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La marine et ses programmes aux XVIIème-XVIIIème siècles


Tancrède
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Premier sujet destiné à parler de "révolutions militaires" (le 2nd concernera la révolution sous Louvois), de programmes d'armement (à tous les sens du terme pour celui-là  :lol:), de dimensionnements, de concepts de forces, de doctrines, d'adaptation aux réalités géographiques/techniques/tactiques/financières/démographiques/économiques, de stratégie des moyens.... Bref, de toute ces choses qu'on a plus l'habitude de discuter hors de ce sous-forum et à propos de l'actualité et du futur des forces armées, non à l'endroit de ces forces des siècles passés où tout semble plus artisanal, improvisé, bricolé, fait à la one again.... Il n'en est rien!

Bref, il sera ici question de la marine à partir de Richelieu, c'est-à-dire quand une vision globale de la chose à commencé à émerger au service d'un Etat de plus en plus "Etat" au sens moderne, avec une administration vaste planifiant sur des années, voire des décennies, et mettant en coordination les moyens avec des fins définies comme cadre d'action de long terme, chose qui n'existait pas avant, ou trop peu, non en raison d'une quelconque pensée primitive mais en raison d'une autre organisation du royaume qui privait l'Etat de ce genre de capacités, donc de cette façon d'organiser son action. Cela est arrivé avant, pendant la Guerre de Cent Ans ou sous françois Ier, mais ça ne se faisait que pour un règne, voire moins.

La marine est la première vraie industrie planifiée des Etats modernes, la plus scientifique, même si l'armée de terre n'a pas tardé à suivre dans ce registre. Evidemment, le sujet n'est pas limité à la Marine française, mais il faudra amener des biscuits pour les autres que, à part, la Navy, je connais trop peu dans ces aspects là.

J'ai pas encore finalisé le premier pavé, il arrivera bientôt.

Le point est de voir que la marine a pensé très tôt en séries de navires, en classes, en budgets séparés, en choix doctrinaux et matériels.... Exactement de la même façon que certains s'interrogent sur la variété ou l'unicité des modes de lancement de missiles, sur les nombres de silos, le nombre d'équipages par coque, la formation, la pertinence de la séparation aéronavale-AdA, le calibre des tourelles, la variété et la capacité des capteurs suivant le type de navire et la mission, la modularité vs la spécialisation.... Les XVIIème et XVIIIème siècles ont vu le vrai démarrage de la R&D navale, avec la France en pointe sur ce sujet: nombre de sabords sur une coque, homogénéisation des modes de production, le calibre des pièces embarcables, les contraintes de poids et de puissance des modes de tir, la façon d'avoir des équipages valables, la stratégie navale et les points d'appui, le fait de rénover un navire ou d'en faire un nouveau....

Il est ici question de parler aussi de coûts, d'abritrages, de contraintes, de capacités, de ce qui explique victoire ou défaite un peu plus loin que les apparences, le refus d'engagement après une campagne navale longue....

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Pour commencer, quelques exemples qui soulignent l'importance du domaine en France, et la planification nécessaire à une stratégie qui, à partir de Colbert et Seignelay, ne peut plus être improvisée au moment de déclencher les guerres. Sous Richelieu, la volonté est encore de longue haleine et vise à disposer de moyens navals qui fonctionnent (le reliquat de l'ambitieuse politique d'Henri IV ayant été bazardé en quelques années sous la régence de l'incompétente Marie de Médicis), mais en quantités limitées, et surtout, avant toute chose, à bâtir les moyens d'avoir une marine. Richelieu peut se voir attribuer tous les défauts du monde, mais certainement pas celui de ne pas avoir de grandes visions et ambitions (pour son pays et pour lui), et certainement encore moins de ne pas comprendre l'ensemble de ce qu'implique ses visions.

Mais c'est à partir de Colbert, de la grande reprise en main des finances, de la mise au pas des Grands (la vraie grande oeuvre de Richelieu et Mazarin), de la pacification générale de la France et de l'Europe post Guerre franco-espagnole, que le commerce outre-mer peut se développer et l'action de l'Etat commencer à développer ses moyens au service d'ambitions nouvelles. La mise en place du service diplomatique, la vraie création d'un ministère de la Guerre au sens moderne, et celle d'un ministère de la Marine qui peut penser pour lui-même (surtout à partir de Seignelay), tout cela concourt d'une vraie vision globale où tout fonctionne ensemble et ces services se dimensionnent l'un avec l'autre.

Quelques lectures globales (les ouvrages couvrant des périodes assez larges):

- La Royale de Daniel Dessert: meilleure somme sur l'organisation de la Marine au Grand Siècle

- Histoire Militaire de la France, ouvrage général sous la direction d'André Corvisier: tomes 1 et 2 en l'occurrence. L'ouvrage de référence pour l'ensemble

- Histoire de la Marine française, Jean Meyer, Martine Acerra: bon ouvrage généraliste, bonne vision des grandes dyamiques de chaque période.

Exemple de période: la première moitié du XVIIIèe siècle, de la fin de la Guerre de Succession d'Espagne à la Guerre de Sucession d'Autriche (1713-1740)

C'est une période essentielle en ce qu'elle marque une phase de changements techniques majeurs, à l'ombre de la période financière difficile de la France post-Louis XIV, période qui n'est alors pas encore l'état permanent qui s'installera complètement définitivement dans la 2ème moitié du règne de Louis XV.

