Aller au contenu
AIR-DEFENSE.NET

Cathax

Members
  • Compteur de contenus

    246
  • Inscription

  • Dernière visite

Tout ce qui a été posté par Cathax

  1. En même temps, essayez 5 minutes d'essayer ce genre d'extrémistes se mettre autour d'une table pour diviser tout ou partie des USA entre eux: combien on parie que chaque groupe tentera de grappiller le plus de territoire possible, tout en considérant l'autre comme en ayant déja bien assez au vu de son statut d'untermenshen; je vois mal tout ce beau monde, s'il avait une réelle possibilité de traduire ses désirs territoriaux en actes, vivre en paix en se contentant d'ignorer l'autre.
  2. Chez les noirs tu as Louis Farrakhan et son mouvement, qui forme l'exemple le plus célèbre; pour les hispaniques, il existe un courant d'opinion "indigéniste" concernant plutôt des revendications territoriales (basiquement, le territire de l'ancienne Vice-royauté espagnole de Nouvelle-Espagne (Mexique et une partie de l'Amérique centrale), ce qui comprend certains états US (Floride, Texas, Californie, Nouveau-Mexique entre autres). Il y a un concept de "raza" (race) qui fait s'agiter de temps à autre les conservateurs US et qui pourrait s'en rapprocher: apparemment, cela s'agit plus d'une appelation générique "identitaire" pour tous les latinos vivants aux USA, et les Républicains fantasment sur un éventuel soulèvement; il semble y avoir dans cette vision une transposition de pas mal de fantasmes sur les noirs "tous dans un gang et n'attendant qu'une occasion de nous massacrer, nous gentils WASPS", version parti républicain actuel.
  3. Un point sur les rapports armée-nation au Japon: -d'abord, il faut souligner le rôle important des associations d'anciens combattants: comme dans la plupart des pays, elles sont présentes jusqu'au niveau local, permettant un maillage serré du territoire nippon, et exercent de nombreuses fonctions, notamment celle d'assurer une première forme de préparation militaire, avant l'incorporation. -la politique d'aide aux blessés de guerre se met réellement en place à partir de 1937; c'est une leçon du conflit russo-japonais, qui avait vu les blessés développer un fort sentiment d'abandon, et, par voie de conséquence, un rejet de la guerre). Dans ce contexte, survient l'élan patriotique de 1937-1938, avec notamment la création d'associations de soutien aux troupes (dans les 10000, soit presque une par commune). Les organisations locales s'occupent de l'envoi de lettres et de colis aux soldats (activités encouragées très officiellement, les soldats étant incités à témoigner de l'impact que cela avait sur le moral, sans trop d’exagérations probablement), font sentir le soutien aux conscrits sur un plan plus psychologique. Jusqu'en 1941, la mort d'un soldat donne lieu à une manifestation ou à une commémoration locale, ainsi qu'un encart dans les journaux (nom, photo parfois, unité, distinctions); à partir de cette année, le nombre de tués grimpe rapidement, et le gouvernement demande à ce que les commémorations soient moins visibles et moins onéreuses; les journaux ne mentionnent plus les tués, mais recommencent pour les kamikazes. Le départ à l'armée donne lieu à une cérémonie, appelée fête des papiers rouges, de la couleur des ordres de conscription. Un lien sur l'armée impériale, en anglais: http://www.1jma.dk/articles/1jmaIJAfront.htm
  4. Super intéressant Gibbs, je n'avais pas du tout pensé à cet aspect. J'en étais resté à une vision des USA en tant que pays marqué par un certain volontarisme dans les moeurs, sans penser à l'action de l'état.
  5. Pour le fait de trouver des volontaires pour aller combattre dans la Pacifique, j'ai tendance à mettre ça sur le compte de "l'effet Pearl Harbour" (venger l'infamie), et dune forme de pression sociale propre aux situations de guerre: faut y aller, y'a pas moyen de rester en arrière sans la sentir. Mais j'en sais très peu sur ce point. Concernant le chaos des batailles du Pacifique, il y a un retex continuel des leçons apprise à la dure (comment mieux coordonner, quel matériel employer/améliorer, dans quelles conditions, comment organiser les unités...); et d'autre part, point qui joue en faveur de l'USMC, il y a la tradition d'être une troupe de choc: l'esprit de corps, le mental, doivent beaucoup jouer et être utilisés par l'encadrement pour motiver les gars. Ca me fait un peu penser à une phrase de Bergot sur les paras à Dien Bien Phu: l'image que l'on a de soi-même et de sa valeur en tant qu'unité est présente.
