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Pérou


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https://www.revue-ballast.fr/retour-sur-le-communalisme-inca/ (6 octobre 2022)

Nous sommes au début du XVIIe siècle. Depuis une centaine d’années, l’Espagne et le Portugal écrasent un continent entier qu’on appelle désormais Amérique latine. Les grands ensembles politiques préexistants se sont effondrés. Ainsi du Tawantinsuyo, l’Empire inca qui couvrait jusqu’alors un vaste territoire sur les Andes. C’est à cette époque que Gómez Suárez de Figueroa, mieux connu sous le nom d’Inca Garcilaso, s’est attaché à décrire ce qu’avait pu être le régime politique déchu. Sa constitution. Ses réalités sociales. Les Commentaires royaux sur le Pérou des Incas, élaborés comme un acte de résistance, fait de lui le premier auteur « indien » que connaît l’Europe et contribue à introduire des thèmes dont la postérité ne fera que croître de part et d’autre de l’Atlantique. Du « Buen vivir » andin aux principes du « Buen gobierno » zapatiste, la mémoire utopique de l’Inca Garcilaso a longtemps été vive. Le socialiste péruvien José Carlos Mariátegui écrivait ainsi en 1927 : « Le passé inca est entré dans notre histoire, revendiqué non par les traditionalistes, mais par les révolutionnaires. » Le philosophe Alfredo Gomez-Muller revient, dans un ouvrage paru aux éditions Libertalia, sur la trajectoire d’un texte parmi les plus commentés dans l’Histoire. Nous en publions un extrait.

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  • 3 weeks later...

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https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/03/au-perou-derriere-la-crise-politique-une-explosion-sociale-aux-racines-profondes_6164047_3210.html

Article payant, dont on n'a qu'un tout petit aperçu gratuit, mais qui semble être moins intéressé par une distribution de bons et de mauvais points que par une volonté de comprendre les ressorts profonds de la crise. Il est signé par deux autrices respectivement correspondante au Pérou et correspondante à Bogota.

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Il y a 20 heures, Wallaby a dit :

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/03/au-perou-derriere-la-crise-politique-une-explosion-sociale-aux-racines-profondes_6164047_3210.html

Article payant, dont on n'a qu'un tout petit aperçu gratuit, mais qui semble être moins intéressé par une distribution de bons et de mauvais points que par une volonté de comprendre les ressorts profonds de la crise. Il est signé par deux autrices respectivement correspondante au Pérou et correspondante à Bogota.

Intéressant en effet. Le texte:

Révélation

Enquête La destitution par le Parlement du président péruvien Pedro Castillo, en décembre, a plongé le pays dans le chaos. Inégalités sociales abyssales, disparités régionales, racisme, corruption endémique : les raisons de la colère se superposent et se renforcent

Trois mois après le début de la crise politique provoquée par la destitution du président de gauche Pedro Castillo, le 7 décembre 2022, et attisée par la férocité de la répression policière, le Pérou continue de se déchirer. Jeudi 2 mars, un nouveau contingent de manifestants arrivait à Lima, la capitale, depuis le sud du pays. Même si l’intensité de la contestation semblait avoir diminué au cours des semaines précédentes, la colère populaire ne tarit pas. « Dina dynamite, Dina tueuse », scandent toujours les manifestants, en brandissant les portraits de leurs camarades tués au cours d’un trimestre de violences. Ils exigent le départ de Dina Boluarte, la vice-présidente arrivée au pouvoir après la chute de Pedro Castillo et son coup d’Etat manqué, mais également la tenue d’élections immédiates et la formation d’une Assemblée constituante. Or, Mme Boluarte n’entend pas démissionner et le Congrès se refuse à convoquer des élections anticipées.

« Que se vayan todos ! » (« tous dehors ! ») : le slogan clamé dans les cortèges dit une rage profonde. Inégalités sociales abyssales, disparités régionales, racisme, corruption endémique : les raisons de la colère se superposent et se renforcent. Alors que les fractures du Pérou sont anciennes, le pouvoir parie sur l’usure du mouvement. Certains analystes politiques redoutent, au contraire, une escalade nourrie de malaise social, sur fond de dérive autoritaire.

