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Des amateurs, pour des pièces de F-14 ?


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Des amateurs, pour des pièces de F-14 ?

15/06/2007 - 07h49 - © BusinessWeek

Ou comment l’Iran accède à la technologie militaire confidentielle du ministère de la Défense américain.

Pour sa famille et pour ses amis, Reza Tabib avait toujours été un modèle, une preuve qu’un immigré pouvait commencer une nouvelle vie. Fils d’un juge iranien, Tabib était moniteur de vol à l’aéroport John Wayne de l’Orange County, en Californie. Il parlait quatre langues, et  ne manquait ni de bon sens, ni d’humour.

Des agents du service d’investigation criminelle de défense du Pentagone ont découvert que Tabib avait un autre talent : il fournissait  à l’armée iranienne des pièces détachées d’avions et de missiles confidentiels. Le 7 mai, un juge fédéral de Santa Ana, en Californie, a condamné Tabib,  cinquante-deux ans, à deux ans de prison pour avoir aidé l’Iran à se procurer des composants de l’avion de chasse F-14  Tomcat. Cet avion à ailes en flèches était utilisé il y a quelque temps par l’armée américaine - et par le personnage incarné par Tom Cruise dans le film Top Gun. Le très pro-occidental Shah d’Iran en avait lui-même acheté quatre-vingts avant sa chute, en 1979. Aujourd’hui, l’Iran est le seul pays à faire voler ces avions vieillissants, et les Etats-Unis interdisent tout envoi de matériel lié au F-14 vers ce pays du Moyen-Orient.

Certains officiels des forces de l’ordre affirment que Tabib et un associé obtenaient très facilement des milliers de composants du F-14 Tomcat d’une source inattendue : la société en ligne qui, en partenariat avec le gouvernement américain, vend aux enchères les surplus de l’armée au public.

Des enquêteurs du ministère de la Défense et du Department of Homeland Security soulignent qu’il y a des dizaines de cas similaires d’équipements confidentiels qui se seraient glissés dans le système de vente des surplus de l’armée. En mars, des enquêtes sur des pièces de F-14 à destination de l’Iran ont permis de découvrir quatre avions entiers entreposés dans deux aérodromes californiens. Une base de la Marine américaine, située à proximité, avait irrégulièrement vendu trois avions à un marchand de ferraille. De petits musées en avaient finalement fait l’acquisition. Le quatrième avion avait été acheté pour 4000 dollars par Paramount Pictures pour sa série télévisée JAG.

Affaire après affaire, les enquêteurs ont trouvé des pièces et des équipements sensibles dans les entrepôts de sociétés écrans. Ou bien dans les maisons et attachés-cases de revendeurs intermédiaires qui tentaient de les livrer à de potentiels adversaires. Malgré les précautions prévues par la loi et les procédés mis en ?uvre, la négligence, un mode d’archivage archaïque, et l’incapacité à contrôler les identités et les intentions des acheteurs ont contribué à un pullulement de produits militaires made in USA sur le marché noir mondial. Les autorités affirment qu’une grande quantité de pièces détachées sont parvenues jusqu’en Iran, ainsi qu’en Chine et en Syrie.

Une enquête en cours, amorcée à la suite d’une fouille dans un immeuble suspect en Californie, en 2005, éclaire de façon plus inquiétante encore la perméabilité du Pentagone. Quand les enquêteurs du ministère de la Défense ont effectué une descente sur leur cible, ils ont trouvé comme prévu la cachette des pièces de F-14, apparemment à destination de l’Iran. Mais ils ont été abasourdis de découvrir que les composants en question étaient ceux-là mêmes qu’ils avaient interceptés durant une autre enquête, deux ans auparavant. Étaient même toujours fixées aux composants les étiquettes marquant les pièces à conviction apposées lors de l’autre enquête, au terme de laquelle trois personnes avaient été jugées coupables de trafic de pièces détachées avec l’Iran. Après être revenues au Pentagone, les pièces de F-14 avaient été revendues et, une fois encore, étaient en route pour l’Iran, comme l’affirme Rick Gwin, agent spécial du Pentagone en charge de l’enquête en cours : « Mon indignation a été extrême, c’est le moins qu’on puisse dire », confie-t-il.

Chaque année, l’armée américaine liquide des millions d’articles : des bottes, des bateaux, des ordinateurs et des pièces d’avion, entre autres. Ceux qui ne sont pas détruits, à cause de leur nature sensible, ou offerts aux autres agences gouvernementales, sont la plupart du temps proposés dans des ventes aux enchères en ligne, de type eBay, par Government Liquidation, une entreprise privée. Le Pentagone attribue à chaque article un numéro unique à 13 chiffres et un code indiquant si celui-ci doit être détruit ou vendu. Certains articles dits sensibles peuvent tout de même être vendus aux enchères, à condition que l’acheteur accepte de signer des formulaires stipulant comment et par qui les achats pourront être utilisés.

