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La bataille.... Quelle bataille?


Tancrède
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Encore un sujet "l'avenir anticipé via le passé"....

La bataille est le moment paroxystique de la guerre, la concentration dans le temps et l'espace d'une part plus ou moins considérable des ressources militaires immédiatement disponibles d'un camp pour "frapper un coup" dont il espère qu'il impactera significativement son adversaire et hâtera la résolution du conflit en cours, en tout cas au moins plus que ce que l'usage "normal" et moins concentré des mêmes moyens aurait permis. La bataille est en somme un investissement ponctuel. Le pendant de la chose est le risque encouru, qui dépend donc des estimations de probabilités de l'emporter.

Parfois, et particulièrement en occident, la bataille a tendu à être recherchée pour elle-même, l'entretien et le développement des forces, et de là toute la stratégie, étant calculées pour ces concentrations ponctuelles et en fonction d'elles uniquement.

En un sens, la logique fondamentale à l'origine de cette posture reposait sur le postulat du coût que représente une guerre, et avec elle la mobilisation dans la durée de moyens qui ponctionnent fortement l'activité et le capital (matériel, humain, financier-économique, politique....) d'une organisation politique (principalement des Etats mais pas que). Des éléments culturels y ont aussi incité, comme la mentalité de peuples guerriers, souvent retranscrite dans les codes de comportement et moules de pensées des élites dirigeantes d'un pays, parfois en teintant la pensée stratégique à tel point que la bataille devenait un objet en soi, en partie déconnecté d'une réflexion plus pondérée: certains moments de la guerre de cent ans l'illustrent beaucoup, mais globalement, on peut le voir à d'autres moments, une stratégie reposant sur le combat l'emporte régulièrement sur une pensée plus globale de l'action politique "totale" qu'est la guerre.

Au Moyen Age et à d'autres moments, l'idée de bataille a nettement reculé étant donnés la taille microscopique des Etats (en tant qu'organisations), la non permanence des armées, la faiblesse politique des souverains et la donne géo-économique: le siège était le centre de la pensée militaire puisque, dans une Europe peu densément peuplée, avec de faibles stocks alimentaires, des stocks monétaires limités (exemple: les rançons de grands seigneurs représentaient des montants réellement macro-économiques), des routes rares et des armées de petite taille ponctuellement levées, la ville était le coeur de toute pensée stratégique. Une ville était un enjeu politique, économique et stratégique en soi et sa possession déterminait tout.

Ce n'est qu'au XVIIIème siècle que le niveau de développement économique et démographique, et celui des Etats, que le bataille est réellement devenue un objet en soi, recherché pour lui-même, le "capital militaire" et stratégique d'un Etat s'incarnant avant tout dans les armées de campagne qui devinrent l'objectif prioritaire. C'est aussi à ce moment que, sur un plan strictement tactique, l'attaque des fortifications prenait un avantage très net sur la défensive, rendant la prise de villes quasi certaine, la limitant à une affaire de temps, donc à l'échelle d'un théâtre, à une histoire "d'opératique" (arbitrer entre les objectifs -les villes, les forces adverses- et les batailles, dans une vision plus globale). La taille des villes "qui comptent" devenait aussi un handicap côté défense, la masse de réserves alimentaires pour tenir longtemps devenant problématique, surtout dans des grandes villes qui devenaient des "systèmes humains" et économiques plus profondément connectés à leur environnement immédiat (local, régional) mais aussi à un environnement plus large (national, international) via le commerce ou les capacités administratives qui les rendaient plus dépendantes de flux humains, matériels, financiers et d'information de différentes échelles.

En somme, au XVIIIème siècle en occident, le niveau de développement économique et étatique, mais aussi celui des consciences politiques (notamment les sentiments d'appartenance), rejoignait ce qu'ils étaient dans l'antiquité, surtout sous l'empire romain. La vision de la guerre et des campagnes s'en trouvait changée, et le poids des mobilisations militaires, tout comme la nature et la taille relative des adversaires, rendaient la recherche de la bataille décisive prioritaire, au sens où la bataille était un affrontement en rase campagne (ou un affrontement autour d'une ville qui dans cette occurrence, ne devenait qu'un "terrain" de bataille particulier).

Mais que peut-être la bataille aujourd'hui? Est-elle encore si probable dans les formes que nous lui connaissont? Ou même souhaitable? Si oui selon quelles modalités suivant le type de conflit? Concentration de moyens dans le temps et l'espace (et/ou le cyberspace et la sphère informationnelle au sens large), "investissement" ponctuel plus ou moins massif du potentiel de guerre (= pas seulement militaire) sur un aspect ou une concentration du potentiel de guerre adverse, elle ne se traduira pas forcément sur le terrain par un tas de combattants se fritant en un lieu donné pendant quelques jours, semaines ou mois. Surtout à une époque où la ville a pris une telle importance pour un très grand nombre de pays, ne serait-ce qu'au niveau des concentrations humaines et de la part de la population d'un pays qui s'y trouve; surtout quand peu d'armées, sinon aucune, ne peuvent réellement en assurer le contrôle vu la taille des grandes villes (si on compte qu'il faut un équivalent d'entre 5 et 10% de la population d'une ville à tout moment pour la contrôler, ratio jamais démenti). Sous de nouvelles formes, le "siège" semble plus pertinent (d'où l'insistance sur le combat urbain, le contrôle de zone, le COIN dans toutes ses interprétations version urbaine....) et surtout la donne qui est imposée de fait. Cela ne veut pas dire, surtout pour les grands Etats qui gardent dans leur horizon la possibilité de se friter d'autres grands Etats, que l'affrontement, concentré ou non, en rase cambrousse, est sorti du tableau; mais celui-ci peut n'être pas toujours très pertinent si, après la destruction d'une partie significative d'un orbat organisé, l'exploitation de ce genre de victoire tactique ne débouche pas vraiment sur la possibilité d'imposer une paix souhaitable par absence de capacité de contrôle des concentrations de populations adverses (et plus encore que cela, tout ce que les villes représentent: organisation, flux, activités, consciences collectives....).

Qu'en pensez-vous? Qu'est-ce que la bataille aujourd'hui? Que peut-elle être suivant les cas? Quelles batailles pour l'avenir?

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A propos de l'idée que la bataille représente un "investissement", si les belligérants veulent du résultat au sens moderne de la chose, ils investissent pour gagner, pas seulement pour jouer. (Je zappe délibérément les comportements type japonais 1941-45). Ils investissent donc là où ils pensent gagner, et donc que l'adversaire va perdre. L'adversaire en question a donc, s'il est bien renseigné et logique, intérêt à éviter la bataille.

Cela laisse supposer que la bataille ne devrait pas avoir lieu d'être en toute logique.

Sauf évidemment si au moins un des adversaires a un comportement pas logique :

- adversaire qui se bat sans chercher à mettre toutes les chances de gagner de son côté ("incompétent" ?)