La révolte est partie des campagnes. Les premiers à se mobiliser ont été les paysans autochtones (le terme s’emploie au Pérou pour désigner les peuples originaires ou indigènes, le mot « indien », qui vient de la colonisation, étant perçu comme une insulte). Ils avaient massivement voté pour Pedro Castillo, issu, comme eux, du monde rural. Le sud du pays, d’où est partie la vague de protestation, a également été le principal théâtre du déchaînement des violences policières. Au total, quarante-huit manifestants et un policier ont été tués.

Décrété début décembre 2022, puis élargi et prolongé, l’état d’urgence est toujours en vigueur dans sept régions. Pendant des semaines, le déploiement des forces de l’ordre a été impuissant à ramener un semblant de normalité dans le pays. Une vingtaine de routes sont toujours bloquées, les problèmes d’approvisionnement en denrées alimentaires, gaz et essence se font sentir et les prix explosent. L’« autoroute » du corridor minier a finalement été rouverte, permettant la sortie du minerai de cuivre, dont le Pérou est le deuxième producteur mondial.

Besoin d’un nouveau pacte social

Tout a commencé lorsque, le 7 décembre 2022, le « président des pauvres », Pedro Castillo, a annoncé la dissolution du Congrès, alors que les députés s’apprêtaient à engager une procédure de destitution à son encontre. Une partie de la gauche avait alors lâché M. Castillo et voté sa destitution avec la droite, en invoquant une tentative de coup d’Etat. Personne n’a oublié la dissolution du Congrès provoquée, en 1992, par le président Alberto Fujimori (1990-2000), ni les huit ans de régime autoritaire qui ont suivi.

Pedro Castillo, après l’échec de sa manœuvre, est arrêté. Sa vice-présidente, Dina Boluarte, est investie. La droite, qui, depuis des mois, tentait de le renverser, jubile. Le Congrès peut croire qu’il a repris le contrôle de la situation. Mais le Sud rural explose bientôt. « Nous avions notre président, on nous l’a pris », déplore un paysan, à Cuzco, pendant les manifestations. Pour ceux qui descendent dans les rues afin de protester, Pedro Castillo incarnait un Pérou qui ne se sent pas représenté à Lima.

Issue du même parti de gauche que M. Castillo, Pérou libre, Dina Boluarte est alors perçue comme une traîtresse. Pour Fernando Tuesta, qui a dirigé le Bureau national des processus électoraux, « Mme Boluarte aurait pu et dû annoncer des élections dès le jour de son investiture. Mais elle a choisi de s’appuyer sur la droite dure au Congrès et sur les forces de l’ordre pour contrôler la rue ». Malgré la répression aussitôt mise en place, la mobilisation s’étend au reste du pays, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. « Plus encore que le départ de M. Castillo, c’est l’attitude de Mme Boluarte qui a renforcé la colère », juge l’historien Raul Asensio, de l’Institut d’études péruviennes (IEP) de Lima.

Faute de solution politique en vue, les manifestants exigent l’organisation d’une Assemblée constituante, chargée de définir un nouveau pacte social et de rétablir la stabilité institutionnelle. Héritée du gouvernement Fujimori, l’actuelle Constitution favorise le secteur privé, limite les obligations de l’Etat à l’égard de la population et facilite la destitution des présidents

 

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Révélation

« Racialisation de la géographie »

Mais cela n’explique pas complètement l’instabilité politique. Aucun des six présidents élus depuis 2016 n’a terminé son mandat. En six ans, le pays a connu quinze premiers ministres et plus de deux cent cinquante remaniements ministériels. Le Pérou est devenu le pays le plus inconstant du continent. L’un des plus inégalitaires également : 1 % de la population détient 28 % des richesses, selon le World Inequality Report 2022.

« Le Pérou a peu changé depuis la fin de la vice-royauté, il y a deux cents ans [lorsqu’il a obtenu, en 1821, son indépendance de la couronne espagnole]. Les élites de la capitale continuent de tourner le dos au reste du pays et de le mépriser », explique le juriste et ex-ministre de la justice Diego Garcia-Sayan. Lima vit dans une bulle sur la côte Pacifique, loin des Andes qui traversent le pays du nord au sud, et de l’Amazonie dans le Grand-Est. Mosaïque humaine, le pays compte cinquante-cinq peuples autochtones et presque autant de langues parlées. Les locuteurs quechua et aymara, les plus importants numériquement, représentent 4,5 millions de personnes sur une population de 33 millions.

