souvenir sportif de ma vie de pilote: la Marmara et l'Egée au clair de lune avec toutes les côtes de Bulgarie jusqu'à la Syrie, voilà un spectacle que peu se seront offert sur le coup de minuit. Rien que pour le plaisir de le revoir je recommencerais!

Ce n'est du reste pas aussi dangereux qu'on pourrait le croire et, panne à part, je préfère voler en mer que sur terre. On ne peut pas se perdre: les îles les plus éloignées, comme Lemnos et Samothrace, se distinguent parfaitement et certains soirs le mont Athos lui-même découpe sa silhouette pointue à l'horizon.

Ténédos, c'est une petite tache noire que ses deux phares marquent sans erreur possible, et je craindrais bien davantage de manquer l'aérodrome de Bue que de rater notre île en pleine mer.

Depuis notre bombardement du camp d'aviation turc de Tchanak nous n'avons pas revu d'avions boches; la leçon a su et les dégâts ont dû être sérieux.

6 août

Imagine-toi que j'ai été très proprement descendu, hier soir vers 7 h. 30, par un obus turc, alors que je faisais une tranquille promenade chez eux. J'étais parti de Ténédos un peu avant six heures en compagnie d'un officier de l'état-major du C. E. O. qui voulait visiter la côte asiatique et l'intérieur des terres d'Asie Mineure, vers Esine, et je faisais tout à mon aise route sur ce dernier patelin, quand un claquement sec me tire de ma quiétude. On nous canonne de près et je suis touché; je me retourne et, avant que j 'aie eu le temps de dire un mot, un bruit affreux de ferraille, un craquement abominable me fixe sur ce qui vient d'arriver: carter crevé, salade de bielles de vilebrequin, etc. L'appareil brusquement chahuté se rétablit et je me retrouve à plat, l'hélice en bandoulière, à 1.800 mètres de haut chez les Turcs.

Le capitaine me demande ce que je vais faire. Nous avons vent debout pour rentrer et la côte est bien à 6 kilomètres. Je me crois fichu et je descends vers Ja mer en perdant le moins de hauteur possible. Il est entendu qu'on va tâcher de gagner la plage ou la mer et qu'on avisera. Ça va mal d'abord, mais arrivé à 1.200 mètres, je tombe dans un courant de vent favorable. En quelques secondes je sens que ça change; on prend de la vitesse. Je me mets à plat et l'avion s'en va vers la mer que nous atteignons bientôt. Il y a encore près de 8 kilomètres à faire avant de toucher terre; j'allonge la descente par la plus invraisemblable feuille morte que je me sois jamais permis; l'appareil se traîne comme un papier gras dans le vent; je passe le phare... Enfin ça y est et nous sommes sauvés; j'amerris en vue de Ténédos et nous attendons patiemment du secours.

On nous a vus et, un petit quart d'heure après, un chalutier nous recueille à peine mouillés. Nous revenons de loin! Près de 15 kilomètres en vol plané dont la moitié à moins de 1.200 mètres et sous le feu intensif des Turcs, furieux de voir leur échapper une proie qu'ils avaient cru tenir. J'étais content, je t'assure, de secouer sur le pont mes bottes mouillées et j'ai vu couler sans grand regret mon pauvre vieux coucou que deux cents heures de vol n'avaient pas démoli.

Tu vois que j'ai failli finir hier prématurément ma campagne d'Orient; j'aurais vu pour tout de bon la Turquie!

Ce petit incident ne m'a pas donné un repos bien long; ce matin j'ai déjà touché un coucou neuf, nouveau modèle, et, à quatre heures, je l'étrennais à Sarros où la bataille fait rage depuis cette nuit. Nous avançons, paraît-il, et tous les espoirs sont permis cette fois. Espérons donc...

Le jour même où, les pages précédentes s'imprimant déjà, celle-ci allait être mise soits presse, le destinataire des lettres dont on vient de lire des extraits en recevait une dernière...

C'était définitivement la dernière... Le sergent-aviateur ...... — il ne nous est pas permis, même maintenant, de le nommer — est mort, en service commandé, victime d'un de ces accidents qui guettent, à chacun de leurs vols, tous ces intrépides. Et sa suprême lettre à son ami était accompagnée de ces lignes, d'une autre écriture:

Ile de Ténédos, 26 août 1915

« Monsieur,

» ...... vient de mourir. Pris dans un tourbillon à 200 mètres de hauteur, entre Ténédos et le cap Hellès, à 500 mètres des îles Mavros, il est tombé et la mer l'a retenu une heure et demie.

» Il était accompagné du sous-lieutenant ...... qu'il avait comme passager. Celui-ci a roule dans les abîmes de l'Egée et son corps n'a pas été retrouvé. Nous avons pu repêcher votre ami, les mains sur son levier, ayant lutté jusqu'au bout; il avait le corps légèrement incliné à droite; ses jambes étaient prises dans le plancher de la carlingue. Il avait reçu un coup au cœur et des ecchymoses au visage, ses membres étaient fracturés en plusieurs endroits et sa mort a dû être rapide.

» J'ai trouvé dans la caisse qu'il habitait cette lettre qui vous était destinée et vous la trouverez ci-jointe. Vous êtes le dernier à qui il a écrit.

» Monsieur, je pleure cet ami et je vous salue.

» G. B. »

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