- grosse erreur de calcul (du genre les insurgés tentant de tenir Falloujah)

- combattant voulant se battre pour se battre (typique de tout pays envahi, même en conditions désespérées)

- ... ?

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Sauf évidemment si au moins un des adversaires a un comportement pas logique :

Tu oublies l'élément le plus essentiel de toute stratégie, rappelé par les 2 premiers principes de Sun Tsu entre autre: le savoir et sa perception. La connaissance de soi et la connaissance de l'autre sont absolument et irrévocablement cruciaux.... Mais on arrive là autant dans le domaine de la connaissance et de l'analyse que dans celui de l'estimation des capacités, donc de la perception (déjà plus subjective) et de sa manipulation. Evidemment, il y a, au niveau tactique comme au niveau stratégique, le rôle de la désinformation, de la déception, de la manipulation pour amener l'adversaire à la bataille, donc à lui faire croire qu'il y a avantage, avec pour préalable le fait d'être raisonnablement certain de pouvoir le vaincre et donc celui d'être sûr de son estimation des forces de l'adversaire. Comme les deux belligérants jouent ce jeu, c'est souvent compliqué.

Mais il y a aussi le fait de comprendre ses points forts et ses points faibles, d'avoir une meilleure idée que l'autre des capacités réelles des armées en lice et de la façon dont le combat se passe: il y a la un fort rôle de la théorie et de la pratique militaire en général dans la perception générale de ces capacités, aussi bien au niveau du combat proprement dit que de celui de la manoeuvre, de la rapidité de la boucle information-décision-action (à travers les âges) donc de l'optimisation dans des fenêtres de temps courtes des ressources militaires, des capacités relatives des 2 adversaires à renouveler et accroître ou non leurs forces rapidement, de la mesure de l'impact (militaire mais aussi politique -en interne chez l'adversaire) d'une défaite ou d'une victoire (et de leurs modalités: voir l'impact de Malplaquet sur la politique anglaise et Marlborough)....

Et là se greffe en plus l'élément "culturel" sur la bataille: certitudes sur "l'élan" dans la période post-napoléonienne et jusqu'à 1870, idéologie chevaleresque....

Sans compter évidemment un adversaire qui n'a pas de choix, pour une raison ou une autre (tenir un carré de terrain politiquement important -comme les Allemands de la Guerre Froide ne concevaient pas de pouvoir laisser du terrain aux Russes-, être acculé....), et qui se trouve sur ce que Sun Tsu appelait un "terrain de mort".

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Tstststsss…qu’est-ce que je vois là ? N’est-ce pas encore une Crise Compulsive de Tancrèdite Aigu ou CCTA ?…mmmh…

Pour coller au sujet, moi ce que j’aurais tendance à récuser c’est le concept même de bataille que je trouve aujourd’hui sans objet, pour lui préférer celui de « campagne ».

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Pour moi la "bataille" est exclusivement le moment pendant lequel il est fait usage du feu sur terre, en mer ou dans les airs, comme l'indique Tancrède.

En dehors, il s'agit de mouvement/déplacement, de contrôle de zone ou de foules. Pas de "bataille" (conflit armé) au sens strict. La "bataille" ne représentant qu'un très faible % du temps dans une campagne.

La "campagne" regroupe donc des batailles, des mouvements, des contrôle de zone, etc.... 

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Attention: il n'est pas question "d'aujourd'hui". Quand on regarde l'histoire, le terme de "campagne" s'est en fait toujours mieux appliqué que le terme de "bataille" pour définir les opérations militaires strictement dites, dans le sens où c'est une campagne qui fait (ou non) la décision dans le versant militaire de la guerre. On sera tous d'accord là-dessus. Seule l'historiographie a pu artificiellement focaliser l'attention sur "l'objet" qu'est la bataille en le détachant de tout le reste, une telle concentration sur la bataille, surtout dans les manuels d'histoire (pour jeunes, donc ça doit être rapide) et la lecture grand public ou la dramatisation (écrite, audiovisuelle, orale....), relevant plus d'oeillères et de désir de voir le "simple et sexy" rapidement compréhensible et raccoleur plutôt que les choses dans leur ensemble, qui sont infiniment plus complexes et lourdes à retenir et plus encore piger.

La bataille illustre éventuellement la campagne, voire la guerre. Mais faut quand même pas oublier non plus que la bataille "existe" en soi, et que même sa recherche a largement, et parfois à tort, conditionné la stratégie et la pensée opérative, y compris jusqu'à l'obsession. Cependant, elle ne perd pas nécessairement son objet dans le cours d'une campagne et d'une guerre si elle représente un pourcentage considérable des ressources militaires, un capital psychologique important, si ses répercussions politiques et militaires sont suffisantes....

Certaines campagnes se sont passées de grandes batailles, multipliant les petits combats et accrochages, les évitements, mouvements masqués et retraites simulées, la gesticulation et les mouvements menaçants sur tel ou tel point pour obtenir, au final, ce qui est désiré dans une guerre: contraindre la volonté de l'adversaire, lui imposer son tempo, l'obliger à réagir plutôt qu'agir, et ce faisant, économiser ses propres forces et préserver son territoire et ses intérêts pour être au final en position de force quand arrive une négociation. De telles campagnes peuvent compter tactiquement sur l'usure, stratégiquement sur un adversaire qui ne peut se permettre de maintenir longtemps des armées en mouvement, sur un calcul d'opportunité et/ou une volonté de temporisation.... Ou bien simplement ne pas voir suffisamment de circonstances se réunir pour qu'un belligérant ou les deux voient un intérêt au risque d'une bataille, affaire où le hasard joue souvent une part plus grande qu'ailleurs dans la guerre. Certaines sont inconclusives, d'autres sont extrêmement efficaces, certaines sont faites de telle façon qu'elles voient, en point d'orgue, une attaque brutale sur les arrières d'un adversaire, sur ses lignes ou sur ses bases, ou carrément sur un corps d'armée isolé et entièrement détruit, dans des circonstances qui n'ont rien à voir avec un combat mais comme un massacre pur et simple (par la disproportion des forces à un instant et à un endroit, par la surprise....). La campagne d'hiver en Alsace de Turenne est à cet égard un exemple à garder à l'esprit, une merveille du genre, avec un niveau de risque minimisé, des pertes négligeables et un résultat disproportionné qui fait définitivement pencher la balance stratégique. Pourtant, on peut difficilement qualifier de "bataille" aucun des affrontements qui s'y déroule: déception et mouvement inattendu dans un lieu vu comme inaccessible à un moment jugé inopportun donnent à Turenne l'occasion de frapper sans grand risque, et avec une petite partie de ses forces, un coup énorme, lui laissant l'usage d'une armée peu ou pas affaiblie face à un adversaire qui vient de se faire amputer nettement de quelques membres.