« Dans la représentation imaginaire que se font les Péruviens de leur pays, il y a Lima : moderne, occidentale et peuplée de Blancs – ce qui est évidemment faux. Ensuite, il y a les Andes rurales qu’habitent des indigènes archaïques. Et, enfin, la forêt, sauvage et inexploitée », décrit l’anthropologue Guillermo Salas de l’Université pontificale catholique du Pérou, qui parle d’une « racialisation de la géographie ».

La réalité est infiniment plus contrastée. Il y a plus de Péruviens qui parlent le quechua à Lima que partout ailleurs dans le pays. La plupart des richesses minières, pétrolières et gazières du pays sont localisées dans les Andes et en Amazonie. Le tourisme y est en expansion. Plus de 55 % des habitants de l’Amazonie vivent en ville. Les jeunes autochtones font de plus en plus d’études.

Au Pérou, parler une langue autochtone ou se vêtir d’habits traditionnels expose à se voir nier l’accès aux mêmes droits que ceux qui parlent l’espagnol, à être citoyen de seconde zone

Mais le racisme ronge la société. Au Pérou, parler une langue autochtone ou se vêtir d’habits traditionnels expose à être l’objet de discriminations dans des commerces où à l’hôpital, à être maltraité dans les commissariats ou à se faire traiter de « sale Indien ». Les publicités mettent en scène des femmes et des hommes clairs de peau. Si la télévision publique diffuse des programmes en langues autochtones, beaucoup d’institutions ne sont toujours pas accessibles à ceux qui ne parlent pas l’espagnol. Etre d’origine autochtone expose, en somme, à se voir cantonné à un rôle de citoyen de seconde zone.

L’historienne Cecilia Mendez, professeure à l’université de Californie, à Santa Barbara, évoque « un apartheid de fait, qui n’a pas besoin de loi tant il est validé socialement et enkysté dans les habitudes mentales des dominants ». Le droit de vote n’a été accordé aux illettrés qu’en 1979, excluant du suffrage une grande partie des populations des Andes et d’Amazonie, où le taux d’analphabétisme avoisinait alors 40 % en zone rurale. Les mots « indien », « serrano » ou « cholo » désignent péjorativement indigènes, métis, paysans et provinciaux. A Lima, sur les murs des cafés du quartier cossu de Miraflores, des affichettes prennent la peine de rappeler que, « conformément au décret municipal 20/19, la discrimination est interdite dans cet établissement ».

La réforme agraire de 1969, qui a mis fin à l’exploitation semi-féodale des paysans indigènes dans les haciendas (les grandes propriétés terriennes), n’a pas éradiqué la mentalité coloniale des ex-propriétaires, les hacendados. « Le problème du pays, ce sont les Indiens », nous lançait froidement l’un d’eux, à la tête d’une exploitation de plusieurs centaines d’hectares, dans la région de Cuzco. Et de conclure, catégorique : « Les Indiens sont improductifs. »

Depuis cinq siècles, le Pérou est convoité pour les richesses de son sous-sol. Les multinationales installées dans le pays extraient du cuivre, de l’or, de l’argent, du fer, du zinc, du pétrole et du gaz. Le supercycle des matières premières a, un temps, stimulé la croissance : en 2008, le PIB progressait de 9,1 %. Ralentie par la suite, la croissance est restée positive jusqu’à la pandémie de Covid-19, en 2020.

Entre 2001 et 2019, 10 millions de Péruviens étaient sortis de la pauvreté, même si de nombreux économistes pointaient les faiblesses du « miracle péruvien », avec sa dépendance à l’égard des matières premières et la persistance des inégalités. Le Covid-19 a alors eu un effet dévastateur. En 2020, la pauvreté a plus progressé au Pérou que partout ailleurs en Amérique du Sud, passant de 20,2 % à 30 % de la population, selon l’Institut d’études statistiques. Le Pérou détient aussi le record mondial du plus grand nombre de morts par habitant entraînés par l’épidémie. C’est dans un pays fragilisé que la crise politique a éclaté.