  6. Concernant les militaires, j'ai l'impression qu'ils sont pour la majorité d'entre eux bien au-dela des considérations sur la "communauté asiatique" des propagandistes: ils conquièrent un empire, peu ou prou, avec la dose de sentiment de supériorité que cela doit provoquer à une époque aussi marquée par les doctrines sur les races. Si on y ajoutes en plus la brutalité de l'armée impériale de l'époque, ça explique pas mal de comportements. En fait, j'ai l'impression -c'est subjectif, je ne peux pas chiffrer la chose- que les tenants concrets d'une coopération panasiatique sous l'hégémonie japonaise ne représentent au final que peu de monde: la plupart ont soit moins de recul, soit laissent facilement les habitudes conquérantes, les "mauvaix exemples" déja présents chez d'autres colonisateurs... déteindre. A propos de la mobilisation totale des civils pour défendre l'archipel, c'est le but recherché, et il a valeur d'idéal: c'est vraiment tout le peuple uni sans réfléchir (ils insistent sur ce point) derrière l'empereur, dans un combat à mort. La mise en oeuvre, c'est autre chose, mais la volonté de mettre cela en place était certainement là, et le système japonais se rapproche des totalitarismes en ce qu'il souhaite utiliser et mettre sous contrôle des autorités toute forme d'organisation sociale dans un but militaire. Toute forme d'association, de réunion, de groupement, était "invité" à prendre sa place dans ce schéma. D'ailleurs, c'est un peu ce qui se voit dans la réponse aux bombardements: on évacue la population que l'on juge superflue dans les villes, pas pour protéger les civils, mais pour permettre à ceux qui restent de se concentrer sur leur tâche fondamentale: continuer à faire tourner l'effort de guerre.
  7. Concernant les Chinois et les Japonais, c'est tout à fait cela, sans surprise d'ailleurs. Il y a une citation japonaise de l'époque qui dit que les Chinois ont une armée qui est technologiquement moderne, mais psychologiquement restée 10 siècles en arrière (ce qui me fait penser à la citation que tu citais, Gibbs, du général anglais évoquant les Japonais à mi-chemin entre modernité et Moyen-Age). La guerre est Chine est barbare: l'armée impériale y pratique des exactions à grande échelle, lesquelles sont d'ailleurs très peu rapportées par les soldats nippons, qui en parlent en termes très généraux (on a su/entendu que, on a vu un autre...). Apparemment, c'est déja présent durant le conflit de 1894-1895, et cela a laissé des traces, forgé une représentation actualisée et négative de la Chine, ensuite reprise par la propagande. Pour les Japonais, le chinois est stéréotypé: fourbe, lâche, terroriste: les violence nippones ne sont que des réactions à cela. Plus globalement, le rapport à l'Asie est intéressant, car franchement ambivalent: -les Japonais veulent "sortir" eux-mêmes, symboliquement, de l'Asie, pour se sauver du colonialisme européen, et, y parvenant, se posent comme "supérieurs", ce qui à son tour légitime de façon tordue la colonisation japonaise; -et versent dans l'asiatisme: ils veulent se rapprocher des pays asiatiques, et ce au nom d'une communauté de destin supposée; ce discours existe depuis les années 1880. L'idée, c'est que si l'Asie du sud-est a bien une unité spirituelle et culturelle, alors il est légitime pour le Japon de l'unifier sous son égide, et de la conserver sous son autorité. Il faut noter, cependant, que les Japonais connaissent peu les pays les plus éloignés (Indochine, Indonésie) compris dans cette zone. L'asiatisme est une solution pour la bourgeoisie libérale et pas mal d'intellectuels: il s'agit de dominer par la force, et de libérer par l'esprit (dans une démarche qui a des parallèles avec le colonialisme français); les nostalgiques de l'Empire verront ensuite, dans les indépendances des années 1950, la validation de cette idée. Les médias sont soucieux de présenter l'emprise japonaise comme plus juste que son homologue occidentale: il y a exploitation économique, mais on respecte les locaux, auxquels on transmet les valeurs asiatiques. Accessoirement, il a existé un tourisme de masse dans l'Empire, notamment en Corée et en Chine: on parlait de "voyages d'études coloniales". Mais la xénophobie y était très marquée, de la part de toutes les catégories de Japonais se rendant sur place. Certains militaires l'ont d'ailleurs regretté, déplorant l'incapacité à conquérir le cœur des peuples.