Les grands changements techniques qui redéfinissent la guerre navale à ce moment charnière:

- renforcements structurels de navires aux productions désormais de plus en plus standardisées dans les chantiers navals qui sont à présent de vraies zones industrielles aux moyens conséquents dont l'essence ne repose plus sur le savoir-faire empirique et traditionnel de maîtres-artisans jaloux de leurs connaissances. Ce renforcement autorise une mâture plus solide, permettant de porter plus de toile, et des canons de plus grande capacité, pouvant surtout de plus en plus tirer par bordées complètes si besoin est

- l'expérience dans la maîtrise de navires au gabarit sans cesse croissant à la période précédente (croissance plus faible du tonnage au XVIIIème siècle) a permis de mieux comprendre et d'optimiser la gestion complexe des voiles. Désormais, les navires ont presque autant de voiles d'étais que de voiles carrées, peuvent remonter au vent infiniment plus facilement, ce qui change beaucoup la conception des mouvements des flottes et les possibilités tactiques. Pour la note visuelle, c'est à ce moment que les navires de ligne perdent ce petit mât placé sur le beaupré (portant le "perroquet de beaupré" à l'esthétique discutable) et que le foc, enfin la rangée de focs des navires de ligne, fait son apparition et se généralise très rapidement. La structure de la mâture et la solidité des navires en sont directement affectées, la répartition de la pression du vent sur l'ensemble du gréement étant entièrement solidaire. Les performances nautiques comme la solidité du navire en sont multipliées.

- conséquence première de ces progrès de structure et de conception, et innovation stratégique, les navires peuent opérer en hiver, chose impossible sous Louis XIV. L'armement de flottes entières est désormais devenu une constance stratégique tout au long de l'année, donc aussi une réalité contre laquelle il faut se prémunir en ces temps où un Etat qui ne craint pas d'aller jusqu'au conflit peut multiplier les casus belli en pleine paix, de la plus petite vexation sur le pavillon jusqu'à de vraies opérations militaires sans guerre déclarée (agression de navire de guerre, opération amphibie....) en passant par les saisies répétées de navires de commerce. Autre conséquence, ce besoin permanent rend la guerre navale encore plus chère et différencie encore plus les grands Etats des petits. Enfin ce qui est vrai dans le temps l'est aussi dans l'espace: des navires plus résistants, pouvant opérer en toute saison, pouvant durer plus longtemps sans entretien ou radoub complet.... Peuvent aussi opérer loin. Si, encore sous Louis XIV, la "grande" guerre navale restait essentiellement dans les eaux européennes, laissant les thé^tres coloniaux à des frégates, navires marchands armés, flûtes et autres unités mixtes ou petites, elle peut désormais s'exporter au loin. Le développement colonial permet aussi à des Etats de disposer de points d'appui qui ne sont plus de simples ports de relâche où refaire son eau et son bois, mais bien aussi des bases navales qui décentrent la pensée stratégique et lui donnent une ampleur mondiale. Ce 'est pas pour rien que Marine et colonies sont en France sous une seule et même gestion.

Les réalités

Les navires ne sont pas homogènes dans une même flotte, même si le ministère impose des standards de plus en plus stricts. Mais même en ce cas, il n'est pas de science exacte: le bois est une matière variable, le savoir faire n'est pas encore délégué à des machines, les aléas budgétaires imposent parfois des économies que des navires en bois supportent très mal très vite alors que les programmes de construction prennent déjà des années. Et même à conditions idéales, un navire en bois change beaucoup de performances au cours de sa vie. Cette durée de vie étant en moyenne de 12 ans au minimum, jusqu'à 20 ans pour les mieux fabriqués, avec une possibilité d'extension via la reconstruction qui peut rajouter une dizaine d'années. Le résultat est qu'une flotte opérationnelle a ainsi un ensemble de coques aux performances très hétéroclites.

La reconstruction ne concerne que les meilleurs navires, et les performances ne sont pas forcément conservées, notamment dans la pratique du tir par bordées qui est de toute façon impossible après une dizaine d'années de service, les structures se fatiguant vite sous cette contrainte extrêmement brutale. Mais la reconstruction est une nécessité pour toutes les flottes de l'époque, étant donné qu'elle coûte 20 à 30% de moins qu'une construction neuve. Dans les arbitrages annuels des financements, c'est un argument irremplaçable, surtout en France où le budget du ministère fluctue beaucoup plus qu'ailleurs, en fonction de l'intérêt porté à la Marine par les coteries en bien en cour du moment, et où ce même budget est fatalement réduit face aux besoins terrestres, alors que la France a maintenant autant l'ambition que le besoin de veiller à son grand commerce et à des colonies importantes.

Pour donner quelques ordres de grandeur:

- le budget de la Marine a été drastiquement réduit après Louis XIV, et avec lui les ambitions et les dimensions de ce qui était conçu comme un seuil plancher pour la flotte. De 20-30 millions de Livres sous Louis XIV (jusqu'à 50 au plus fort des guerres), le budget de la Marine entre 1715 et 1740 tourne ayutour de 10 millions.

- Ce budget implique 2 millions pour les soldes des personnels permanents, 1,7 millions pour les colonies (incluant les bases navales), 1,6 millions pour le Corps des Galères (alors déjà très contesté dans son existence, mais c'est une "chapelle" solide), 1 million pour les phares, les fortifications côtières et portuaires, l'entretien des arsenaux et celui des milices et douanes côtières.

- pour la construction et l'entretien des navires (MCO), mais aussi l'armement (coûts liés au fait de rendre et maintenir opérationnel un bâtiment tenu en réserve), il reste au grand maximum 3,4 millions, sachant que l'entretien et la construction (postes relativement fixes parce que planfifiés là où l'armement est purement fonction des besoins) en bouffent en permanence autour de 2,5.

- pour exemple (coûts impliquant construction, quipement et armement: un bâtiment de 1er rang (plus de 100 canons, 3 ponts) coûte en moyenne 1 million de livres. Un 2nd rang (74 à 92 canons) coûte en moyenne autour de 750 000 livres. Un 3ème rang (autour de 64 canons) coûte autour de 540 000 livres, et un 4ème rang autour de 430 000 livres.