Pedro Castillo, de l’avis de ses adversaires et de certains de ses électeurs, a été un président déplorable. Originaire du département de Cajamarca, dans le nord du pays, fils de paysans illettrés, il a été instituteur et syndicaliste avant d’être repéré et propulsé candidat à la présidentielle par le parti marxiste-léniniste Pérou libre. L’homme n’avait aucune expérience de l’exercice du pouvoir. « M. Castillo a emporté de peu le deuxième tour de la présidentielle, en 2021, grâce aux électeurs qui ont voté contre Keiko Fujimori [fille de l’ancien président] », rappelle José Ugaz, ex-procureur anticorruption.

 

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Révélation

« Président des pauvres »

Faute de gagner les élections, cette dernière avait déjà tenté par tous les moyens de déstabiliser ses adversaires et les règles démocratiques. En 2021, elle conteste le résultat du scrutin et accuse les autorités électorales de collusion avec ses adversaires, sans preuves. « Elle porte sa part de responsabilité dans la crise institutionnelle en cours », souligne Fernando Tuesta. « Avant même que Castillo ne soit investi, les partis de droite parlaient de le destituer », poursuit M. Ugaz. Une fois au pouvoir, le « président des pauvres », qui n’a ni les codes ni les compétences d’un chef d’Etat, multiplie les erreurs et les tâtonnements. Il nomme des ministres aussi peu expérimentés que lui. Certains ont des antécédents judiciaires. Au Congrès, la droite dure et ses alliés jouent l’obstruction systématique. Le parquet ouvre sept enquêtes contre lui, notamment pour corruption. Mais, aux yeux de ses électeurs, « le président Castillo n’était pas plus corrompu que ses prédécesseurs ».

Tous les présidents élus depuis quarante ans ont été accusés de corruption. Même si seul Alberto Fujimori, 84 ans, est en prison, les scandales à répétition et la corruption généralisée, à tous les niveaux, ont fini par miner complètement la confiance générale à l’égard des institutions.

A son arrivée au pouvoir, Pedro Castillo s’était efforcé de garder le contact avec les régions ayant massivement voté pour lui. Il répétait à l’envi son slogan de campagne, « Plus un seul pauvre dans un pays riche », promettait des investissements, des routes, des écoles. « Pedro Castillo a su capitaliser et attiser le ressentiment légitime des plus démunis », analyse José Ugaz, l’ex-procureur. En dépit d’un bilan plutôt maigre, un sondage de novembre 2022 de l’Institut Datum le créditait encore de 26 % d’opinions favorables.

Les régions d’Ayacucho, d’Apurimac, de Puno, de Cusco, d’Arequipa ont été les premières à se mobiliser contre sa destitution. Dans certaines circonscriptions, le candidat de gauche y avait obtenu plus de 80 % des voix au second tour de la présidentielle. « Une telle mobilisation des régions du Sud n’était pas arrivée depuis plus de vingt ans », note Omar Coronel, sociologue à l’Université pontificale catholique du Pérou. Ces régions du Sud sont à la fois les plus riches en ressources, notamment en cuivre et en gaz, et les plus pauvres en matière de développement. Aux abords de la mine de cuivre à ciel ouvert de Las Bambas, une des plus grandes au monde, le taux de pauvreté atteint 45 %. Ainsi la carte géologique, celle des inégalités sociales et celle de la révolte se recoupent-elles.

Maribel Chavez, une paysanne venue manifester à Cuzco, en décembre 2022, s’insurgeait ainsi contre « ces entreprises minières millionnaires qui échappent aux impôts » et se préoccupent si peu du sort des plus démunis. « Les politiciens vendent nos terres, les multinationales pillent nos richesses. Ils s’enrichissent alors que nous, les paysans qui travaillons la terre, vivons dans la misère », renchérissait Lisa Palomino, une autre manifestante qui avait fait le voyage à Lima.