  8. Un détail mais qui apparemment à beaucoup joué dans les mentalités: la différence du traitement accordé aux morts par les Américains et les Japonais. Les Japonais pratiquent généralement la crémation, jusqu'aux os (et pas en cendres comme en Occident), puis prélèvent une partie des ossements pour être renvoyés en métropole, dans des cimetières ou dans des ossuaires (le reste étant enterré/incinéré sur place). Les Américains, et semble t-il tout particulièrement les Marines, font tout pour ramener les corps des leurs: cela implique le travail des unités combattantes et logistiques, une mobilisation totale de la machine de guerre américaine au service de ce point. Les Japonais, eux, gèrent les restes des tués au niveau des unités, les hommes portant les morceaux de leurs camarades tombés au combat: aux Salomons, ce sera particulièrement visible, avec l'envoi d'unités demandant une très faible traîne logistique. Les kamikazes, de ce point de vue, font particulièrement horreur aux Américains, ) la fois de part leur façon de se sacrifier, mais aussi à cause de l'idée qu'ils méprisent leur vie, et celle de leurs adversaires. Pour un pays de tradition chrétienne, les soldats nippons, qui portent sur eux des membres coupés ou des os, sont monstrueux. Les Japonais prélèvent sur les dépouilles un doigt ou une main sur un soldat, un bras ou la tête sur un officier, pour les rapatrier. Quand la guerre tourne mal, cela devient plus difficile: un vétéran de la campagne de Birmanie de 1944 se souvient d'avoir transporté les restes de 15 ou 16 hommes. La situation varie selon les théâtres d'opération: pour le Pacifique, peu de corps sont récupérés. La Birmanie, à cet égard, constitue une véritable catastrophe. Dans beaucoup de boîtes funéraires remises aux familles, il n'y a tout simplement rien (d'après des sondages ultérieurs: près d'un quart). Le 29e RI, à Guadalcanal, envoie du sable fin, pour symboliser le sacrifice des hommes. On commence alors à inciter au prélèvement d'ongles et de cheveux, pour constituer des reliques mortuaires, avant le départ, parfois directement dans les bases. On estime au final à près d'un million et demi de corps perdus et abandonnés, ce qui est pointé comme une faillite totale du commandement nippon à l'égard de ses soldats.
  9. Ce n'est qu'une impression, et donc ça vaut ce que ça vaut: tel que je vois les choses, les Japonais ont oublié plusieurs éléments: d'abord l'impact de Pearl Harbour, qui soude le pays dans une indignation/furie vengeresse, en lui procurant un ennemi commun vers lequel mobiliser toute sa colère; puis la capacité d'indignation, en lien avec le rapport particulier à la morale qui est le leur et que tu mentionnes: ce besoin de se présenter toujours comme droits, moraux, en opposition au cynisme que l'on reproche aux autres puissances, lequel pousse à transcrire l'effort de guerre dans une dimension psychologique peut-être plus forte, car plus absolue, d'où une détermination très réelle, si rien ne vient contrebalancer cette lecture des événements, quelque chose qui s'ancre, en somme, dans l'idée que les Américains se font d'eux-mêmes; et enfin, plus de cynisme chez les dirigeants qu'on ne veut l'admettre, et l'opportunité d'asseoir la puissance nationale en frappant un adversaire potentiel, position légitimée par l'agression de celui-ci. A leur décharge, sonder la mentalité américaine est un exercice auquel beaucoup se sont cassés les dents, ne serait-ce qu'à cause des préjugés, et les Européens ont aussi leur part d'idées préconçues. C'est le général Desportes qui insistait sur les contraintes particulières du débat et de l'opinion américaine, lesquels influaient de façon décisive sur les options des dirigeants pour déclencher/soutenir un conflit: c'est le genre d'analyse queles Japonais auraient dû mener, idéalement, avant de se colleter avec ce pays.
  10. Concernant Iwo Jima, ça recoupe la vision qu'ont les Japonais des Américains: elle semble être sans nuances et ne pas varier tout le long du conflit. Le conflit sera d'ailleurs parfois présenté au Japon comme une revanche de l'expédition du commodore Perry de 1853, et réactive la peur (très présente durant toute la seconde moitié du XIXe siècle) du colonialisme occidental. La guerre contre les USA est évoquée comme possible dès les années 30, mais la propagande anti-américaine est peu préparée. L'idée se fait jour d'un conflit entre les deux puissances qui ne pourra être que total, et qui déterminera l'avenir du Pacifique. La civilisation américaine est vue comme valorisant la richesse et respectant la force, mais fragile car historiquement jeune, et dépourvue d'idéal commun, chose qu'aggraverait encore plus le caractère démocratique des institutions. C'est la civilisation moderne, machiniste par excellence, brutale et implacable, mais psychologiquement incapable de supporter les pertes qu'entraîne une guerre longue. La volonté américaine est vue comme faible, d'où l'idée de contrer l'armée américaine avec les "forces morales" vues comme propres au Japon: solidarité, détermination et sens du sacrifice. Les médias japonais rendent compte des pertes américaines (amplifiées) dans cette optique: toute nouvelle perte, dans la vision nippone, doit entraîner une rupture inévitable de la volonté ennemie, ce qui devient, à mesure que le conflit évolue, le seul espoir de victoire. Ensuite, la propagande tend à se focaliser sur l'héroïsme des troupes japonaises (par exemple le sacrifice de la garnispn d'Attu fait l'objet d'un véritable martyrologe) , et à inciter la population à se sacrifier elle-même. On oppose l'impérialisme économique, l'implacabilité mécanique, l'absence de sentiments des Américains, aux valeurs nippones que sont l'effort, la pureté de cœur et la détermination.L'idée, très ancrée dans les élites de l'époque, est que l'unité spirituelle de la nation japonaise autour de l'empereur, sans intermédiaire (ce qui au passage constitue ,aux yeux de beaucoup de spécialistes une tendance fascisante selon des normes spécifiques au Japon; pas en soi, mais dans la façon qu'ont les élites politiques de l’époque de s'en servir), constitue un modèle indépassable, d'où une supériorité morale nippone.