A l'inverse, les campagnes d'Espagne de Wellington ne recherchent pas la bataille: il ne l'accepte que quand il ne peut faire autrement et dans des circonstances absolument favorables. Parce que là le but est stratégique: avoir une armée en Espagne sert à soutenir les alliés de la péninsule, à occuper les armées d'occupation en les menaçant et en rendant impossible la maîtrise du terrain conquis, à y attirer plus de troupes qui n'iront pas en Allemagne où la décision est censée être faite.

La Rome du Haut Empire, avec déjà des prémisses dans l'armée marienne et celle des guerres civiles, avait développé l'avantage tactique et opératique romain de telle sorte qu'une armée romaine pouvait rechercher la bataille dans un panel de circonstances plus large qu'aucune autre armée: plus polyvalente, plus renouvelable, mieux entraînée, organisée et aguerrie, plus apte dans tous les savoirs-faires de combat (en tout cas presque tous), l'armée romaine pouvait accepter la bataille même dans la plupart des situations jugées défavorables par d'autres armées, comme par exemple ne pas avoir l'avantage du terrain (devoir charger une hauteur, terrain accidenté qui casse la manoeuvre....). L'art de la guerre romain recherchait la bataille pour minimiser le coût des campagnes et de la guerre, mais l'armée avait les moyens adéquats pour ce faire.

Aujourd'hui, nos armées occidentales sont aussi calibrées pour rechercher la bataille: plus elles sont petites, d'ailleurs, plus c'est vrai. Il n'y a qu'en bataille contre des forces organisées que tout peut être concentré pour profiter réellement des avantages technologiques, techniques, organisationnels et humains à leur plein rendement, il n'y a que là que leur capacité fondamentale, la destruction d'un dispositif classique organisé adverse, est à son maximum. C'est vrai dans une guerre en général, c'est tout aussi vrai sur un théâtre d'opération donné, pour une campagne précise, quelle que soit son échelle, et la bataille peut alors très bien être l'action d'un ou deux bataillons interarmes, ou d'une ou deux compagnies interarmes, tout comme elle peut être ailleurs l'affrontement de corps expéditionnaires et armées de défense dans leur entier. C'est pas l'effectif en jeu qui fait appeler un affrontement "combat", ou "accrochage", ou bien "bataille": c'est l'intention, la pensée qui préside à l'événement, la proportion d'un orbat déployé qui est mise en jeu, et tout simplement ce qu'on en attend.  

La campagne peut mener à une bataille, ou plusieurs; c'est d'ailleurs ce qui est souvent visé, l'objectif étant de ponctionner le potentiel de guerre adverse en préservant le sien au maximum. Et plus une armée est sophistiquée dans ses moyens et son organisation, plus elle tend à la rechercher puisque la sophistication induit le maximum d'efficience par la synergie des moyens interarmes et interarmées, mais aussi des coûts tels qu'une campagne ou une guerre longue est à éviter.

En dehors, il s'agit de mouvement/déplacement, de contrôle de zone ou de foules. Pas de "bataille" (conflit armé) au sens strict

Pour moi, Falloujah est une bataille, de même qu'un ensemble d'opérations de contre insurrection dans une ville à contrôler peuvent être une bataille s'il s'agit:

- d'un enjeu jugé crucial par celui qui vise la ville

- d'une concentration très significative, "anormale", des moyens disponibles pendant une fenêtre de temps donné

- d'un moment où on risque quelque chose de plus que dans le cours d'un conflit "en général": pertes anormalement élevées (matérielles ou humaines), atteinte du moral (civil/politique ou militaire), changement de calcul stratégique/opératif à l'issue de l'opération....

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Ce qui est intéressant c'est qu'on sent que tu as la guerre de Succession d'Espagne en tête en rédigeant ce sujet.

J'ai l'impression que tu représentes ce moment comme le tournant où la guerre de siège et les grandes batailles de rencontre en ligne deviennent la règle. Un objectif à chercher en soi, et où en même temps tu opposes les conceptions de l'époque. Malborough et le Prince Eugène enchainant les grandes victoires sans lendemain sur le champ de bataille (les français passent l'essentiel de la guerre à se faire défoncer), Louis XIV temporisant grâce à son réseau de forteresse, une marine très inférieure mais bien menée, et obtenant un nombre de succès limités mais qui pèsent (typiquement Malplaquet). Au final, parvenant à une sortie honorable en dépit de résultats militaires contrastés.

Problème, l'historiographie est concentrée sur les "grandes batailles" mobilisant les armées face à face en ligne, et on a peu de documentation sur la "petite guerre" qui comme le dit AlexandreVBCI représente pourtant l'essentiel de la campagne.

Hit&Run sur le ravitaillement, escarmouches, poursuites, sièges ... tout ça est pourtant essentiel, les généraux ne voyant dans les grandes conflagrations qu'un moyen de valoriser leur travail en précipitant la décision à un endroit donné, pas forcément toujours dans les meilleures conditions. La bataille de Blenheim me vient à l'esprit. C'est un gros pari qui aurait pu très mal tourner, et dont Marlborough et le Prince Eugène vont se servir pour forger leur propre légende, leur propagande, leurs relations avec les politiques.

On retrouve la meme logique dans toutes les guerres "européennes" de la période jusqu'en 1870. Le général tire sa légitimité de ses succès de combattant, pas forcément toujours des résultats opérationnels proprement dit. La bataille est le moment, le lieu, où la conflagration créé un visuel, une représentation réelle ou fantasmée, qui valorise la légitimité du militaire et de ses officiers. A travers un imaginaire d'exploits, d'anecdotes, la bataille est une véritable mise en scène de l'affrontement humain sur un lieu restreint.

Quant on pense à l'iconographie napoléonienne, on voit les cuirassiers charger de front un carré anglais, plus rarement une bande de dragon dégueulasse détruisant ou capturant le ravitaillement adverse. Pourtant c'est (parfois) plus pertinent sur le plan opérationnel.

A l'époque de la guerre de succession d'Espagne c'est la cavalerie qui fait encore la décision sur un champ de bataille, mais aussi dans la "petite guerre". De là on assiste à plusieurs développement distinguant les unités de cavalerie dans leur conception. Des unités mobiles "lourdes" (cuirassiers, carabiniers ...) et d'autres "légères" (housard, chevaux légers, ...), les uns conçus pour "la bataille", les autres pour "la guerre" de mon point de vue.

Le véritable art de la guerre est de soumettre l'adversaire sans passer par l'affrontement. A mon avis, il faut lire Sun Tzu en le contextualisant dans une situation donnée, cette maxime vraie de tout temps n'a pas pour autant la même signification, sur un plan pratique, selon le lieu et le temps. La "bataille", concentration d'hommes et de moyens exorbitants "c'est beau, mais ce n'est pas la guerre". C'est de la politique.