- tous les navires coûtent, durant leur vie opérationnelle "première" de 10 à 20 ans (hors reconstruction), presque 150% de leur coût de construction pour leur entretien (essentiellement les 3 grands radoubs qu'ils subiront en moyenne, soit leurs IPER).

Dans ce contexte serré pour la capacité globale, mais plus encore pour la disponibilité (limitation des armements, donc assez souvent aussi des stocks disponibles pour ces mêmes armements), les équipages ayant de l'entraînement permanent sont très limités, et l'entretien de l'encadrement est le prix à payer pour garder au moins des officiers motivés même s'ils ne servent pas assez à la mer.

Politique menée et arbitrages stratégiques

La France a donc du faire des choix difficiles à cette période, mais comme il arrive souvent quand le budget est serré, la Marine a su être intelligente, et même plus que ça, terriblement innovante. L'arbitrage ne peut être entre qualité et quantité, ce ne peut être aussi simple avec les budgsts de construction réduits et un vieillissement général de la flotte étant donné l'obligation de garder et faire durer un parc important de navires anciens.

Face à la Royal Navy, qui, malgré "l'apeasement" et le rapprochement franco-anglais de la Régence, reste l'adversaire désigné (pour contrer la latitude anglaise d'intervenir sur le continent, voire garder la possibilité de dégager la Manche pour envahir l'île, ou en tout cas frapper son commerce) et l'obstacle vers des colonies qui rapportent, la Marine sous le ministre Maurepas choisit la voie de l'innovation technique pour maximiser l'avantage qualitatif:

- veille technologique vie des ingénieurs envoyés en Angleterre, en hollande, en Espagne et en Suède

- création du burea de l'Inspecteur Général du Ponant et du Levant, poste bien financé disposant de bureaux d'études et d'expérimentation (reprenant notamment les structures artisanales créées par Tourville à l'académie navale), confié à Duhamel de Monceau.

- Duhamel de Monceau crée une vraie école de construction, poussant un cran plus loin l'ambition de Colbert en établissant définitivement un cursus pour les ingénieurs, constructeurs et artisans de la Marine. La première phase de ce processus, sous Colbert, avait été de rationaliser ce savoir-faire à l'échelle de chaque arsenal, en capitalisant les savoirs-faires, expériences et idées dans un seul endroit où les meilleurs modèles seraient définis comme base de travail. Ce que cette école de construction obtient est le cap de la standardisation nationale, des savoirs techniques et théoriques, et la formation d'une nouvelle génération de constructeurs, avec la mise au tempo des arsenaux dans leurs méthodes et leur outillage.

Autre grand choix de Maurepas: la définition de véritables classes de navires pour remplacer la composition encore trop héréroclite des flottes, les fabrications ayant surtout jusqu'ici dépendu de chaque arsenal, en soi une instance de production et design isolée. Le 3ème rang est ainsi choisi comme le rang appelé à former l'ossature de la flotte de combat, comhbinant la puissance de feu minimum "acceptable" pour la bataille "de haute intensité", et surtout un coût limité. Pour lui, le nombre pourrait ainsi être envisagé via non seulement ce coût plus faible, mais aussi via les économies d'échelles autorisées par une visibilité des commandes à long terme et la standardisation industrielle des arsenaux, déjà entreprises sous Colbert notamment au regard des pièces détachées.

Autre fait notable, c'est à cette période que les immenses efforts de Colbert en matière de politique sylvestre produisent leurs efforts: les gigantesques forêts "artificielles" qui ont commencé à être plantées dans les années 1660 sont maintenant toutes à mâturité et fournissent des arbres de grande dimension et parfaitement droits (ce que les forêts naturelles ne fournissent pas de façon régulière) en très grandes quantités, diminuant d'autant le coût de production que nombre de ces bois ont longtemps du être importés de Suède et de Russie.

Dernier point déconomie; c'est à cette période que, partout en Europe, la décoration outrancière des grands navires tend à disparaître quasi complètement: autant pour le souvenir du Soleil Royal!

Les nouvelles productions commencent avec le Borée, lancé en 1735; c'est le vaisseau-modèle de la politique de Maurepas. 62 canons, plus long que les navires de puissance équivalente, il est nettement plus nautique que n'importe quel autre vaisseau de ligne et accentue la tendance française à "frégater" les grandes unités, véritable marque de fabrique nationale qui donneront toujours aux vaisseaux français les meilleurs performances nautiques, avec cette particularité que les 3 ponts français furent les seuls, aux XVIIème et XVIIIème siècles, à être effectivement autre chose que de lourdes batteries flottantes peu maneuvrables.

Le Borée est dit "percé à 13 sabords", ce qui est une mesure standard de longueur pour les navires de guerre, prenant en compte le nombre de sabords de la batterie basse. Ce n'est pas une mesure anodine en ce que ce choix repose aussi sur les possibilités d'allonger la coque au maximum (pour la vitesse, la stabilité et la tenue à la mer) tout en gardant un vaisseau solide non seulement face aux éléments et aux boulets adverses, mais aussi face à la puissance de ses propres bordées. Un vaisseau de ligne reste une structure en bois assemblé.

L'allongement graduel des constructions devient une constante en Europe, mais au tempo dicté par la France. Les navires de 3ème rang se stabilisent, après le Borée, autour de la classe des 64 canons. C'est véritablement le premier type de navire pensé, conçu et fabriqué en série, même s'il y eut des tâtonnements, et de fait, plusieurs classes.