  11. Un détail qui illustre le caractère omniprésent de la difficile cohabitation entre l'armée et la marine japonaises: chacune disposait de ses protégés dans ses efforts de propagande, et la nécessité de trouver un arbitrage a conduit a sacrifier des officiers efficaces, afin de maintenir une entente au sommet. J'avais parlé de l'ancrage rural de l'armée nippone: celle-ci recrutait localement (2 ans de service pour les conscrits, la durée devenant "indéfinie" à partie de 1938), les conscrits étant versés dans des régiments stationnés près de leur lieu d'enregistrement civil (différent du lieu de naissance, un peu similaire au modèle suisse). Fréquemment, ils avaient au moment de leur intégration déja effectué une préparation militaire, sous l'égide des organisations d'anciens combattants présentes dans leurs villes ou villages. L'ancrage à la terre d'origine avait pour but de souder le nation à ses soldats: ceux-ci se connaissaient, et étaient connus des habitants et des autorités locales, d'où une forme de pression sociale présente. L'armée, en tant que système unifié, constituait un puissant vecteur d'intégration nationale. Néanmoins l'armée n'était pas perçue de façon homogène: sa violence était connue, et de nombreuses demandes de dispenses ont été déposées. Les élites intellectuelles faisaient l'objet de conditions avantageuses par rapport à la conscription, du fait d'une volonté gouvernementale de les préserver: des durées raccourcies de service et des reports d'intégration étaient possible, notamment pour les étudiants. Cela à son importance: ils ont peu participé au conflit en Chine, entre 1937-1941, mais ce sont eux qui l'ont raconté.
  12. Ca rejoint ce que je lis: le début du conglit en Chine n'est pas perçu nettement comme une rupture de la part de la population ou des élites japonaises: les incidents militaires ont été nombreux depuis le début de la décennie, et le contexte intérieur troublé de l'archipel joue aussi: dans ce cadre, il y a une exaltation patriotique, mais qui connaît une progression lente et continue, au lieu de se déployer brutalement. L'exemple des soldats sacrifiés est central: dans ce lien, on aborde un exemple qui a connu une grande diffusion à l'époque, celui ces "3 bombes humaines" de Shanghai: https://clio-cr.clionautes.org/kamikazes.html (vers le milieu de l'article)
  13. Un facteur important: comment la population japonaise a été mobilisée, et comment on lui a fait accepter le conflit. D'abord, de façon progressive et non pas brutale. Le ressort principal semble être la peur: le Japon a été marqué par la colonisation occidentale dans la région, et craint encore d'être réduit à cet état, même si la menace disparaît fin XIXe. Les ambitions coloniales européennes ont créées dans l'imaginaire collectif nippon l'mage d'un occident prédateur, qui survit durant toute la période. La révolution russe et les affrontements en Sibérie ne font que réactualiser cette vision, du point de vue nippon. La peur des bombardements est également présente: elle est présente depuis les années 1920, et est fréquemment comparée à celle des séismes, car les deux phénomènes sont perçus comme également destructeurs. L'occupation du Japon (qui dure jusqu'en 1972 pour les Ryukyu) est cruciale. Il ne s'agit pas uniquement d'une démilitarisation, d'une pacification et d'une démocratisation de l'archipel; les autorités américaines imposent leurs décisions, en fonction de leurs intérêts, en priorité. De là découle le caractère ambiguë de certaines mesures: c'est le cas des procès de responsables, des monuments, et des programmes scolaires. La façon dont les Etats-Unis ont imposé leur grille de lecture historique, leur manière de gérer les questions religieuses et mémorielles, le "sauvetage" de l'empereur et le fait que les poursuites se soient concentrées sur les militaires ont orienté les Japonais quand à leur rapport au passé. L'aspect mémoriel ne doit semble t-il pas être généralisé: les choses évoluent dans le temps; il existe des différences régionales en concurrence les unes avec les autres (d'où plusieurs discours spécifiques); l'Etat, les collectivités territoriales et les groupes religieux ont des logiques différentes; le rôle des relations avec la Chine et la Corée du Sud est déterminant; enfin, les personnes portent des regards pouvant grandement varier sur le passé. Les mémoires du conflit sont éclatées, et les polémiques historiques sont nombreuses.