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Pour moi, Falloujah est une bataille, de même qu'un ensemble d'opérations de contre insurrection dans une ville à contrôler peuvent être une bataille s'il s'agit:

- d'un enjeu jugé crucial par celui qui vise la ville

- d'une concentration très significative, "anormale", des moyens disponibles pendant une fenêtre de temps donné

- d'un moment où on risque quelque chose de plus que dans le cours d'un conflit "en général": pertes anormalement élevées (matérielles ou humaines), atteinte du moral (civil/politique ou militaire), changement de calcul stratégique/opératif à l'issue de l'opération....

Je comprend mieux ou tu veux en venir : pour toi une opération de ratissage dans une vallée  au main ou au minimum sous influence de talisurgés, par exemple est une bataille ? ;)

C’est vrai que j’ai d’instinct pensé aux conflits contemporains, aussi bien ceux du COIN faites surtout d’accrochages et des guerres mondiales gagnées par attrition ; faisant de la bataille un fait marginal tant en quantité qu’en efficacité. De là j’ai sauté le pas en la considérant comme obsolète, voir un objet conceptuel flou – d’autant que dans mon esprit la notion de concentration « très » massive de moyens a pris le pas- donc sans objet car inutilisable/inutile.

Et force est de reconnaître que cette « marginalité » de la bataille aujourd’hui ne la rend pas forcement obsolète. L’idée –bien comprise- d’une précipitation de l’action – pour moi mieux encore que la concentration en quantité/ponctuellement de moyens c’est ça temporalité qui là défini- visant à faire basculer une situation aussi bien comme point de départ ou conclusion d’une campagne; reste valide ou du moins a ne pas disqualifier à la légère.    

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Mais la guerre, c'est de la politique, pas sa continuation, mon cher Berezech ;) :lol:.

La bataille n'est pas non plus un gadget inventé pour faire beau: c'est d'un large point de vue un risque calculé et potentiellement très pertinent, et au final, un usage légitimement pertinent du potentiel militaire si recherchée et engagée correctement. Le point particulier en Europe, à mon avis, est que la bataille et la guerre ont pu y être conceptuellement plus rapprochés qu'ailleurs en raison de l'étroitesse des théâtres d'opération, de la grande interconnection de fait entre les belligérants, des points de frictions omniprésents, des distances assez courtes. La "bulle" espace-temps politique est en fait réduite en Europe, mettons directement à partir de la 2ème période de la guerre de Cent Ans et surtout définitivement au XVIème siècle avec l'ascension des Etats nations, la permanence et la croissance incessante des armées et la croissance démographique. Les Européens ont été contraints plus qu'aucune autre zone à s'organiser internationalement et à renouveler cette organisation régulièrement en raison de frictions trop nombreuses: avantage et inconvénient d'être le plus petit continent du monde, et de loin, avec les plus grandes concentrations humaines appartenant à des entités politiques et culturelles différentes et concurrentes.

La recherche de la bataille décisive, et donc la formation de la pensée militaire et le calibrage des armées dans ce but, ont donc été plus qu'ailleurs et plus vite qu'ailleurs un impératif capital. Louis XIV est en fait le premier qui ait conçu un moyen de relativiser l'importance de la bataille en sécurisant l'espace français d'une manière pertinente, donnant une profondeur stratégique de fait via la ceinture de fer malgré l'absence du facteur distance. C'est son oeuvre et celle du marquis de Chamley (son "stratégiste"), ainsi évidemment que celle de Vauban, dont le vrai génie réside moins dans son art des fortifications que dans le "méta système" des réseaux de fortifications qui préside à la construction: calcul des temps de siège, choix des poins incontournables à fortifier, calculs des distances pour que les dits points puissent se soutenir, organisation en couches successives....

Mais l'importance de la bataille, à cette époque, était déjà décisive: Louis XIV, dans la guerre de Succession d'Espagne que tu mentionnes, a joué la défensive dans le nord, mais l'offensive dans une Espagne contestée par ses adversaires, et dans une Italie pareillement menacée; et cette offensive a impliqué recherche de sièges et de batailles. Marlborough a cherché lui la bataille décisive afin d'obtenir un résultat propre à accélérer la fin d'un conflit trop coûteux pour des belligérants épuisés par la guerre précédente, et pour tenir et affirmer sa position politique fragile à Londres, qui n'aurait pas survécu à un match nul ou à une campagne de fixation des armées françaises, ce en quoi son intérêt rejoignait celui du prince Eugène, son compère. Mais ce n'est pas tant pour l'ambition ou la gloriole: il s'agit de fait, pour parler en langage actuel, du "programme" d'un "parti politique", celui des bellicistes anglais, qui fondamentalement, répond à l'idée du refus d'hégémonie des Bourbons, face aux "pacifistes" commerçants, pas pro-Bourbons mais refusant le coût d'une guerre. 2 visions politiques différentes. Et pour atteindre son but, la politique de Marlborough a besoin d'une victoire décisive contre la France afin de l'astreindre à une paix voyant sa profondeur stratégique reculer et son potentiel de guerre diminuer, afin de conforter et renforcer d'autres pays et d'obtenir une meilleure répartition des cartes en Europe: de fait, sur le plan des campagnes militaires, cela le contraint à rechercher la décision afin de pouvoir prendre des villes très importantes enfonçant un coin dans la ceinture de fer, au minimum, et surtout, à être en position de menacer Paris. Pour un tel objectif, la recherche de batailles décisives est incontournable, là où la politique de ses adversaires se contenterait de ne pas perdre (= garder une armée menaçante), de fatiguer la France, de saisir quelques villes pour négocier une paix en position honorable et assurer le maintien de ses alliés, et une séparation de fait des couronnes de France et D'Espagne (avec évidemment une faction aussi qui veut jeter l'éponge plus vite encore). Faut pas croire que Marlborough voulait des batailles pour lui (quand il y a une victoire, oui, il fait le marketing politique autour, mais ça c'est le business courant): comme tous les chefs, il déteste l'idée de la bataille où le hasard joue une trop grande part et où même une victoire peut coûter trop cher simplement parce qu'un officier médian a bien tenu son coin du champ de bataille ou a ponctuellement eu un succès local qui a taillé des croupières à une aile de l'armée, ou encore parce qu'un officier de son propre camp a salement merdé au mauvais endroit au mauvais moment.

Mais bon, il ne faut peut-être pas regarder que l'obsession pour la bataille décisive en particulier: le terme "bataille" est plus large.

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Je comprend mieux ou tu veux en venir : pour toi une opération de ratissage dans une vallée  au main ou au minimum sous influence de talisurgés, par exemple est une bataille ?