L'étape suivante est la grande révolution technique et militaire de l'idustrie navale. 2 ans après le lancement du Borée, le Terrible est mis en chantier; percé à 14 sabords, il est conçu dès l'abord comme un 2 ponts qui peut emporter en batterie basse les pièces de 36 livres jusqu'ici réservées aux 3 ponts. Et pourtant, ses performances nautiques seront sans égales. Il servira de modèle pour les futurs "tâtonnements": les navires qui suivent auront tous les même armement, pour des dimensions qui s'accroîssent lentement jusqu'à être analysées et décantées en un modèle qui va devenir le standard des flottes modernes jusqu'aux années 1820, le 74 canons.

Parallèlement la standardisation du 2nd rang se fera "à la baisse", sur un modèle à 15 sabords encore abordable, le 80 canons (la différence semble faible, mais cela implique 30 canons de 36 contre 28, le boulet de 36 livre étant un "wood killer" à cette époque; le "blindage" des bordés de navires ne se renforcera vraiment que quelques décennies plus tard). La vraie révolution de ce modèle est qu'il n'a que 2 ponts là où les 2nd rang étaient jusqu'ici aussi des 3 ponts (plus coûteux vu l'investissement de structure, et moins performants). Souvent même, jusqu'aux années 1740-1750, les 3ème rangs sont encore des 3 ponts (pour les plus armés), même s'ils n'alignent pas plus de 60 canons; c'est dire à quel point les 2 ponts français ont pu sembler de véritables OVNIS. Les 3 ponts, à partir de la décennie 1730, ne sont plus vus que comme les premiers rangs en France, vision qui va mettre un peu de temps avant de se généraliser en Europe.

A noter toutefois que si le format du 2 ponts de 2ème rang à 80-84 canons (les 4 canons de différence ne venant pas de sabords supplémentaires, mais d'un arrangement différent des pièces plus légères des ponts supérieurs) n'a pas disparu, il ne s'est pas pour autant réalisé à très vaste échelle, le vieillissement de ce modèle étant mauvais. 15 sabords et des pièces lourdes sont une forte contrainte pour une structure en bois (la coque à 15 sabords se tord à l'usage, l'usure globale des couples et du bordé sont accélérées), et le besoin ponctuel de puissance (fort en France pendant le relatif abandon des 1ers rangs) ne peut compenser le coût de long terme d'un tel navire qui, pour rester efficace, voit ses frais d'entretien exploser. A cet égard, le 74 représentera longtemps le compromis parfait. Pour la puissance pure, le 3 ponts apportait une rigidité de coque inégalable, fait qui contraindra à le faire revenir en faveur en France, surtout suite à la générélisation du format de 74 qui relativisait l'avantage français (dans la Guerre de 7 ans).

Dernier point: ces avancées techniques et les mêmes contraintes budgétaires, ainsi qu'un goût français pour ce type de navire, ont aussi bénéficié aux frégates qui s'alourdissent de plus en plus. Le perçage à 14 sabords est aussi valable pour elles, et c'est aussi de France que viendra la révolution des frégates lourdes à 38-44 canons. Contrairement aux navires de ligne, les frégates sont très peu mises en réserve et restent actives en temps de paix, entretenant un seuil plancher d'officiers et d'équipages expérimentés. 

Résultats

Là est l'avantage que la Royale parvient à grapiller malgré des budgets plus que serrés: ses navires de 2nd et 3ème rangs aligent des batteries entières de canons de 36 livres là où seuls les 3 ponts (très peu manoeuvrants et peu nombreux) peuvent en avoir dans les autres flottes, Royal Navy comprise. Et surtout, ces navires sont infiniment plus manoeuvrants, rapides et endurants que les 3 ponts (1ers et 2ème rangs dans les autres Marines), mais aussi que leurs homologues théoriques de 3ème et 4ème rangs, qui sont encore, dans les autres marines, moins armés. Il ne faut pas regarder ces évolutions si facilement. Sur le plan militaire, cette révolution est de même calibre que celle, en son temps, du Dreadnougth. La recherche technique et l'adaptation du modèle économique ont procuré à la France un avantage qualitatif d'ampleur stratégique et tactique. A ceci près qu'elle ne peut pas en faire de grands nombres, ni pouvoir le mettre en oeuvre de façon optimale (équipages, encadrement, budget des armements et entraînements).

Cette évolution, ainsi que la contrainte budgétaire, font renoncer aux 3 ponts en France pour un long moment, jusqu'à la maturation de l'oeuvre des ingénieurs Borda et Sané et la reprise de constructions à plus vaste échelle, d'abord sous la contrainte des guerres, mais avec le "retour en grâce" d'une politique navale après la guerre de 7 ans, et plus encore sous Louis XVI.

Une note toutefois: en 1740, cet avantage qualitatif reste relatif, étant donné que les "nouveaux" bâtiments de 64, 74 et 80 canons ne sont qu'une vingtaine sur une flotte de 64 navires de ligne dont 35 de 2ème et 3ème rang; le reste (avec 1 seule 1er rang) est vieux. Et les problèmes des équipages, du manque de pratique des officiers et des faibles fonds disponibles pour l'entraînement et l'armement, restent entiers. Surtout face à une Royal Navy qui a en outre un avantage quantitatif énorme, désormais, contrairement à la période précédente.

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Sans critiques, polémiques, contestations, ajouts ou autre, ça manque d'intérêt ;); pas là pour publier des pavés :P.

Soit c'est juste. J'émets un doute pour l'origine des frégates lourdes. Il me semblait qu'elles équipèrent en premier la toute jeune US Navy en manque de vaisseaux de ligne et qui firent sensation contre l'anglais durant la guerre de 1812.

Quoiqu'il en soit, muscler ses frégates et ses navires de second rang est plutôt révélateur du manque de ressources d'une marine.

A cette époque, les vaisseaux de ligne emportent la décision dans des concentrations d'escadre que seul l'ère du porte-avions achèvera.