  14. Il n'a même pas forcément besoin de modifier formellement les institutions pour devenir un régime autoritaire. Je pense au Japon de l'entre-deux guerres: pas complètement démocratique certes, mais l'évolution du pays vers un régime de plus en plus dur n'a pas eu besoin de s'accompagner d'une quelconque modification des institutions et textes à valeur constitutionnelle existants: il a suffi de les invoquer dans le sens que l'on voulait. Les institutions dataient de l'ère Meiji, et avaient pour objectif primordial d'éviter une mise sous tutelle aboutissant à la colonisation du pays par les occidentaux. Les gouvernements militaires au pouvoir n'ont rien modifié, rien créé au niveau idéologique: ils se sont contentés de manœuvrer dans le cadre du système politique existant, délimité par la constitution impériale, le rescrit impérial sur l'éducation et le code civil. La répression des opposants politiques s'est fait au nom de la protection de la nation, telle que définie dans les années 1868-1912. On a "juste" radicalisé l'esprit des institutions existantes.
  15. Toujours sur la perception du conflit par les Nippons: apparemment, ce qu'il ressort de l'étude des témoignages de la population à l'époque, c'est que la coupure avant/après 1945 n'est pas la plus pertinente qui soit; il y aurait plutôt 3 périodes distinctes: -tout d'abord, des prémices (fin des années 30) à 1943: c'est l’enthousiasme, le temps de l'expansion et de l'embrigadement idéologique. Les victoires provoquent une vision positive du conflit; les efforts sont moins durs à fournir, tandis que les critiques apparaissent suspectes. C'est une forme d'enthousiasme de la puissance, assez classique me semble t-il. -de la perte de l'initiative militaire en 1943 à la fin de l'occupation alliée en 1952: le Japon n'est plus maître de son destin, et le sait. Fin 43, la population commence à être en partie évacué des villes, et les étudiants sont mobilisés. Suit la reddition, l'occupation par une puissance qui impose des ordres dans tous les domaines, d'où une frustration présente. Les évacués et les rapatriés reviennent (les derniers soldats capturés quittent la Sibérie en 1950), progressivement à cause des problèmes de logement et de ravitaillement. C'est l'apogée de la crise. -après 1952; le pays récupère sa souveraineté, mais le souvenir de la défaite reste présent dans les esprits. Le présent est déterminé par les conséquences politiques et psychologiques de la défaite. Si la mémoire du passé nippon est ce qu'elle est actuellement, c'est plus du fait de la défaite, des bombardements, de l'occupation, des procès et des rapatriements que des victoires initiales. A ce propos, voici un petit lien sur les prisonniers nippons en Sibérie: https://www.gwu.edu/~memory/data/government/russia_pow.html. J'avais vu passer des carnets de croquis réalisés par ceux-ci: ils ont parfois croisés des prisonniers originaires d'autres pays de l'Axe dans ces camps. J'ai peur cependant que ça fasse un peu dérailler le sujet initial: je décante un livre sur les Japonais pendant le conflit, mais il s'agit plus du vécu de la population que des batailles elles-mêmes. Dites-moi si vous voulez rester sur ce sujet, ou en ouvrir un autre.