Le tri, la mise au rebut et la vente sont gérés par Government Liquidation et par une branche de Liquidity Services Inc., basée à Washington D.C. Depuis 2001, Government Liquidation a le monopole de la vente des équipements militaires dont le ministère de la Défense ne veut plus. L’année dernière, cette société a vendu aux enchères environ 19 millions d’articles. Quelque 613 000 inscrits, pour la plupart des petites entreprises, ont le droit de proposer des offres sur le site govliquidation.com. La société garde jusqu’à 30,5% des recettes, ce qui revient souvent à quelques centimes engrangés par dollar déboursé à l’origine par l’armée. Au deuxième trimestre de 2007, les ventes de surplus militaires représentaient 58% des 49,3 millions de dollars du chiffre d’affaires de la maison mère Liquidity Services (le reste étant constitué des ventes de surplus provenant de 350 clients industriels).

Government Liquidation déclare suivre scrupuleusement les règlementations du Pentagone. Mais des agents en civil d’une unité spéciale du Government Accountability Office (GAO), l’instrument d’enquête du Congrès américain, ont récemment démontré combien il était facile pour un particulier d’obtenir des composants sensibles du ministère de la Défense.

Dans un rapport publié en juillet dernier, le GAO décrit comment ses enquêteurs ont fait de multiples achats qui n’auraient pas dû être possibles sur le site de Government Liquidation. Ils ont acheté des gilets pare-balles renforcés (les mêmes que ceux qui sont utilisés actuellement par les soldats américains), du matériel de test pour missiles, et des composants électroniques pour F-14. En tout, les enquêteurs ont identifié des milliers de cas où des articles confidentiels, qui auraient dû être soit conservés par l’armée soit détruits, ont été vendus en ligne au public. Dans d’autres cas, des enquêteurs du GAO, se faisant passer pour des entrepreneurs en contrat avec l’armée, ont procédé à des achats en personne, sortant des entrepôts des surplus du ministère de la Défense avec des supports en métal pour lance-missiles portables et autres équipements sensibles.

2669 “ARTICLES MILITAIRES SENSIBLES”

Le GAO rejette la faute à la fois sur l’armée et sur ses entreprises partenaires. « Des articles militaires sensibles sont toujours, à l’heure actuelle, mis à disposition du public et vendus de manière inappropriée, ce qui fait courir un risque à la sécurité nationale”, conclut le rapport du GAO. Government Liquidation ne vérifie pas les classifications des équipements dits sensibles, et vend des articles qui auraient dû être rendus à l’armée ou détruits. L’effet combiné est que le gouvernement ne sait parfois pas à qui il vend, ni ce que les acquéreurs comptent faire de cette technologie militaire.

Liquidity Services a évoqué l’étendue de sa responsabilité potentielle dans son rapport annuel 10-K à la Securities and Exchange Commission, le 22 décembre 2006. La société a pris note des enquêtes qui impliqueraient 79 acquéreurs qui auraient acheté 2669 articles entre novembre 2005 et juin 2006. « Il se peut que ces acquéreurs aient acheté ces articles militaires sensibles auprès de nous », a déclaré la société. « Si une enquête nous impute des activités illégales ou abusives, nous pourrions être soumis à des peines civiles et criminelles. » La société a cependant toujours nié avoir eu le moindre comportement délictueux.

En réponse aux révélations sur des ventes au marché noir de pièces détachées de F-14, la Chambre des représentants a voté une loi qui pourrait interdire au Pentagone de vendre tout matériel liéà ce modèle d’avion. Le Sénat devrait examiner la mesure en juin. Dans une lettre du 9 avril adressée au sénateur démocrate de l’Oregon, Ron Wyden (un des instigateurs de la loi), Government Liquidation déclare avoir pris la décision de ne plus vendre de composants du F-14 afin de « s’assurer que l’Iran ne se procure ces composants par aucune filière, y compris celle des ventes des surplus du ministère de la Défense ». La société précise dans la même lettre qu’elle « a toujours cherché à placer la sécurité nationale avant les profits ».

Le Pentagone, pour sa part, a demandé à Government Liquidation de développer de meilleurs moyens de suivi des stocks. « Ils sont venus nous voir et nous ont demandé : Pouvez-vous nous aider à réparer cela ? », déclare Julie Davis, porte-parole de Government Liquidation. Des lecteurs de code-barre ont remplacé les retranscriptions à la main des archives en papier et des numéros de classification à rallonge. De nouvelles bases de données informatisées et la centralisation des entrepôts garantiront une meilleure cohérence, comme l’affirme Julie Davis. « Les systèmes mis en place sont de loin supérieurs à tout ce qui a été fait avant », ajoute-t-elle. Dawn Dearden, porte-parole de l’agence pour la logistique de défense du Pentagone, en convient : les garde-fous sont maintenant conformes. Le Pentagone a « réduit significativement la disponibilité » des articles sensibles, et a renforcé les restrictions sur les possibilités d’achat de composants, déclare-t-elle.

Le représentant républicain du Connecticut, Christopher Shays (supporter lui aussi de la loi F-14), n’est pas convaincu. « Il leur reste beaucoup de chemin à faire », insiste-t-il.  John P. Ryan, un ancien agent des services secrets américains qui a supervisé les enquêtes du GAO sur le Pentagone et sur Government Liquidation, note des progrès dans les ventes des surplus militaires. Mais il souligne que les produits dits sensibles peuvent encore trop facilement tomber dans de mauvaises mains : « Le système est vulnérable. »

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