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Sans critiques, polémiques, contestations, ajouts ou autre, ça manque d'intérêt ;); pas là pour publier des pavés :P.

si je retrouve mes notes sur mon mémoire de maitrise ( non fini hélas ) sur la marine francaise dans les indes, j'essairais d'intervenir

mais par contre j'ai parfois du mal à bien saisir les "problèmatiques" de tes sujets

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mais par contre j'ai parfois du mal à bien saisir les "problèmatiques" de tes sujets

Moins une question de problématique (de toute façon jamais respectée sur un forum de discussion, et souvent posée mille fois sous des formulations différentes) que de trouver un angle de vue/d'attaque sur un sujet ou une période donnée (pour le forum histoire). Une problématique précise, et le résultat est garanti: soit ça part en couille direct après 2 posts, soit c'est tellement précis et spécifique que ce sera un coup de bol s'il y a 1 personne pour répondre ;).

Bon, là c'est vrai que celui-ci est pas vraiment parti sur un questionnement quelconque, juste sur une envie du moment de gratter un truc là-dessus rapidement, voire si ça inspirait quelqu'un; après tout, rien que sur le sous-forum marine, ça parle QUE DE CA :lol:, ça fait des hypothèses et formule des souhaits à tout va sur la marine idéale, la marine idéale avec le même budget mais tellement mieux dépensé, la marine plus si idéale mais "damage control", et la marine qui sera vraisemblablement (la plus chiante évidemment).

Ben là, pareil, mais y'a 2-3 siècles :lol:. Juste histoire de voir en quoi une marine correspond à un positionnement stratégique, à une volonté, à un état des mentalités, des organisations et des sciences, à des besoins tels qu'ils sont identifiés (bien ou mal), et à des réalités de tous ordres (priorités, budgets, possibilités....). L'Histoire étant une leçon pour le présent, ça pourrait inspirer de voir ce à quoi ont été confrontés pas seulement les chefs opérationnels, mais aussi et surtout les planificateurs et bâtisseurs des marines de la "grande période" de la voile; au final, les logiques sont les mêmes, les fonctionnements sont proches, les modes d'arbitrage sont du même acabit, les influences de toutes sortes aussi, et les humains sont strictement les mêmes.

Soit c'est juste. J'émets un doute pour l'origine des frégates lourdes. Il me semblait qu'elles équipèrent en premier la toute jeune US Navy en manque de vaisseaux de ligne et qui firent sensation contre l'anglais durant la guerre de 1812. Quoiqu'il en soit, muscler ses frégates et ses navires de second rang est plutôt révélateur du manque de ressources d'une marine.

C'est vrai qu'en attribuer la seule paternité au tandem Borda-Sané est exagéré; les ricains ont effectivement joué un grand rôle, et avant tout dans les nouvelles conceptions de charpentes extrêmements robustes avec un bordé à triple épaisseur qui a valu son surnom à l'USS Constitution (Old ironsides). Ce type de bordé, véritable blindage de chêne peu commun sur des frégates, ne pouvait être supporté que par une armature phénoménale avec un nombre de couples plus que doublé et enserré dans un schéma d'architecture très complexe. C'est là la vraie raison de l'explosion du tonnage des frégates, bien plus que leur arrivée dans les gamme des 38 à 44 canons (en fait plus, les super frégates US comptant souvent 60 canons).

Côté français, avant cet apport américain, c'est justement l'augmentation très nette du nombre des canons porté par une frégate qui a été l'apport principal faisant du haut de gamme de cette catégorie un type de navire apte à tenir (pas gagner) face à un vaisseau de ligne, assez longtemps pour se carapater (pas au corps à corps évidemment). Le perçage de la coque à 14 sabords fut le moteur de ce changement, qui permit de donner aux frégates un vrai pont d'artillerie leur donnant les moyens de porter des pièces plus puissantes, de 18 puis de 24 livres à la fin du siècle. Un tel changement en impliquait d'autres dans l'architecture navale, afin de répartir cette nouvelle masse d'artillerie et la puissance qu'une de ces bordées supposait, donc une croissance du poids qui devait aussi s'accompagner d'un changement dans le gréement, surtout dans une France où les qualités nautiques des navires étaient une spécialité nationale. Autre point des "modèles français": la frégate plaçait son pont de canons loin de la ligne de flottaison, ce qui autorisait le tir même par forte mer, un avantage sur les vaisseaux lourds.

Cette révolution des frégates a commencé en France dans les années 1730-1740 avant de trouver ses premiers modèles définitifs peu avant la guerre de 7 ans. L'Angleterre y a concouru en copiant les modèles français et en les surchargeant d'artillerie au-delà du raisonnable (au détriment des qualités manoeuvrières et de la vitesse) avant de trouver ses propres compromis. Mais l'apport anglais réside surtout dans l'invention de la caronade qui va devenir l'arme de référence des ponts supérieurs des frégates (dunettes) qui vont dès lors porter leurs 28 canons de bon calibre, un certain nombre de canons longs (pièces de 8 ou 12, mais en cuivre, installées surtout comme pièces de chasse) et une douzaine de caronades.

Ces "smashers" sont des armes redoutables qui donnent aux frégates une puissance impressionnante au combat rapproché; si la résistance de ces navires reste faible face aux pièces lourdes d'un 2 ponts, la puissance d'impact ou la quantité de mitraille que peut balancer une caronade à bout portant reste terrible. Une caronade étant nettement plus courte, des navires légers peuvent emporter des armes projetant des boulets de 36 à 48 livres à une cadence double, voire triple (avec moins de monde sur une pièce): à courte portée, cette puissance est sans égale sur mer, et les navires qui en portent une grande quantité peuvent ainsi envoyer plus de plomb que nombre de 2nd et 1er rangs.