  16. Quelques petites choses que j'ai glané sur la perception du conflit: Actuellement, il y aurait deux grands courants mémoriels concurrents au Japon quand à la guerre elle-même: pour les conservateurs, le Japon a plus cherché à se protéger des puissances occidentales qu'à conquérir l'Asie, tandis pour que pour l'autre (qui va des libéraux aux communistes), la guerre est dû aux groupes militaires qui ont pris le contrôle de l'état. Il faut ajouter en outre l'idée largement partagée que le Japon a énormément souffert des bombardements alliés, et que l'occupation fut en soi une dictature. Les crimes de l'armée impériale sont niés par les nationalistes (qui y voient une volonté de faire porter au Japon la responsabilité du conflit); les autres courants les reconnaissent, mais ne leur accordent qu'une importance secondaire, derrière les souffrances subies. En Chine et en Corée, il n'a pas de controverse sur le comportement des Japonais, perçu comme oppressif à grande échelle. Les débats portent sur le rôle des collaborateurs locaux. En Inde, à Taiwan et en Birmanie, c'est plus nuancé avec l'idée tout aussi présente que le Japon a secoué la tutelle occidentale (le sujet avait été abordé sur le forum d'ailleurs). L'historiographie japonaise doit tenir compte de l'importance primordiale de la vision américaine sur le sujet: l'historiographie américaine est riche, de par son accès privilégié aux sources, et ancienne. Elle se fonde sur l'idée d'une guerre juste, d'où un rejet de toute forme de victimisation nippone, laquelle porterait l'idée que la responsabilité du conflit est plus liée au colonialisme occidental qu'au militarisme japonais. Au Japon, il n'y a pas rejet des responsabilités nationales ou victimisation, mais une opposition entre plusieurs mémoires. L'origine de ces mémoires se place avant la guerre, et dépend de positions idéologiques, d'actes politiques et d'expériences personnelles: le lien national n'est pas perçu de la même façon.
  17. Désolé si j'ai donné l'air de ne pas apprécier: c'est plutôt l'inverse en fait. Moi, tant que c'est décalé, j'apprécie. Et la vidéo sur comment se tirer d'un rencard pourri est assez géniale en soi.
  18. J'ai jeté un oeil rapide à leurs autres vidéos: c'est le même genre. Tu as trouvé des hipsters militaires ! Un vrai plaisir coupable en tout cas.
  19. C'est un peu HS, mais c'est un détail que je viens d'apprendre, et qui m'incite à voir les choses d'un autre oeil côté nippon: Akira Kurosawa avait réalisé pendant la guerre des films de propagande (y compris un projet apparemment titanesque, et donc irréalisable pour causes de ressources mobilisées pour la guerre, sur une bataille célèbre du XVIe siècle). https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Hommes_qui_march%C3%A8rent_sur_la_queue_du_tigre Dans ce film, la "morale" est qu'il faut parfois s'affranchir de la morale traditionnelle pour tromper l'ennemi, ainsi que le sacrifice pour le chef; certains ont vu une manifestation concrète dans le changement de présentation d'Hirohito à la fin du conflit, présenté comme "plus ordinaire", afin de détourner la colère des vainqueurs de l'institution impériale.
  20. Concernant la ségrégation dans les forces armées américaines: au début de la guerre, il y a à peu près 4000 noirs dans l'armée, cantonnés à des tâches subalternes et d'intendance: pas mal de serveurs dans la Navy par exemple. Le préjugé répandu est que le noir est un mauvais soldat, mal dégrossi; les plus indulgents estiment que très encadrés par des blancs, ils sont potables, sans plus. Les marines et la Navy sont les plus rétrogrades en la matière. La guerre va voir 1 million de noirs mobilisés: la plupart toujours dans des unités de service et d'intendance. La ségrégation reste de règle. Des grandes unités (telle la 93e DI, engagée en France pendant la Première guerre mondiale) sont tout de mêmes constituées, et engagées. Certaines unités de combat sont néanmoins dès leur arrivée assignées à des rôles auxiliaires (ce qui est dû à la fois aux préjugés, et à un réel besoin: pas mal d'unités de combat "régulières" blanches passeront aussi du temps à faire du boulot de force, pour suppléer au manque chronique d'unités du génie). L'USMC va créer des bataillons défensifs, sur le modèle de celui de Wake, pour les noirs intégrés dans ses rangs: ce type d'unité étant autonome, il doit permettre d'éviter trop de contact avec le reste des troupes. Un point positif cependant, même si très minime: ce type d'unité permet aux noirs l'accès à pas mal de spécialités d'armes. Le modèle tombe à l'eau: quand il est créé, les Américains ne sont plus en situation défensive, mais en offensive totale: les unités constituées sont donc affectées à des tâches de garnisons. On trouve néanmoins des noirs engagés au combat dans des unités certes auxiliaires, mais exposées de par leurs missions, notamment les beach parties et shore parties de la Navy et de l'USMC (lien en anglais sur le sujet: https://www.ibiblio.org/hyperwar/USMC/ref/phib16/index.html). Une controverse se fera également jour avec les Britanniques, qui n'apprécient guère leur présence dans leurs colonies: ça pourrait donner le mauvais exemple aux indigènes. L'Australie verra son lot de bagarres et de cantonnements forcés, et les GI blancs se feront fréquemment un devoir d'expliquer aux Australiens leur "vision" des choses. Le commandement, lui, semble ne pas réellement s'être intéressé au problème. La situation à Guam sera l'une des plus explosives du conflit (littéralement: https://en.wikipedia.org/wiki/Agana_race_riot): tout semble partir d'une concurrence envers la population féminine locale, qui aurait servi d'étincelles (peut-être aggravée par l'alcool: Guam fut un dépôt de spiritueux raflés par les Japonais pendant leurs conquêtes, d'où certains "excès" à la découverte de ces stocks). Le tout à viré à l'émeute, dans une situation où le commandement local manquait de discipline et était majoritairement composé d'officiers peu expérimentés.