Dans des circonstances genre "affaires courantes" dans la campagne afghane, non. Si ces opérations de ratissage représentent un enjeu particulier et nécessitent un investissement en proportion, alors oui c'en est une: attentes des décideurs, concentration d'une part plus significative des moyens dispos pendant un moment (=ils sont prélevés ailleurs donc ils y manquent, et/ou on les fait venir de métropole et ça coûte en même temps que cela révèle publiquement -donc à l'adversaire aussi- une faiblesse relative qui peut renforcer la détermination adverse), calculs opératifs impactés par cet enjeu et ses issues possibles, estimations de l'adversaire qui changent, enjeu public/moral de la chose (mais aussi sur le moral des militaires, y compris des décideurs).... La bataille est par essence un moment où on surenchérit; l'échelle peut n'en être pas dramatique, vu que toutes les batailles ne sont pas Verdun, Sekigahara, Malplaquet ou Stalingrad, et il ne s'agit pas toujours de situations désespérées, mais c'est quand même une opportunité et un risque plus élevés que la "moyenne" d'une campagne ou d'une guerre.

En toute logique, les objectifs ne sont jamais les armées adverses, mais des réalités concrètes (villes, structures, dirigeants, concentrations humaines, économiques ou autres....) ou moins directement matérielles (frapper le moral ou les calculs adverses, donner un certain sentiment aux décideurs, populations ou combattants adverses, atteindre/ralentir des circuits économiques ou de décision/communication, diviser des alliés....) qui se résument généralement au fait de contraindre la posture de l'adversaire d'une manière ou d'une autre, dans une proportion ou une autre. Les forces militaires adverses sont les obstacles visant à l'empêcher et à jouer le même rôle contre soi. La bataille est donc un moyen pour obtenir ces fins. Pas le seul, pas le moins cher, mais potentiellement le plus rapide et le plus spectaculaire. La particularité européenne est à mon avis d'avoir eu sur de si faibles superficies autant d'adversaires de forces comparables, quantitativement et qualitativement, ce qui a notamment fait de la destruction des forces adverses, plus qu'ailleurs, un préalable si nécessaire que le degré de focalisation sur la chose est devenu plus important, voire parfois absolu et conditionnant la pensée militaire à des degrés dangereusement aveuglants.

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Qu'en pensez-vous? Qu'est-ce que la bataille aujourd'hui? Que peut-elle être suivant les cas? Quelles batailles pour l'avenir?

Le concept napoleonien de cuirassiers chargeant l'équine au vent est dépassé du point de vue bataille. Et c'est tant mieux. Comme tu le rappelles une bataille "classique" est quelque chose de couteux du point de vu matériel, politique, pécunier. Si auparavant elle etait recherchée dans l'espoir qu'elle coute plus cher à l'adversaire qu'à soit cela n'a plus vraiment lieux d'etre de nos jours vu le cout astronomique du matériel et des hommes et la vitesse à laquelle ce cout peut etre transformé en champ de ruines et de débris (mécaniques ou humains) fumants.

La dernière bataille classique donc est morte en 1991 avec la Guerre du Golfe.

Si on regarde l'historiographie récente, l'essentiel (90%) des batailles nommées comme telles sont des engagements en milieu urbain et péri-urbain de Mogadiscio à Vukovar en passant par Grozny et Falloudjah

C'est normal, plus de 50% de la pop mondiale est urbaine et les organes de decisions, les noeuds routiers, les batiments stratégiques y sont concentrés.

Donc ormis des "accidents" opérationels (une section engageant des talibans en goguettes au fond d'une vallée et là encore en général ca se fait dans ou à proximité d'un village/bourg) les "batailles" de l'avenir seront urbaines

Fini les charge de cavalerie

En tout cas pour un temps

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La dernière bataille classique donc est morte en 1991 avec la Guerre du Golfe.

Y'a t-il même eu une "bataille classique" pendant la Guerre du Golfe?

Disons quand même que pour qu'il y ait "bataille classique" telle qu'on semble l'entendre dans cette discussion, j'ai plutôt l'impression que l'affrontement doit concerner des adversaires de niveau technique-technologique relativement proche et de taille -au moins sur le théâtre d'opération- un peu comparable (et en fait de nature similaire, à savoir un Etat organisé et un peu développé). C'est plutôt en fait dans ces conditions seulement que la recherche avant tout de la bataille décisive prendra préséance sur d'autres objectifs, afin d'éliminer le ou les fers de lance adverses, soit la capacité adverse de guerre mobile, donc ce qui lui permet d'opérer des concentrations et de porter le combat rapidement en un point ou un autre du dit théâtre d'opération. L'aviation est le premier élément de cette capacité mobile, de même que des forces mécanisées/blindées pourvues d'artillerie.

On peut imaginer que certains théâtres particuliers, vu leur géographie, impliqueraient forcément une phase classique ou la bataille en concentration serait incontournable; je pense immédiatement aux 2 Corées si ça devait péter là-bas. Vu l'étroitesse du terrain et les 2 mastodontes mécanisés qui s'y font face, ça charclerait vite.

Mais encore une fois, et peut-être est-ce un abus de concept/langage de ma part, la bataille est quelque chose de plus large, et aussi un concept que je vois comme relatif aux moyens déployés sur un théâtre ou un front: si un corps expéditionnaire est d'un battlegroup, alors un engagement ponctuellement décidé qui voit la mise en oeuvre d'une compagnie interarme pour obtenir un résultat dont le commandement espère qu'il fera avancer le schmilblick de façon nette EST une bataille.

De fait, toute concentration particulière d'un dispositif déployé, même peut-être juste le temps d'un après-midi ou moins encore, est potentiellement une bataille.

C'est d'autant plus confus quand on a le regard historique qui voit la majorité des batailles du passé s'être déroulées sur un terrain réduit, le plus souvent un endroit où les chefs pouvaient presque entièrement voir l'ensemble des combats d'un seul regard ou pas trop loin de ça (et encore, quand on regarde de près, ça n'a même pas été souvent le cas): la radio a clairement redéfini le concept au sens physique, éclatant les phases, lieux et combats d'une bataille et la déconnectant en grande partie de la topographie d'un terrain, le chef appréhendant l'ordre de bataille de l'événement de façon moins visuelle, moins directe, mais pas moins réelle. D'autre part, les progrès dans les domaines de la mobilité, du command and control (et de la coordination en général jusqu'au plus bas échelon), des portées de tir, du repérage, de la dissimulation, de la logistique, de l'autonomie sur des distances moyennes, de l'instruction militaire (des officiers et cadres en général, mais aussi de la troupe), des communications.... Ont accéléré les processus essentiels à la bataille, qui se résument en fait à la concentration de moyens à un moment donné dans une zone donnée: ce qu'on voit dans l'histoire des campagnes militaires a longtemps été entièrement subordonné au fait de garder une armée entière la plus groupée possible et de la faire se mouvoir comme telle, et pire encore, les manoeuvres de 2 armées cherchant à se friter ou à s'éviter, à guetter le moment opportun et à tromper l'adversaire, ont constitué l'essentiel de l'art de campagne (on va dire la manoeuvre "grand tactique", soit l'implémentation pratique d'une pensée opérative) tant ces dispositifs commandés à la voix, au visuel et aux messagers humains étaient lents, complexes et lourds à bouger, chose qui se pratique aujourd'hui pour ainsi dire "en temps réel". Les guerres mondiales -en fait surtout la 2ème- nous donnent à cet égard des critères peut-être un peu exagérés, vu qu'elles impliquaient des concentrations humaines et matérielles absolument dantesques que même les moyens modernes, l'organisation et l'instruction généralisées ne pouvaient accélérer au-delà d'un certain seuil, le tout pourtant sur des théâtres d'opération pas souvent gigantesques (sauf cas de la Russie). Le processus concentration-dispersion, quelque part lié à toute l'histoire de la guerre organisée, peut être aujourd'hui affaire d'heures (pour une certaine échelle d'effectifs) là où il était hier affaire de jours, de semaines ou de mois. Et le contact entre 2 adversaires de calibre comparable fonctionne autrement.