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  • 3 weeks later...

Dites donc, c'est la gloire :lol:: je viens de tomber par hasard sur la page wikipedia de l'histoire de la Royale, et quelle ne fut pas ma surprise d'y retrouver ma propre prose pompée de bout en bout sur quelques paragraphes  :lol:. Y'en a qui pourraient demander quand même, surtout quand il s'agit d'approximations rapidement balancées sur un forum et de phrases nons relues :P....

http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_marine_fran%C3%A7aise#R.C3.A9partition_du_budget_de_la_Marine

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comme le disait Davout les frégates lourdes ne sont-elles pas nées véritablement avec Joshua Humphrey aux Etats Unis

D'autre part même si nos vaisseaux étaient techniquement meilleurs cela avait il finalement une importance quand les carènes encrassées après cinq mois de mer voyaient souvent leur capacités nautiques décliner ou quand tout se jouait bord à bord bordée après bordée là où justement les anglais en tiraient trois quand nous en tirions deux ...

Entraînement ...

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La différence d'entraînement est le facteur aggravant et décisif au XVIIIème siècle entre les marines française et anglaise, et de façon assez ironique, ce décalage, préexistant à la guerre de Succession d'Autriche, ne devient réellement décisif qu'après cette guerre où la Marine Française, seulement en partie rénovée et quantitativement très inférieure à l'anglaise, s'est extrêmement bien comportée, surtout compte tenu de ses moyens et de l'abyssal déséquilibre des forces.... Parce que le bilan qui en fut tiré fut avant tout MAUVAIS: l'importance des constructions nouvelles fut bien noté, mais la perception de la guerre sur mer par un chef d'Etat trop pacifiste, et plus encore une réaction caricaturale sur cet avantage constaté des constructions françaises, a porté l'emphase sur la seule construction sans réel changement budgétaire (conséquence mathématique: les budgets d'armement et d'entraînement s'effondrent).

Résultat pendant la guerre de 7 ans: une flotte en effectifs satisfaisants, mais sans encadrement ayant l'expérience de la mer, sans équipages entraînés, qui a surtout servi à fournir des navires aux Anglais. Eux avaient tiré la bonne leçon et opéré une révolution navale, tant dans la construction (copie des modèles français) que l'infrastructure (bases réparties sur toute la planète, capables de garantir un niveau de capacité opérationnelle constant). Et le tout sans diminuer leur entraînement permanent.

Le différentiel constaté pendant la Guerre de 7 ans est donc avant tout du à l'effondrement de l'entraînement à la mer côté français, alors qu'il était déjà à la limite du tout juste suffisant avant la Guerre de Succession d'Autriche.

comme le disait Davout les frégates lourdes ne sont-elles pas nées véritablement avec Joshua Humphrey aux Etats Unis

Répondu plus haut.

D'autre part même si nos vaisseaux étaient techniquement meilleurs cela avait il finalement une importance quand les carènes encrassées après cinq mois de mer voyaient souvent leur capacités nautiques décliner

Quand les 2 carènes opposées sont encrassées et que l'une est meilleure que l'autre, ça joue encore beaucoup  :lol:. Il ne faut pas exagérer l'efficacité des bordées britanniques outre mesure: le "bord à bord" se fait le plus souvent à distance conséquente, et les navires ont besoin de toutes leurs qualités nautiques pour se mettre en bonne position, assurer la stabilité de la plate forme de tir....

De plus, le cuivrage des fonds s'opère à partir de la guerre de 7 ans (accroissant le coût des navires) et accroît de beaucoup le maintien de leurs qualités nautiques lors d'une campagne.

Mea culpa... Je suis prêt passer à subir mon chatiment :

La grande cale, ouais! Noyé sous la quille à force d'être traîné dessous!!!!!!
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Et après on s'étonne des relativement rares mutineries qui éclaitent à bord des navires de l'époque  :lol:

Cela est un peu hors sujet, et je pense que l'on en avait parlé pour les anglais, mais la désertion avec des missions de plusieurs mois sur des vaisseaux surpeuplés étaient assez conséquents. Quel est le % de marins ''professionnels'' dans la flotte française ?

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Cela est un peu hors sujet, et je pense que l'on en avait parlé pour les anglais, mais la désertion avec des missions de plusieurs mois sur des vaisseaux surpeuplés étaient assez conséquents. Quel est le % de marins ''professionnels'' dans la flotte française ?

Importante, en partie passée sous silence, mais surtout obérée par le fort taux de mortalité lors des longues traversées, en raison des conditions de vie et plus encore du scorbut, première cause de mortalité à la mer et de très loin. Il faut attendre les années 1760 pour voir lentement se généraliser l'emport de fruits et légumes pour le seul motif de combattre cette surmortalité qui fait qu'être marin dans la marine de guerre ou, de façon plus modérée, dans la marine marchande, comporte un risque infiniment plus élevé de crever sur une traversée qu'être du "bétail humain" sur un navire négrier (pas politiquement correct, mais statistiquement incontestable, et le différentiel est énorme).

La désertion a ceci de particulier quand même que les déserteurs finissent souvent par revenir: les gens de mer sont une faune limitée qui, au final, ne fréquente que les ports, petit univers où ils finissent souvent par être réembarqués par la presse, ou par se rembarquer eux-mêmes sous un autre nom (ou dans une marine étrangère) s'ils ne trouvent pas à s'employer dans la marchande (en temps de guerre, c'est plus fréquent).

Quel est le % de marins ''professionnels'' dans la flotte française ?