« Nous ne sommes plus des moutons. Nous savons lire et écrire. Nous sommes informés, même si nous venons de la campagne » – Felicia Mamani, 30 ans, agricultrice de l’Altiplano

Felicia Mamani, 30 ans, voulait, quant à elle, croire que les choses ont changé depuis la génération de ses parents. « Ce Pérou-là, c’est fini. Nous ne sommes plus des moutons. Nous savons lire et écrire, expliquait cette agricultrice de l’Altiplano venue, elle aussi, rejoindre le mouvement de contestation dans la capitale. Nous sommes informés, même si nous venons de la campagne. Nous avons nos médias alternatifs. »

Ces médias locaux et les réseaux sociaux ont diffusé les images de la répression qui, dans les Andes, a tourné au massacre : dix morts à Ayacucho mi-décembre, dix-huit à Juliaca le 9 janvier. Selon une enquête du média numérique Salud con lupa, au moins quinze personnes ont été tuées à la suite de blessures par balles à la tête, au thorax ou à l’abdomen. Trois autres personnes ont reçu une balle dans le dos. Amnesty International dénonce de possibles exécutions extrajudiciaires. Les vidéos amateurs montrent des policiers tirant au pistolet et au fusil, et procédant à des tirs tendus de gaz lacrymogènes.

Les Nations unies et l’Union européenne ont condamné l’« usage disproportionné de la force ». Dina Boluarte, elle, juge « irréprochable » la conduite de l’armée et de la police. Aucun ministre n’a démissionné, aucun gradé n’a été mis à pied. Par solidarité avec les victimes du monde rural, la jeunesse des villes, les syndicats ouvriers et ceux de l’enseignement, les féministes et les défenseurs de la cause LGBT sont descendus, à leur tour, dans la rue.

Pourtant, Dina Boluarte est, elle aussi, originaire du sud du pays, et issue de la gauche marxiste. Elle ne manque pas de rappeler qu’elle a étudié « dans une école aux murs de torchis » et parle le quechua. Elle tente aussi de jouer de son statut de première femme présidente du pays, sans convaincre. Son revirement et ses alliances avec la droite n’ont pas échappé aux manifestants.

Ses appels au dialogue sonnent d’autant plus faux que la présidente accuse, en vrac, les manifestants d’être manipulés par l’ancien président bolivien de gauche Evo Morales (proche de Pedro Castillo) ; d’être dirigés par le Movadef (le parti politique proche du Sentier lumineux, le groupe armé d’obédience maoïste en guerre contre l’Etat dans les années 1980-1990) ; d’être manipulés par les trafiquants de drogues et les exploitants de mines illégales. Relayée par les médias, cette thèse des « forces occultes » a ses adeptes à droite. Les manifestants la ressentent comme une insulte.

Partout dans le pays, les années noires du conflit armé interne (1980-2000) restent présentes dans les mémoires. Les régions du Sud sont celles qui ont le plus souffert : 40 % des morts et des disparus durant cette période l’ont été dans la seule région d’Ayacucho, bastion du Sentier lumineux. Au total, 70 000 personnes ont été tuées en vingt ans, selon la Commission de la vérité et de la réconciliation, qui attribue 54 % de ces victimes aux actions terroristes du Sentier lumineux et 30 % aux agissements des agents de l’Etat. Publié en 2003, le rapport de la Commision de la vérité et de la réconciliation soulignait : « La tragédie qu’ont vécue les populations du Pérou rural, des Andes et de l’Amazonie, indigènes quechua et ashaninka, paysans, pauvres et peu lettrés n’a pas été ressentie ni assumée comme une tragédie nationale par le reste du pays. »

Depuis ces années de conflit, les forces de l’ordre continuent à voir des ennemis partout et demeurent obsédées par la traque de ce qu’elles nomment « terruco », un terme qui désigne en vrac un terroriste, un militant de gauche ou n’importe quel paysan qui manifeste. « Le gouvernement, la police, les médias : tous nous traitent de terroristes », se plaignent, à l’unisson, les manifestants.

Ni l’armée ni la police n’ont fait l’objet d’une réforme en profondeur depuis la fin du conflit armé. La lutte antiterroriste continue d’imprégner leurs discours et de façonner leurs pratiques. « Les forces de sécurité gardent une logique de guerre froide à l’esprit maccarthyste », explique Omar Coronel. L’ennemi communiste n’est jamais loin.

 

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Et fin (j'espère, comment que j'ai dû le tronçonner cet article, pour que ça passe!)