Par exemple, je ne peux m'empêcher de voir Tora Bora en 2002 exactement comme une bataille: une concentration ponctuelle d'un certain volume de troupes (et un pourcentage significatif d'un certain type de troupes à haute valeur ajoutée) et de moyens pour frapper "un coup décisif" (ou espéré tel). Evidemment, on s'éloigne du cas particulier de la bataille décisive (ou recherchée comme telle) entre 2 forces mobiles de niveaux qualitatifs et quantitatifs comparables, issues d'Etats organisés, voisins ou non, et recherchant l'anéantissement l'une de l'autre.

Quels seraient vos critères pour définir une bataille? L'enjeu? Les attentes suscitées? L'attention qui y est portée? La concentration ponctuelle de moyens représentant une part significative d'un orbat, soit un "investissement"? L'impact sur les calculs stratégiques/opératifs avant et après l'événement? Quoi d'autre?

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Put... vous me faites mal à la tête à couper les cheveux en quatre et à vous demander ce que c'est qu'une bataille. =D C'est curieux chez les marins, euh chez les Français, cette manie de vouloir tout définir avec des mots, en traquant la moindre nuance, alors que tout le monde a compris depuis le début de quoi il s'agit... :lol:

Par contre, discuter pour savoir si la recherche de la bataille décisive plutôt que le recours à des méthodes plus indirectes est pertinent ou pas, là oui.

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Ca n'est pas couper les cheveux en quatre dès lors qu'on se penche un tant soit peu sur la chose au lieu de la regarder en général en disant "tout le monde a compris". Il se trouve que beaucoup de monde justement réfléchit à la chose et à sa pertinence ou non, au mode de pensée qui l'accompagne. Et généralement, comme tout sujet abordé correctement, ça suppose de commencer par le définir, ne serait-ce que pour être sûr que tout le monde parle de la même chose, sans quoi tout ce qu'il risque d'arriver, c'est des glandus se balançant des grands développements en utilisant le même mot sans qu'aucun mette la même réalité derrière le dit mot.

La précision évite les pertes de temps.

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Ben oui, mais dans tous les cas, le risque de parler sans fin existe:

- soit on commence à s'enfermer dans les questions de définition sans réellement commencer la question

- soit on s'enferme dans une discussion en ne s'apercevant pas que derrière un même mot, on ne parle pas de la même chose

Le mode de fonctionnement d'un forum a ses avantages et ses inconvénients (pas le même qu'un chat ou une discussion orale), mais il induit aussi ces risques. A chacun de se discipliner pour repérer ce qui merde dans une discussion, y compris dans son propre propos, et d'essayer de se rappeler, ne serait-ce qu'en fin de chaque post, qu'il y a un fil rouge au débat et qu'il faut essayer de s'y rattacher. Bon, évidemment, le créateur d'un fil de discussion, comme les modos en général, a une responsabilité supplémentaire de recul pour garder ça en mémoire :-[ :-X.... On se laisse emporter par un point particulier, parfois.... Souvent.... Et merde!

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Un autre angle pour aborder la question de ce à quoi pourra ressembler "la bataille" à l'avenir, à moduler suivant le type de conflit et d'adversaire: l'art opératif est désormais un "objet" conceptuel bien en place, étudié et mis en oeuvre comme tel, pour lequel les échelons de commandement des grandes unités de manoeuvre sont calibrés, les matériels C3L sont faits et nombre d'unités et moyens sont tenus "en réserve" par l'échelon supérieur pour agir/intervenir (via la portée et la rapidité des moyens modernes) afin de favoriser les résultats à cet échelon de perception qui n'est plus quelque chose d'aussi empirique/intuitif qu'avant. Le déroulement d'une "bataille" ne peut pas ne pas s'en ressentir, notamment dans sa réalité géographique/physique.

Ainsi, une "bataille" semble, plus encore que dans les guerres récentes, une réalité en grande partie déconnectée de ce qui s'appelait le champ de bataille proprement dit, aussi grand soit-il. Seule la réalité temporelle demeure: concentration dans le temps d'une proportion significative de moyens, la bataille est aussi une séquence d'actions coordonnées et pensées pour produire un effet plus ou moins calculé à l'avance dans une zone donnée le plus souvent mais surtout contre une cible donnée. Dans un conflit classique, la concentration dans une aire relativement restreinte (par rapport au théâtre d'opération/front) est la plus susceptible de s'apparenter à l'aspect qui nous est plus familier d'une densité ponctuellement grande d'unités et de moyens cherchant à se détruire/disloquer pour "percer" ou user. Dans des conflits dits asymétriques contre des adversaires non étatiques ou des conflits "classiques" mais contre des Etats adoptant une stratégie de refus de la bataille, la déstructuration/absence de concentration physique significative rendra l'aspect de la bataille plus difficile à appréhender en l'apparentant à des séries de combats, mouvements et actions plutôt isolés vu de l'extérieur, la concentration étant opérée uniquement dans le temps (et la mobilisation des réserves et moyens de commandement) et non dans l'espace.

Dans ce dernier cas de figure, si la bataille reste un investissement ponctuel, quoique moins physiquement structuré et géographiquement concentré, quels nouveaux risques peut-elle faire prendre? Des adversaires non étatiques et peu à moyennement organisés/équipés sont une chose qui semble écarter le risque majeur dans une telle phase, mais quid d'adversaire non étatiques plus avancés, ou d'adversaires étatiques réellement organisés pour de telles campagnes (je pense très fort à Millenium Challenge 2002, là)?

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Dans ce dernier cas de figure, si la bataille reste un investissement ponctuel, quoique moins physiquement structuré et géographiquement concentré, quels nouveaux risques peut-elle faire prendre? Des adversaires non étatiques et peu à moyennement organisés/équipés sont une chose qui semble écarter le risque majeur dans une telle phase, mais quid d'adversaire non étatiques plus avancés, ou d'adversaires étatiques réellement organisés pour de telles campagnes (je pense très fort à Millenium Challenge 2002, là)?

Je vois deux familles de risques.