Au sens de "marins permanents", il est extrêmement faible, mais ça ne veut pas dire que les équipages de temps de guerre sont à 100% faits de buses: le recrutement/enrôlement vise surtout les gens de mer. Le vrai manque est surtout celui d'équipages constitués plutôt que de marins individuels.
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De plus, le cuivrage des fonds s'opère à partir de la guerre de 7 ans (accroissant le coût des navires) et accroît de beaucoup le maintien de leurs qualités nautiques lors d'une campagne.

le cuivrage évitait surtout les phénomènes de dégradation liés aux tarets et autres organismes vivants qui attaquaient directement le bois notamment les bois tendres (heureuse compagnie des Indes qui construisait des navires intégralement en teck ...

les feuilles de cuivres n'empêchaient pas à la longue l'encrassement des carènes et effectivement un bon arsenal bien doté en voiles espars et cordages (il fallait du tressé de chanvre de plusieurs dizaines de mètres; voir pour cela les dimensions de la corderie royale de Rochefort) et bien un tel arsenal outre mer valait de l'or

Pour en revenir aux équipages de temps de guerre à cette époque l'essence même d'une marine est plus que jamais la maistrance et les gabiers les manœuvriers travaillant en mâture sur les réductions ou renvoi de voilure les travaux de  gréement ...

Le reste effectivement ce sont des paysans saisis par la presse ou la levée en masse des pauvres bougres qui pour beaucoup n'ont jamais vu la mer, ils se retrouvent matelots de pont et au service de l'artillerie, bref à l'abattoir.

Pour tirer qq chose de ces gars là il faut du temps et notamment beaucoup de temps à la mer et de l'encadrement.

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En fait non, étant donné que dès le moment où les transports transatlantiques ont acquis un certain niveau de "routine", les périodes de transit (fonction des périodes de rafles par les rois des Etats africains négriers, mais aussi des alizés, les 2 se conditionnant) et les navires furent spécifiquement adaptées. Au XVIIIème siècle, les navires négriers, pour l'essentiel des bricks fins et rapides, accomplissent la traversée extrêmement vite et "font du flux", parce que contrairement à ce que les historiens marxistes ont affirmé, pour l'essentiel par anticolonialisme, le commerce négrier ne rapporte pas beaucoup. Les marges sont faibles, et seule la quantité et/ou la rapidité de ce transport en lui assure une rentabilité correcte. Si le commerce négrier avait été la mine d'or que certains historiens veulent encore décrire, tous les armateurs se seraient rués dessus jusqu'au tarissement de la dite rentabilité; or, dès le début du XVIIIème siècle, ce n'est plus, et de loin, le cas. Le grand commerce avec les comptoirs des Indes orientales et de l'Indonésie, et le commerce transatlantique des produits agroalimentaires (pour l'essentiel sucre, tabac et vanille) des Amériques, sont les cash machines. C'est particulièrement sensible en observant les rentrées fiscales et le commerce extérieur français à partir des années 1720 (principalement parce que l'économie française n'en dépend pas, contrairement à l'économie anglaise essentiellement commerciale où il est plus dur de différencier les mouvements).

A ce commerce comme aux autres correspond un type de bâtiments précis, et dans ce cas des navires négriers, le facteur temps est essentiel: ils se livrent à une compétition permanente sur la vitesse qui n'aura d'équivalent que celle des clippers du XIXème siècle pour le commerce du thé et de quelques autres denrées périssables.

Le facteur essentiel cependant, malgré la diversité des bâtiments, reste la densité humaine à bord et la durée d'une croisière: seule la rapidité de la traversée épargne des taux de mortalité important aux navires négriers, en évitant épidémies, faiblesses et contagion, et évidemment le scorbut qui se répand en revanche très vite dans un équipage passé 6 à 8 semaines en mer, surtout si le navire est densément peuplé. Or le propre des navires de guerre de l'époque est d'emporter, à tonnage égal, 4 à 5 fois plus de monde à bord au moins (pour les manoeuvres, l'attrition en croisière et au combat, pour le tir d'artillerie et sa cadence, et pour le combat rapproché en mer ou à terre, et les prises). Seuls les grands navires armés des grandes compagnies commerciales ont un petit peu plus de monde, mais restent bien en-deçà des standards d'un navire de guerre (4 fois moins de monde). Autre point d'un navire de guerre: des campagnes qui sont faites pour durer longtemps et qui peuvent se passer d'escales même quand elles sont à disposition, étant donné la nature imprévisible des missions et des impératifs, surtout en temps de guerre. Dernier point, un navire de guerre ne croise pas en cherchant le rythme pépère: il fait voile au maximum de sa vitesse soutenable la plupart du temps, usant donc le matériel, mais surtout les hommes, ce qui entraîne des fautes, des erreurs mortelles, des pertes inévitables, et généralement, surtout eu égard aux conditions de vie et de promiscuité (les rangées de "branles" sont quelque chose d'assez incompréhensible aujourd'hui), un état permanente de faiblesse et de fatigue accumulées propice aux maladies, aux accidents et à des systèmes immunitaires moins combatifs (sans oublier le mode de vie des marins qui inclue, pour compenser ces difficultés, un fort degré d'alcoolisme sur lequel nombre de médecins de marine ont écrit rapports sur rapports au XVIIIème siècle).

Ces 3 facteurs fondamentaux expliquent pourquoi la vie à bord d'un navire de guerre est la plus courte qui soit, et pas du fait des combats. La vie de marin de la marine à voile est généralement l'une des plus courtes espérances de vie de cette époque. Une boutade anglaise de l'époque dit que, ayant le choix entre être condamné à devenir forçat ou être enrôlé d'office dans la Royal Navy, beaucoup de condamnés hésitaient.... Et c'était à peine une boutade.