Révélation

Les fantômes du passé

La violence, les insultes et la haine ont fait resurgir les fantômes de ce passé. Pour les manifestants, la dictature menace. Pour les élites et les grands médias, le terrorisme est de retour. A droite, une intervention plus musclée des forces de sécurité, voire un coup d’Etat militaire sont déjà avancés comme des remèdes à la situation.

« Fujimori a été le meilleur président de l’histoire du pays », affirme César Rodriguez, sous-officier à la retraite. Enrôlé de force à 17 ans, il est resté trente-deux ans dans l’armée. Il poursuit : « Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas connu l’hyperinflation, ni le terrorisme du Sentier lumineux, les bombes, les assassinats, les attentats contre les infrastructures électriques. Le Pérou vivait dans l’obscurité, littéralement. Fujimori nous a rendu la lumière. » En 2009, l’ancien président a été condamné à vingt-cinq ans de prison pour sa responsabilité dans les massacres de Barrios Altos à Lima en 1991 et de l’université La Cantuta en 1992 : vingt-cinq personnes avaient été tuées.

Unanimes pour dénoncer la violence de la répression, les gouvernements progressistes de la région n’ont pas tous fait la même lecture des événements péruviens. Le président chilien, Gabriel Boric, a condamné la tentative de « coup d’Etat » menée par Pedro Castillo. En revanche, les présidents mexicain, colombien, bolivien et argentin ont contesté la légitimité de sa destitution. Le chef de l’Etat mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, qui a accordé l’asile à Lilia Paredes, l’épouse de l’ex-président, et à leurs deux enfants, continue de demander le retour au pouvoir de M. Castillo. Pour Cuba, le Venezuela, le Nicaragua et le Honduras, Pedro Castillo reste le président constitutionnel. Seul le Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, investi le 1er janvier, n’a pas pris position.

Le gouvernement de Mme Boluarte crie à l’ingérence et accuse « les pays proches idéologiquement de M. Castillo (…) d’encourager la révolte sociale ». Lima a rompu ses relations diplomatiques avec le Honduras, expulsé l’ambassadeur mexicain en poste à Lima, rappelé ses ambassadeurs à Mexico, à Bogota et à La Paz. Le Congrès a déclaré persona non grata Evo Morales, ainsi que le président colombien, Gustavo Petro.

Elections anticipées refusées par le Congrès

Mme Boluarte refuse toujours de démissionner. Elle dit avoir « un devoir envers le Pérou ». De l’avis de ses opposants, c’est plus probablement la crainte de la prison qui la retient de quitter son poste sans négocier au préalable les conditions de sa sortie. Le parquet a, en effet, ouvert une enquête à son encontre pour « génocide », un terme utilisé en Amérique latine pour décrire un massacre. Si Mme Boluarte acceptait de démissionner, il reviendra au président du Congrès, José Williams Zapata, d’assumer la présidence et d’organiser des élections. Ancien chef du commandement conjoint des forces armées, M. Williams incarne la droite la plus dure.

« Il n’est pas dit que des élections générales permettront de rétablir durablement la confiance dans les institutions, souligne Fernando Tuesta, mais elles sont aujourd’hui la condition du retour au calme. » Le 7 février, le Congrès enterrait toute possibilité d’élections anticipées en 2023. En poste depuis dix-sept mois, les députés entendent conserver prébendes et privilèges le plus longtemps possible. « L’attitude du Congrès est indigne », juge M. Tuesta. Une opinion largement partagée. Des millions de Péruviens, Quechua, Aymara, Amazoniens qui se disent du « Peru profundo » veulent pourtant croire que quelque chose a bougé dans la société péruvienne. « Nous voulons une vie digne », résumait Remo Candia, dirigeant communal, avant de mourir d’une balle, dans la rue, à Cuzco, le 11 janvier.

 

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  • 1 month later...

4 avril 2023

Approché par les jaguars et les anacondas, piqué par les fourmis et les moustiques, nez à nez avec les tribus isolées, adoptant un bébé tamanoir, Paul Rosolie a chopé le virus de l'Amazonie, filmant des documentaires et créateur d'une aire protégée où les bûcherons et les orpailleurs sont reconvertis en gentils garde-forestiers-guides d'écotouristes. Instagram : https://www.instagram.com/paulrosolie/

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