La première consisterait de la part de la force qui prendrait l’initiative de la bataille à « taper dans le vide ». Et je ne parle pas seulement d’un adversaire qui éviterait la bataille, mais bien d’une neutralisation des effets de celle-ci si elle a quand même lieu ; soi qu’elle ne débouche pas sur la mise hors combat de l’ennemi – et pour moi, plus qu’une temporalité très courte et la concentration de moyen, elle définie mieux que tout la bataille par ce but intangible- ou même n’arrive même pas à réduire de façon significative la capacité à combattre/la combativité de l’ennemie.

Des exemples:Même si Koursk avait réussie coté allemand ça n’aurait pas fait vraiment avancer le schmilblick, ou plus contemporain Cao-Bang, Den-Bien-Phu même si ils avaient atteints leurs objectifs ; enfin le Plan Challe qui a parfaitement atteint les siens.

Certes dans ce dernier cas c’est une campagne mais le propos peut avoir une valeur général , et l’on voie que même un plan opérationnel rondement mené ne peut être un substitut a une stratégie cohérente, ici un nationalisme algérien qui a réussie à définitivement s’implanter dans la population malgré la destruction de la branche militaire du FLN, en Indochine l’impossibilité de défendre efficacement contre la pression/infiltration tant du Vietminh que de la menace chinoise autres chose que la Cocochine et de faire de l’Annam une zone grise, enfin un ost-front définitivement intenable.  

Ou dit plus sobrement, de mal calibrer son action, diluer son effet. Ça peut avoir l’air élémentaire dit comme ça, mais force est de constater que les forces occidentales échouent de façon presque systématique dans les conflits asymétriques ou a gérer l’après guerre comme elles l’auraient souhaité. Pourquoi ces armées là en particulier sont si vulnérables ? Je mets ça sur le dos d'une définition trop restreinte de la guerre –et notre hôte en parle abondamment dans ses autres topics ;)-, et la très grande spécialisation des fonctions avec des spécialistes obnubilé par leur savoir-faire, « du travaille bien fait » au détriment du but général.

Deuxième risque majeur, plus physique celui-là : la destruction pur est simple. L’ennemie peut décider de ne pas s’exposer en concentrant lui aussi ses ressources alors que celui qui recherche activement la bataille y est contraint. On en revient au coup d’épée dans l’eau du précédent, mais une version plus agressive de la part d’un adversaire organisé consisterait à chercher au surplus à compenser l’asymétrie par une autre dans d’autres domaines et rééquilibrer le jeu au global, typiquement en jouant la montre, ce qui est une contrainte énorme quand par définition une bataille ne peut être qu’une concentration ponctuelle, ou opposer la masse qu’apporte la supériorité numérique pour conter la mobilité d’une force supérieurement coordonné et neutraliser sont ubiquité en la débordant de plusieurs axes – voir les chinois en Corée face aux Yiouess-.

PS : je sais que mes interventions de ces derniers temps sont particulièrement alambiquées, et qu’a la réflexion même, il en a toujours été ainsi, mais c’est l’exact reflet de la confusion mental qui règne dans mon esprit. voila avez le résultat brut de décoffrage.  

Mesdames –sait-on jamais- et messieurs, merci de votre attention.

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  • 1 month later...

Ou dit plus sobrement, de mal calibrer son action, diluer son effet. Ça peut avoir l’air élémentaire dit comme ça, mais force est de constater que les forces occidentales échouent de façon presque systématique dans les conflits asymétriques ou a gérer l’après guerre comme elles l’auraient souhaité. Pourquoi ces armées là en particulier sont si vulnérables ? Je mets ça sur le dos d'une définition trop restreinte de la guerre –et notre hôte en parle abondamment dans ses autres topics -, et la très grande spécialisation des fonctions avec des spécialistes obnubilé par leur savoir-faire, « du travaille bien fait » au détriment du but général.

Ca souligne la systématique focalisation sur le combat -la "bataille physique"- pris isolément du reste, avec une recherche de l'efficience système par système, parfois arme par arme (chacune résultant plus d'un projet de développement isolé que d'une vision d'ensemble choisie qui a beaucoup perdu en capacité de prescription). Ce focus explique entre autres choses l'oubli de l'importance du nombre, complètement mis à l'écart par l'obsession de la "qualité" (qui est un terme absolu et très partiellement vrai dans le champ infiniment plus global de la guerre, et même souvent du combat).

Ca révèle quand même le moule intellectuel complètement obnubilé par la "bataille" (concept abstrait quand pris si généralement), celle d'anéantissement, décisive, concept qui ne date réellement au final en occident que du XVIIIème siècle mais pour lequel nous sommes encore formatés, ce qui, via l'accroissement de l'Etat (donc sa subdivision sans cesse accrue en spécialités, dont le domaine strictement militaire comme activité mécanique/technicienne, et le "politique" -déconnecté du fait politique qu'est la guerre), de l'importance de la séparation militaire-civil, de la pacification des sociétés développées (loin de la menace) qui a pour corollaire l'évacuation par les élites du champ militaire, a complètement enfermé la réflexion et la décision militaires, et par là la pensée qui préside à l'action militaire (donc en aval les moyens de mener la guerre). On a des militaires en charge du fait politique suprême qui ne savent pas réellement mener la guerre (ou les très rares qui savent ne peuvent pas le faire) parce qu'ils se sont focalisés pour être des techniciens archispécialiste du combat, et pour être plus exact d'un type de combat (qui semble peu probable). On oublie quand même que ce moule de pensée est né à une époque et dans un contexte géographique (au sens large) particuliers: une Europe petite, avec des pays culturellement et donc matériellement (au sens du développement, y compris militaire) proches, un système international particulier et violent, et surtout une explosion démographique, agricole, routière et urbaine extraordinaire au XVIIIème siècle, tout en gardant une économie fondamentalement rurale (donc avec des réserves alimentaires partout). Le système de pensée stratégique et tactique qui en découle n'a donc de réelle pertinence que là, et pourtant personne n'a voulu le voir dès l'époque napoléonienne partout où ce modèle était invalidé (Espagne, mais surtout Russie) tout simplement parce que les conditions matérielles et spatio-temporelles changeaient. Ce fut pire encore pendant les Guerres Mondiales, surtout la 2ème, ou même pendant les conquêtes coloniales, si méprisées côté analyse tactique/stratégique comme "petits conflits" que personne n'a pris la peine d'en regarder le coût réel ou surtout les conditions économiques, historiques, politiques, démographiques et géographiques qui les ont rendues en apparence si "faciles". Bizarre d'ailleurs que la seule armée occidentale qui ait gardé le souvenir institutionnel d'un modèle différent de guerre pense et s'organise si différemment des autres: les Marines.