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Pour appuyer un peu les affirmations de Tancréde quant au nombre "réduit" de vrais marins sur les vaisseaux du XVIIIiè siècle : il faut rappeler que Suffren a complété ses équipages durant sa campagne dans l'Inde soit par l'achat/la réquisition d'esclaves à l'ïle Maurice ( avant d'arriver en Inde proprement dite ) soit par l'embarquement d'une partie de la garnison à la bataille de Gondelour : ces hommes servent soit comme artilleurs dans les batteries soit comme tirailleurs sur le pont

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Surtout que s'il est un fait que plus il y a de marins qualifiés, et surtout de groupes de marins entraînés à opérer ensembles avec une hiérarchie tout aussi rôdée, de fait, sur un navire de guerre:

- les vraies tâches de marins qualifiés ne concernent qu'une minorité (de fait pas plus d'un tiers de l'équipage, voire moins, a besoin des qualifications spécifiques): les gabiers et toutes les fonctions ayant trait à la voilure représentent la majorité des tâches "de marins", celles qui ont besoin de gens ayant ça "dans le sang", ne se posant pas de question avant d'aller grimper dans la mâture.... Et ayant aussi et surtout le pied marin pour accomplir beaucoup de tâches ordinaires et peu compliquées mais dans des positions et circonstances très spécifiques

- des besoins additionnels important existent pour assurer la marche du navire à un train important à H24: de fait, tout navire de guerre a l'équivalent de 2 équipages (fonctionnant par moitié en temps normal, pour répartir la journée navale en quarts) et même un peu plus, et un même hamac (ou espace de hamac) était utilisé par 2 personnes

- la plus grande partie de l'équipage est consacrée à l'artillerie: évidemment, les hommes d'équipages ne peuvent être que des artilleurs et la polyvalence est contrainte, mais les terriens, recrutés de force.... Bref les non marins en général sont confinés aux corvées (briquage des ponts, écopage....) et leur principale utilité reste avant tout de fournir des bras pour aider aux manoeuvres (apporter juste de la force pour les tâches de halage de cordages, y compris les bragues des canons, transbahuter des charges) et combattre. Pour un simple canon de 18 livres, il faut 10 hommes, et pour le 24 livres, soit le canon standard sur la batterie basse de tout 2 ponts (la batterie médiane d'un 3 ponts) ou sur le gundeck d'une frégate à partir du milieu du XVIIIème siècle, il faut 12 hommes vu que l'engin pèse 3 tonnes. Là-dessus, seul le pointeur/chef de pièce doit être vraiment qualifié et ne peut être "improvisé" en aucun cas.

Les très grandes réussites des navires américains pendant la guerre de 1812 (le plus souvent en duels de frégates) sont dus en grande partie, outre les plus grandes puissances et résistances de leurs frégates, au fait que n'ayant pas à armer de vastes flottes et ne concevant pas de croisières de guerre de longue durée, ils surchargeaient leurs navires de vrais marins (abondants au regard de l'effectif de leur flotte) tous volontaires (peu de navires = hommes bien payés, surtout quand il s'agit de ravager le commerce britannique, donc d'avoir des parts de prises). Les flottes européennes n'avaient pas ce luxe, devant remplir de vastes flottes pour de longues durées avec en plus la guerre terrestre.

Pour ce qui est de la mortalité à bord, il faut quand même noter qu'à partir de la guerre de 7 ans, l'emport de fruits et légumes, et particulièrement d'agrumes et limons/citrons, fait dramatiquement baisser les pertes liées au scorbut qui, s'il reste une réalité et une crainte dans les croisière au long cours, ne prélève plus sa part jusqu'ici inévitable.

Les images telles que pendant les guerres de Louis XIV, où la flotte de Tourville, même rentrant de la campagne du large (quasiment sans combat), avait perdu un quart de ses hommes en mer et en déversait encore un bon tiers de gravement malades dans Brest au retour, sont du passé. L'amélioration permanente des performances nautiques (notamment la généralisation des voiles d'étais et focs dès le début du XVIIIème), la meilleure connaissance des mers, la densification du nombre d'escales et de ports de relâche (à défaut de bases souvent) ont concouru du même effet.

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Pour ce qui est de la mortalité à bord, il faut quand même noter qu'à partir de la guerre de 7 ans, l'emport de fruits et légumes, et particulièrement d'agrumes et limons/citrons, fait dramatiquement baisser les pertes liées au scorbut qui, s'il reste une réalité et une crainte dans les croisière au long cours, ne prélève plus sa part jusqu'ici inévitable.

Je ne suis pas sur que ce soit si dramatique d'avoir moins de mort.  :rolleyes:
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Formulation :lol:! "Dramatiquement" est assez neutre à la base: ça marche dans les 2 sens, juste pour décrire l'ampleur d'un phénomène, mais c'est vrai que c'est plus en anglais que ce double sens a été gardé, alors qu'en France, il s'est connoté (assez récemment) de la seule dimension tragique. Pour faire court: non, je ne pense pas que la baisse de la mortalité des équipages soit un mal  :lol:.

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Ouaip, surtout qu'il ne faut pas oublier à quel point un navire en bois n'est pas précisément un environnement sanitairement sain :lol:: c'est plein de saloperies, les matières organiques, et ces machins là ne subissent pas de fumigations si fréquentes et sont humides en permanence. Alors à la fin d'une longue campagne dans des mers chaudes, où en plus se multiplient les privations, où existe souvent la mauvaise qualité de la bouffe (contrôle sanitaire faible, l'eau se conserve mal, fraude des fournisseurs, faible exigence de qualité), s'applique le mode de vie maritime, où rien n'est jamais sec....

Qui a déjà vu à quoi ressemble le "biscuit de marine", ou regardé quelle gueule a la viande de salaison embarquée sur les navires de guerre (une bonne partie de l'eau à bord sert à la déssaler)? Ca fait pas envie :-[ :lol:!

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