  21. Mince alors, je ne vais pas pouvoir voir Gibbs en uniforme flamboyant, avec assez de médailles pour faire sonner tous les portiques et toutes les alarmes antivol à 15 bornes à la ronde. Tant pis, faudra se contenter des pétards du 14 juillet. Concernant les combats de la fin du conflit, on arrive sur Iwo Jima, les Phillippines, Okinawa... soit des batailles où les Japonais cherchent à durer en usant le plus possible le potentiel adverse, en évitant tant que possibles les contre-attaques téméraires mais perdues d'avance face à la supériorité du feu adverse: faire perdre du temps et des hommes, compliquer la vie de l'ennemi, et atteindre son moral si possible. D'où un impact certain sur les troupes américaines, confrontées à des combats longs et acharnés, causant de nombreuses pertes. Apparemment, le plan prévu pour la défense du Japon lui-même était identique, à plus grande échelle. L'un des membres d'AD.net avait d'ailleurs excellemment résumé le plan dans un message, sur un autre fil. L'état-major impérial comptait que les civils des deux sexes se sacrifieraient d'eux-mêmes pour la patrie. L'idée étant qu'en utilisant les avantages offerts par la situation (connaissance du terrain, soutien populaire actif, espaces de manœuvres importants, lignes de communications proches et ressources plus abondantes), l'on pourrait suffisamment faire saigner une force d'invasion pour pousser les Américains à négocier une paix plus favorable. Néanmoins, si j'en crois ce qui avait été dit sur ce même forum, les Japonais sont au fond niveau ressources, et il est possible que l'EM ait été trop optimiste: honnêtement, je ne saurais dire ce qu'il en était.
  22. Je crois Gibbs que tu mets le doigt sur quelque chose avec ta comparaison sur l'Espagne: ce côté traditionnel, qui se retrouve aussi au Japon et qu'on pourrait peut-être rapprocher de l'état d'esprit des "prussiens" allemands: une caste d'officiers professionnels, vivant dans une bulle (sur un autre sujet, Tancrède évoquait la tendance au cloisonnement de toute organisation: on en a probablement là des exemples poussés), avec un système de valeurs spécifiques, et se percevant comme dépositaires du bien de la nation. C'est certes quelque chose de présent dans la plupart des armées, considéré comme une forme de patriotisme; la différence étant qu'ici, ces groupes sont parvenus à exercer la direction politique du pays, et l'on donc plié intégralement à leurs valeurs et objectifs. Il s'agirait en somme d'un nationalisme "classique" de type XIXe-début XXe, mais complètement capté par l'armée, libre de pousser le pays dans la direction de ses intérêts propres, perçus à tord comme représentatifs. Il y a alors union/mise à profit de tous les éléments conservateurs ou traditionalistes d'une société, au service du projet politique en question, mais combiné à des méthodes modernes: propagande, médias, organisation... Pour le Japon, depuis l'ère Meiji, il y a cette idée de rester traditionnel dans le fond, tout en combinant la technologie occidentale sur la forme: c'est ce qui a permis au pays de devenir une grande puissance quand la Chine, la Corée et la plupart du monde tombaient sous domination européenne: c'est le genre de réussite qui doit créer une dynamique dans l'esprit des élites. Je n'ai pas grand chose sur l'état d'esprit des Japonais concernant les Américains, à part le préjugé apparemment ancré chez beaucoup de dirigeants militaires qu'il s'agit d'un peuple ramolli par une existence confortable, et donc incapable de supporter les sacrifices imposés par une guerre longue. Cela s'est avéré faux, mais il faut quand même constater que la troupe US, en 44-45, commence à avoir des baisses de moral: le fait de n'être relevés que lentement, les combats de plus en plus difficiles, tout cela laisse des traces, et les chefs militaires et politiques s'en inquiètent, d'autant plus que l'Allemagne est en passe d'être vaincue. Concernant l'USMC, l'alerte de l'entre deux guerres à été chaude; il a pour lui l'avantage de disposer d'officiers compétents, qui ont su utiliser tous les relais disponibles pour infléchir les gouvernements en quête d'économies, à coups de campagne de communication bien menées. Il a surtout, je pense, celui d'être une petite structure fortement soudée et placée dans une situation d'adaptation forcée: un peu comme la Reichswehr (dans des conditions différentes) à la même période, il doit innover pour conserver une capacité à exister.