Or ce modèle de la bataille décisive n'est plus d'actualité pour longtemps: système de dissuasion nucléaire entre grands pays, armées de projection, multipolarisation du monde (notamment au niveau politique et militaire) mais surtout, surtout, l'évolution de la démographie dans son importance et sa répartition. On en revient au Moyen Age et au début de l'époque classique: les enjeux sont les grandes villes, les campagnes sont vides de toute masse démographique critique susceptibles de poser problème (le Vietnam d'aujourd'hui aurait plus de mal à se mobiliser comme contre les USA), sauf évidemment dans certains pays sous-développés. Et les villes à cibler sont immenses: elles n'ont pas de murailles, mais représentent des masses humaines hors de portée de toute armée voulant les conquérir et les contrôler, sauf à les détruire (ce qui enlève pas mal d'intérêt à une campagne militaire, sans compter les menus à-côtés et répercussions politiques :-[). Si on part des chiffres jugés "nécessaires" et qui semblent toujours vérifiés à travers les siècles, il faut une force représentant environs 4 à 5% de la population qu'elle veut "pacifier" pour assurer un contrôle efficace.... Sans garantie de réussite. Même en supposant moins et en multipliant certaines capacités qui peuvent l'être par la technologie, moins de 3% (déjà peu vraisemblable) est une dépense inutile. Imaginez qu'une ville d'1 million d'habitant (aujourd'hui une banalité) nécessiterait un extrême minimum de 30 000h pour être en partie contrôlée, et même plutôt 50 000 seraient nécessaires.

Ce simple fait montre que tout adversaire qui se sait désavantagé par rapport à un envahisseur plus développé/gros refusera tout simplement l'idée même de bataille décisive dans sa stratégie de base. Et à l'heure des armées expéditionnaires microbiennes en taille, qu'est-ce que cela dit sur la capacité à faire la guerre malgré le focus sur l'efficience maximale pour une bataille imaginaire?

Verra t-on des armées modernes occidentales soit condamnées à l'impuissance, et par là au refus d'engagement de campagne (donc avec perte de crédibilité), ou devoir en venir à des stratégies très dures pour les populations civiles, à savoir encercler une grande ville, et la détruire comme système fonctionnel, essentiellement en coupant ses approvisionnements (qui passent pour les grandes quantités par un petit nombre d'axes, de tuyaux, de relais satellites, de réseaux de câblages), tout comme les assiégeants de l'Antiquité et du Moyen Age empêchaient la bouffe de rentrer et les civils non combattants de sortir (avec des scènes insoutenables de milliers de civils expulsés par les combattants  et bloqués par les assiégeants, mourant dans le no man's land)?

Hors du contexte centre europe avec l'OTAN face au Pacte de Varsovie, terrain étroit littéralement couvert de troupes du nord au sud, la bataille d'anéantissement et de mouvement, décisive à l'échelle d'une campagne militaire, a t-elle même encore un sens? Et donc les organisations militaires pensées avant tout pour elle?

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Un autre exemple de la perception tronquée de la menace et du focus disproportionné sur l'idée de bataille "décisive" et l'affrontement "symétrique": l'Army américaine. Elle n'a en effet eu comme expérience institutionnelle longue que des "grandes guerres" (et des grandes guerres TRES spécifiques), pas l'intégralité du spectre guerrier au sol des USA, et il n'est pas étonnant qu'une absurdité surspécialisée comme la RMA ait émané d'elle et de l'Air Force.

L'inconvénient pour les USA est donc dans cette optique de l'avoir séparé du Corps des Marines qui s'est lui chargé aussi bien de grandes guerres (particulières) que d'une foultitude de "petites" guerres et situations complexes très différentes: quand on regarde le XXème siècle, je ne sais plus quel est le chiffre, mais le nombre d'interventions des marines hors des "grands" conflits est proprement hallucinant. Le différentiel est plus compréhensible pour les Européens qui, même à leur période coloniale, avait tous une menace terrestre surimportante à leurs portes (sauf l'Angleterre en 1914, mais qui du coup n'était pas du tout prête à la guerre continentale).

Cela renvoie par exemple aux focus culturels, politiques et militaires dans le récit antique, sur les forces "star", phalanges ou légions. C'est particulièrement sensible dans la Rome du Haut Empire qui a une nouvelle contrainte militaire double: garder un empire, le pacifier et surveiller/pacifier ses abords, et se tenir prêt à la "grande" guerre, pour laquelle leur culture militaire et leurs contraintes les portent à la recherche de la bataille décisive. Mais de fait, la menace et l'activité militaire dominante, c'est la conservation intérieure et la "petite" pacification des provinces et frontières (qui atteint souvent une certaine taille et de toute façon une haute intensité), ce pourquoi leur armée légionnaire se double structurellement d'une armée dite "auxilliaire" mais dont les unités sont tout aussi professionnelles et surtout infiniment plus utilisées. La moyenne d'espérance de vie des légionnaires, malgré une Rome restant très guerrière et prise dans des grandes guerres (où les auxilliaires servent autant), augmente nettement après le 1er siècle. Et on voit une armée légionnaire qui, à l'année, sert proportionnellement moins et se spécialise toujours un peu plus vers la seule grande bataille (équipement, mentalité, entraînement). En conséquence, et, ironie, en raison de l'évolution de l'optimisation du combat, les légions servent moins en tant que telles et sont utilisées partiellement, par morceaux (besoin de souplesse, impossibilité de vider les frontières pour une campagne....), si bien que la recomposition du IIIème siècle voit une armée plus fondée sur le modèle auxilliaire que légionnaire, désormais totalement inadapté.

On avait vu la même chose chez les Grecs, pour d'autres raisons:

- les Guerres du Péloponèse ont vu peu, voire quasiment pas, de combat d'hoplite, ne correspondant pas à la réalité complète de la guerre

- les guerres des Diadoques ont vu une évolution concurrentielle en vase clos: les armées, toutes de même types, se sont surspécialisées pour la grande bataille.... Jusqu'à ce qu'on voit (via l'arrivée des Romains) que la "grande bataille" pour laquelle ils s'optimisaient était en fait uniquement la "grande bataille" contre des armées identiques. Encore une perception faussée de la guerre et de la menace.

- les guerres médiques ont porté, dans leur récit, le focus sur la seule phalange, quand il y avait en fait 5 à 7 fois plus de troupes d'autres types dans les armées grecques que les phalangistes. Cette perception faussée a fait mal quand l'irruption des macédoniens dans le jeu leur a montré qu'une armée complète professionnalisant TOUTES les composantes (et en ayant une meilleure phalange) leur foutait une raclée.

Ces cas montrent qu'on peut vite se leurrer sur la perception des menaces réelles et prioritaires, et se focaliser sur son propre modèle sans le questionner, celui-ci étant vu de façon déformante via de multiples raisons (intérêts, préférences, idéologie....). Et toutes les situations rencontrées qui ne sont pas réellement dangereuses et/ou pas PERCUES comme de grandes claques, sont mésinterprétées par le prisme de ces mêmes oeillères.

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