  23. Gibbs, c'est très clair. On a souvent tendance à voir les peuples engagés dans une guerre derrière un prisme de propagande ou une réalité à grands traits, en oubliant l'infinie diversité des personnes, des circonstances etc. Il faut voir quelle peut être l'emprise de l'armée sur la société japonaise; je pars du principe qu'elle est importante, mais pas uniforme: le militarisme japonais est, dans son nationalisme, traditionnel: il se revendique du Japon éternel, des vieilles valeurs, est conservateur en matière de politique et de société, à la différence du nazisme/fascisme, voulant transformer la société. L'armée japonaise d'avant la guerre est notamment très présente dans les zones rurales, via des associations civiques et patriotiques (à peu près 4000 pour la seule association féminine), qui renforcent les liens entre armée et population rurale via des services réciproques. La plupart des jeunes officiers viennent d'ailleurs de ces zones. D'où un rejet d'autant plus marqué des idées nouvelles qui pouvaient s'entendre dans les villes: la société urbaine était plus ou moins assimilée à tous les vices, renoncements, humiliations, tendances néfastes importées de l'étranger... un schéma assez répandu dans pas mal de pays et d'époque.
  24. On parle beaucoup, et à raison, de la haine éprouvée par les soldats américains envers les Japonais pendant la guerre; cependant, il semblerait qu'il y ait une notable différence entre le discours et les actes: une fois confrontés aux prisonniers et aux civils japonais, les comportements étaient dans l'ensemble moins virulents. Je crois que c'est à Saipan que le général Vandegrift a pris le temps de s'assurer que les prisonniers japonais soient correctement traités, et ce, à un moment pourtant critique de la campagne.
  25. J'ai peu de choses sur les conditions de vie des soldats, mais les voilà: -on a déterminer que pour plusieurs divisions de l'Army, le temps de présence sur le théâtre par rapport à la durée effective des combats est en gros d'un an/ un peu moins d' un mois.L'existence de la troupe est plus difficile qu'en Europe: le soldat est plus longtemps loin de chez lui, l'arrière est presque aussi inconfortable que le front (même s'il y a amélioration graduelle dans certains coins). Les maladies tropicales lessivent littéralement les unités. L'ennui de la troupe est, avec la solitude, un mal récurrent. Les hommes supportent comme ils peuvent les aléas du climat tropical, sa faune (notamment les rats, grouillant en grappes sur les tentes dans certaines îles) et les moustiques: il n'y a jamais assez de moustiquaires au goût des garnisons. Les conditions d'installation sont fréquemment spartiates: l'eau courante n'est pas toujours installée, l’éclairage électrique est fréquemment insuffisant. La nourriture est parfois réduite aux seules rations. Il y a peu de viande fraîche, les conserves occupent une place disproportionnée, et les fruits sont peu abondants. L'armée veille cependant à maintenir une alimentation suffisamment équilibrée pour éviter la plupart des carences. L'attente est démoralisante. Les rares cinémas sont précieux, et constituent la principale distraction de pas mal de soldat. Concernant la médecine de combat, on note l'apparition de l'unité chirurgicale mobile, implantée au plus prés du front (fréquemment dans une ancienne position japonaise). Après, on passe au centre de tri: les blessés y sont soi soignés sur place, soit évacués. Il y a peu ou pas d'hôpitaux de campagnes dans les zones de combat. L'évacuation par avion est la plus appréciée: plus rapide, plus efficace, le taux de mortalité des blessés y est inférieur à 7%. Les escadrilles opèrent pas mal sur C54. Les navires-hôpitaux continuent de rendre d'importants services; ils sont suppléés par des LST reconvertis, pouvant accueillir à peu près 80 blessés chacun. Le ministère de la marine, pour la petite histoire, désapprouvait cet emploi (tout en tolérant l'existence du matériel déja transformé de cette façon), mais le commandant des forces amphibies de MacArthur a fait avaliser la chose, et a volontairement égaré la note dans la masse des dossiers transitant par ses services. Les conditions d'évacuation dans la jungle sont précaires: le voyage est exténuant pour les porteurs, sur un terrain difficile (jungle, montagnes...), long, et dur; de plus, ni Américains ni Japonais ne se privent de tirer sur les brancards. J'ai un peu d'infos sur les unités noires et la ségrégation dans l'armée, mais je crains de m'éloigner un poil du sujet (ça concerne surtout l'arrière): si ça intéresse, je peux donner les quelques chiffres à dispo.
×
×
  • Créer...